Par Fatma Chroudi, TAP – 22/07/2020
Une session assez spéciale, celle du mea culpa des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) est attendue cet automne, du 7 au 12 novembre 2020. Elle sera chapeautée par deux réalisateurs, Ridha Béhi à la direction générale et Brahim Letaief à la direction artistique, qui dans une interview avec l’agence Tap, ont dévoilé les grandes lignes et orientations de la 31° édition qui sera particulièrement marquée par l’organisation d’un Forum d’évaluation et de réflexion intitulé «Hier, aujourd’hui et demain».
Le Colloque, une feuille de route aux décideurs
En effet, le grand événement de cette édition est le colloque qui va se tenir le 8 novembre prochain. Les préparatifs ont commencé il y a près d’un mois, dans le cadre de quatre panels ayant réuni les professionnels et les divers intervenants pour réfléchir ensemble sur le devenir et le rayonnement des JCC.
Ces panels balisent le chemin pour le grand colloque du 8 novembre, au cours duquel sera dévoilé le texte des recommandations qui sera présenté aux autorités publiques. La feuille de route qui sera présentée au ministère des Affaires culturelles comporte les réflexions et les propositions des cinéastes, des professionnels du film, de la société civile, et même des cinéphiles et des habitués du festival.
Pour Béhi, «tout dépend de la volonté politique». Le plus important serait les textes de loi qu’il suggère de changer, avec l’aide du ministère appelé à défendre cette réclamation collective auprès du parlement.
«On a compris ô combien est important ce festival pour notre mémoire. Et pour préserver cette mémoire, il fallait la rafraîchir sinon elle s’estompe», estime Letaief qui parle d’un devoir et d’un véritable travail de bénévoles de tous bords (professionnels du film, CDN, Archives nationales, BNT, TAP…).
Un budget réduit et seulement 50 invités
À la question si le budget sera le même en cette conjoncture, la réponse de Ridha Behi a été immédiate : «pas du tout». Ni le budget, ni la présence des hôtes, ni même la durée, tout a été revu à la baisse avec une notable compression budgétaire. «De 400 invités, on passera à 50 cette année, les 7 jours du festival deviendront 5, et des 4 milliards on passera à 1 milliard 800 mille dinars».
Par ailleurs, la programmation artistique conçue par Letaief «est bien claire», des best-of des films tunisiens primés sont au menu. À l’affiche du « Best-of », les meilleurs films, longs et courts métrages, qui étaient en compétition officielle de 1968 à 2019. Outre les films primés par le Tanit, la sélection comprendra les œuvres qui «ont marqué les esprits des spectateurs, les critiques et les jurys».
La stratégie adoptée dans ce sens consiste en la collecte des archives des films, tout en consultant l’avis des spécialistes, – cinéastes, critiques. Leurs avis aideraient à choisir «pour que la sélection ne corresponde pas aux desideratas du directeur ou du comité artistique», dit-il avant de continuer, «on est en train de ratisser large par rapport à cette sélection».
Il y aura aussi le best-of des Tanits d’Or. Parmi un ensemble de près 43 Tanits tunisiens, seront présentés 24 Tanits, 12 longs et 12 courts-métrages.
Autre nouveauté de cette année, les JCC ont décidé de confier à des réalisateurs tunisiens la réalisation des films d’ouverture. Un appel à candidatures est lancé pour réaliser 6 courts-métrages avec pour thématique de faire le remake du film préféré projeté aux JCC de 1966 à 2019. Ce projet va être financé par le Centre national du Cinéma et de l’Image CNCI.
Des hommages seront rendus à des cinéastes arabes, africains et tunisiens en montrant leurs films. Il y aura des cartes blanches pour des jeunes réalisateurs sur diverses thématiques.
Dans la section «Vision», le cinéma belge sera invité, pour la première fois, en montrant des films de tous les cinémas de ce pays abritant,- initialement trois communautés, francophones, néerlandophones et germanophones. Letaief explique le choix sur un cinéma qui «connait actuellement une grande dynamique mais demeure peu connu auprès du public tunisien, notamment le cinéma flamand.
Tous les aspects organisationnels du festival sont étudiés pour une session qui aura lieu comme d’habitude avec des projections dans les salles de cinéma, de la billetterie, des invités et la presse étrangère. Des films, des salles et le public, le trio d’ingrédients ayant fait la réputation des JCC sera au rendez-vous, sauf que l’application du protocole sanitaire pourra ne pas faciliter la tâche aux organisateurs.
Rien ne va changer, sauf qu’il n’y aura pas de compétition. Car, comme l’a bien expliqué Letaief, «au moment où le nouveau comité» a commencé à recevoir les candidatures des films, il y a eu le confinement», et pendant trois mois l’équipe était dans l’incertitude.
Sur le plan artistique, Brahim Letaief a dores et déjà les idées claires sur ce qui devra être présenté. Sa mission est de réussir le pari avec «plein de nouveautés en une session différente des précédentes» qui s’adapte à une situation assez délicate.
Il se montre assez vigilant sur les exigences de cette période, tout en ayant comme priorité «faire une session de réflexion sans que le festival ne perde de l’essentiel, à savoir montrer des films, faire des festivités, organiser un colloque et garder les sections de Carthage pro, à savoir Takmil et Producer’s Network».
Le Producer’s Network est un atelier qui a pour objectif de soutenir et d’accompagner les réalisateurs et producteurs arabes et africains porteurs de projet de film de long-métrage fiction ou documentaire en cours de développement.
Pour Ridha Béhi, en l’absence de compétition, le choix des films restera certainement le même sur des œuvres – du best-of ou nouvelles -, importantes abordant des questions politiques et sociales brûlantes qui ont marqué les JCC comme étant un festival engagé.
Le cinéma africain aux JCC
Ces dernières années, il y a eu une présence accrue du cinéma arabe aux JCC, ce qui a créé un certain mécontentement autour d’une «marginalisation» de la représentativité africaine au festival, – dans la compétition et le palmarès. À ce sujet, Béhi défend le choix de directeurs artistiques successifs aux JCC, et estime «légitime que les cinéastes se sentent lésés, mais c’est loin d’être un choix délibéré».
Sur ce point, Letaief a tenu à préciser que la production cinématographique de l’Afrique subsaharienne, a été un peu faible par rapport au passé, sur le plan qualitatif et quantitatif ».
Après des réalisateurs comme Ousmane Sembène, ou Abderrahmane Sissako, la génération en or du cinéma africain, Letaief a regretté l’absence d’un véritable cinéma africain. «Même s’il y a eu certaines tentatives, les jeunes cinéastes ne sont pas aussi présents sur le continent africain que leurs ainés».
Cette année, le problème ne se pose pas pour la direction artistique qui «va essayer d’équilibrer la représentativité régionale, entre cinéma arabe et africain». Il va y avoir «du cinéma arabe et africain à égalité, avec évidemment une célébration du cinéma tunisien».
Le festival fera un retour à ses valeurs initiales dans une édition qui sera comme une pause pour la réflexion et le mea culpa.
Faty
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