Par Hatem BOURIAL – webdo.tn – Lundi 21 août 2023
Après l’ouverture officielle de la nouvelle édition du Festival international du Film amateur de Kélibia, le samedi 19 août, l’heure est très vite passée aux différentes compétitions du festival.
Lors d’une première soirée, suivie par plus de 1500 personnes dans un Théâtre Zine Essafi plein à craquer, douze films ont été projetés dont sept œuvres tunisiennes de jeunes réalisateurs.
Dimanche soir, l’ambiance était festive et le déroulé de la soirée parfaitement piloté par Bilel Bali, en maître de cérémonie trilingue, très assuré et vigilant à chaque détail.
La soirée a commencé par la présentation des trois jurys du festival : l’un consacré à la compétition internationale, le deuxième à la compétition nationale et le troisième à la compétition scénario/photo.
Tout de suite après, le marathon des projections a commencé pour se poursuivre jusqu’à une heure du matin sans que le public ne décroche.
D’ailleurs, ce public de Kélibia est à saluer. Composé d’une majorité de jeunes cinéphiles, il n’en est pas moins adossé à une tradition d’une soixantaine d’années. Dans cette ville du Cap Bon, on veille sur le festival comme sur un précieux acquis à cultiver et tout un chacun s’implique dans sa réussite.
Créé par la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs, hier encore biennal, le FIFAK a derrière lui une longue tradition de militantisme, d’éducation populaire et d’action culturelle. Cet héritage des années antérieures se confirme une année après l’autre et, aujourd’hui, la génération montante a brillamment pris la relève des aînés.
Tout cela était palpable, dans l’air de la première soirée de compétition suivie par de nombreux journalistes, des vieux routiers de la FTCA et aussi de nombreux réalisateurs qui ont des attaches solides avec le cinéma amateur dont ils sont issus.
Une belle ovation a d’ailleurs été réservée à Selma Baccar, présente au premier rang des invités et comptant parmi les pionniers – toujours actifs et engagés – du cinéma tunisien.
Un plateau de choix attendait le public avec des films provenant d’horizons esthétiques variés et de pays parfois lointains comme l’Inde, le Japon, la Colombie, l’Iran ou le Kazakhstan. C’est dire que l’attente était fébrile et que le public trépignait d’impatience.
Le premier film «Clouds of Mansoon» (Nuages de Mousson) de Ketan Kuril (Inde) est une véritable pépite. À vrai dire, sa durée de trente minutes en fait quasiment un moyen-métrage. Œuvre de fiction, mettant en scène sur fond de confinement, un travailleur du textile déstabilisé par la fermeture de l’atelier où il travaille, ce film évoque autant le néo-réalisme à l’italienne que certaines digressions filmiques du grand Ray.
Des comédiens qui traversent des plans fixes, la vie telle qu’elle est dans les quartiers populaires de Mombay et une pluie obsédante rythment ce film qui raconte une détresse, puis une chute. Film social, proche du naturalisme cher à Zola, «Clouds of Mansoon» raconte stratégies de survie et écrasement urbain en suivant un simple individu encerclé par des impasses.
Deux films d’animation étaient également au programme. Intitulé To the Moon and back, de Shuqin Li (Japon), a tout d’un poème visuel. Avec une technique admirable, le réalisateur met en scène une grand-mère, sa petite-fille, un têtard mort dans un aquarium et une comptine qui va devenir le fil d’Ariane du spectateur.
Film spiral, cet aller-retour pour la lune procède par mises en abyme successives et par des porosités qui font que les personnages s’amalgament les uns les autres par la scansion d’une chanson. Aussi sensible qu’un haïku, aussi fugace qu’une estampe, ce film est aussi une réflexion profonde sur les générations spontanées et la mystique shintô.
«All my Scars vanish with the Wind» est un film expérimental colombien, dont les deux réalisateurs ont choisi l’animation pour dire un désarroi intérieur. Alors que des figures géométriques virevoltent sur l’écran, une voix dit des mots qui expriment a la fois une quête et une tempête, des cicatrices et une rédemption.
Le regard se laisse pénétrer par les réseaux et fragments qui occupent l’écran comme un rébus sur lequel souffle un vent qui emporte, disperse et recompose chaque bribe. Une œuvre profondément visuelle et ancrée dans cet art numérique, créateur de topographies insaisissable.
Le cinéma expérimental était véritablement au cœur de cette première soirée. Deux autres films l’ont confirmé avec leurs univers inquiets, ponctués de déflagrations et de dissections, traversés par l’ombre de Thanatos et celle, martiale, de soldats en manœuvre sur un champ de bataille, très métaphoriquement, expérimental.
Dans «Mages» de Timothée Calame (France), les images de guerre sont balisées par un militaire scrutant avec ses jumelles, un berger qu’on dirait absent de la scène guerrière qui l’encercle.
Dans «Dawn of Death» de l’Iranien Armin Rajaei, c’est bien de l’aube d’une mort qu’il s’agit à travers, cette fois, des expérimentations sur les animaux. Mis en regard, ces deux films qui, au fond, se ressemblent, sont des paraboles dont le sens est intimement lié aux images.
Enfin, «The Phone» de Alimzhan Almukhan (Kazakhstan) est une fiction d’une dizaine de minutes qui met en scène le larcin du téléphone d’un enseignant, par un des élèves d’une école. Conte moral entre Voltaire et la comtesse de Ségur, ce film très attachant joue sur les registres de l’envie, le mensonge, la dissimulation et montre le versant obscur d’un élève exemplaire.
Très applaudis, tous ces films ont apporté dans leur sillage, non pas une touche d’exotisme mais bel et bien des leçons de cinéma. Maîtrise technique, fluidité narrative et recherche esthétique transparaissaient à chaque plan. De quoi nourrir la cinéphilie et le désir de filmer des jeunes amateurs tunisiens qui étaient au premier rang de ce banquet impromptu aux saveurs de trois continents.
La soirée s’est ensuite poursuivie avec la projection de six films tunisiens sur lesquels nous reviendrons prochainement.
Source : https://www.webdo.tn/fr/
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