Il est temps de corriger la surenchère au «gigantisme» qui a déstabilisé les sessions précédentes du 1er festival arabo-africain
Dans une déclaration remarquée, mardi 11 avril, à l’agence tunisienne de presse TAP, Mme Hayet Guettat Guermazi, ministre tunisienne des Affaires culturelles, a confirmé que la 34ème édition des JCC sera réservée principalement cette année au cinéma tunisien pour célébrer le centenaire de sa naissance, tout en gardant pour la suite sa vocation de Festival d’envergure arabe et africaine depuis sa création en 1966, conformément aux principes fondamentaux instaurés par leur fondateur Tahar Chériâa. La ministre a surtout affirmé que cette session 2023 du Festival serait l’occasion «de commencer à repenser son format et ses mécanismes de fonctionnement futur, pour qu’elles soient en harmonie avec leur ère et leur temps»… «Le Festival prendra un nouveau départ en adoptant une conception bien étudiée et inspirée du succès des meilleures éditions précédentes», a-t-elle estimé. «Avec la mise en place d’une vision renouvelée et ouverte», a fait savoir la ministre, «le but étant d’adapter les JCC aux évolutions actuelles… tout en préservant ses fondements de base».
Suite à ces annonces, nous publions les propositions constructives émises récemment par Hichem Ben Ammar, qui est à la fois un des membres fondateurs et premier directeur artistique de la Cinémathèque tunisienne, mais aussi enseignant universitaire et auteur de plusieurs documentaires. Compagnon de longue date des JCC, Ben Ammar considère que cette amélioration et cette restructuration sont devenues nécessaires pour l’avenir des JCC, qui se sont imposées en plus d’un demi-siècle d’existence, comme une fierté de la Tunisie au niveau régional, continental et international.
Farah Medragh
L’heure est venue pour l’amélioration et la restructuration des JCC
Hichem Ben Ammar : «Le but des propositions suivantes est de consolider le positionnement des JCC dans le concert des festivals régionaux et internationaux. Les JCC sont en effet confrontées à une sérieuse concurrence.
Tiers-mondiste dès son origine, ce Festival a tenté de se dresser comme une digue face au colonialisme, puis face à la mondialisation. La défense des images produites au Sud constitue, plus que jamais, un enjeu géopolitique. La Tunisie s’est toujours prévalue de cette forme de résistance culturelle qui a, sans cesse, trouvé un formidable écho auprès du public et de la jeunesse. Ce qui distingue les JCC de tous les autres festivals, c’est bien leur engagement pour défendre une souveraineté des images. C’est donc une identité du Festival qu’il s’agit de préserver. Son originalité devrait justement résider dans le fait de se démarquer de toutes les formes de «mimétisme» constatées, par rapport aux autres festivals inscrits dans une logique hégémonique.
Or, le Festival bat de l’aile depuis des années. Il claudique par manque de professionnalisme et par perte de vision stratégique.
… Pour sauver le Festival nous proposons, sur trois ans, une politique d’austérité et de redéfinition des fondamentaux et ce par :
- Le maintien de la tenue de sessions annuelles (comme cela a été décidé en 2015).
- La nomination immédiate d’une équipe pour trois ans.
- La mise en place d’un organigramme avec des fiches de postes et un cahier de charges précis, selon des profils et des compétences permettant la compression de l’équipe.
- La création d’une Commission d’experts chargée de développer une vision prospective sur dix ans en actualisant les statuts du Festival.
- La rédaction d’un règlement intérieur fixant des modalités pour garantir l’indépendance du Festival et régir les relations avec l’administration.
- La création d’une Commission de recherche de fonds œuvrant à la pérennisation des ressources.
- La coordination avec les autres festivals du monde pour fixer la période et une date garantissant la visibilité internationale des JCC.
- L’établissement de partenariats, de jumelages et d’échanges avec des festivals homologues.
- La consolidation de la vocation africaine pour la défense des cinématographies du Sud.
- La définition des critères de sélection de films en respectant les fondamentaux du Festival dont le but est de promouvoir prioritairement les productions du Sud indépendantes locales, souvent fragiles.
- La mise en place de rencontres professionnelles ayant un impact sur l’industrie du film dans les pays du Sud.
- L’encouragement des partenariats Sud-Sud par la tenue de réunions et de panels.
- La relance des débats publics modérés par des critiques, à l’issue des films.
- La diminution du nombre trop pléthorique de Prix, en donnant une valeur numéraire conséquente aux prix officiels : les Tanit d’Or, d’Argent et de Bronze, fiction et documentaires, ainsi que les Prix d’interprétation.
- La réduction de la durée du Festival à 6 jours au lieu de 8.
- La révision à la baisse du nombre d’invités (100 par session au maximum) – La réduction du nombre de membres des jurys officiels (3 à 5 au maximum par jury).
- La réduction du nombre de films en compétition officielle (12 pour chaque catégorie).
- La diminution des manifestations parallèles «internationales» pour pouvoir concentrer légitimement l’attention du public sur les véritables sélections officielles du Festival.
- La limitation des «Focus» à un seul pays par session.
- La limitation des hommages à un seul auteur par session (Par exemple, rétrospective dédiée au président du jury, (si c’est un cinéaste), qui donnera également une leçon de cinéma.
- La valorisation des soirées spéciales au nombre de 6.
- La publication d’un seul catalogue officiel.
- L’utilisation de l’internet et des réseaux sociaux pour une communication virtuelle de masse.
- La concentration des lieux du Festival pour le public entre la Cité de la Culture et le centre-ville.
La valorisation de la salle historique du Festival : Le Colisée. - La mise à niveau régulière des salles pour un rendement technique respectueux des œuvres et des auteurs.
- Pour symboliser la volonté de réformer le Festival en l’adaptant aux conditions de l’actualité, le remplacement du tapis rouge aux relents consuméristes, par des événements festifs correspondant aux préoccupations de la jeunesse et des professionnels, serait l’image de marque dépoussiérée d’un Festival pas comme les autres, car il peut très bien faire de la pauvreté une richesse ?
Je n’ai personnellement aucune autre ambition que celle de voir cet acquis de la Tunisie survivre à la crise qu’il traverse.
Hichem Ben Ammar
*Un des membres fondateurs et premier directeur artistique de la Cinémathèque tunisienne.
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