Par Souad BEN SLIMANE – La Presse du 2 mars 1990
Le vieux port de Bizerte a fait un voyage dans le temps… En médaillon, le réalisateur Ian Pringle et à droite Mathilda May, accoutrée en Maghrébin…
Bizerte. Lundi 26 février.
Dans cette ville du Nord, une équipe «cosmopolite» de cinéastes débarque, occupe le vieux port et les environs, implante ses décors, repeint les murs, installe ses salons de maquillage et ses dépôts de costumes et des barrages pour que réalité et fiction ne soient pas confondues.
Dans l’après-midi lumineuse on s’apprête à tourner «Isabelle Eberhardt à la recherche de l’oubli» d’après un scénario de Stephen Sewell, avec Ian Pringle, réalisateur australien.
Non loin du vieux port, dans une ruelle de la Médina, on donne le clap.
Presque méconnaissable, l’actrice française Mathilda May, déguisée en homme, marche avec assurance et entre dans un endroit indiqué par une pancarte : imprimerie de Barrucand.
Barrucand, c’est à lui qu’Isabelle Eberhardt, écrivain et journaliste russe, a confié ses articles dénonçant les phantasmes de la colonisation.
Fin de la dernière prise de vue. Dans le même décor, on change de plan et on ramène les figurants. Ces derniers doivent passer dans la ruelle pour simuler un mouvement de foule.
Le tournage dure jusqu’à 19 heures.
Entre-temps nous sommes autorisés à bavarder un peu avec le réalisateur Ian Pringle, qui avec «Isabelle Eberhardt» tourne son quatrième film de fiction.
En 1983, il met en image «The plains of Heaven» (Premier Prix au Festival de Mannheim).
En 1985, il réalise «Wrong World» (2° Prix de la meilleure actrice au Festival de Berlin) et en 1988, il porte sur l’écran «The prisoner of St Petersburg», sélectionné au Festival de Cannès 89.
Pourquoi a-t-il choisi de réaliser l’histoire d’Isabelle Eberbardt ?
À question classique, réponse simple : «Parce que justement, il s’agit d’une histoire simple, mais très passionnante : la vie extraordinaire d’une personne qui ne sait pas ce qu’elle veut et qui décide d’aller chercher ailleurs son destin».
Isabelle Eberhardt supportait mal de vivre à Paris lorsqu’elle décida de quitter l’Europe, déguisée en homme, pour satisfaire un désir d’Orient.
L’histoire du film est censée avoir lieu en Algérie. Pour des raisons de production, une grande partie sera tournée pendant dix semaines, à Tunis (en banlieue Nord), à Bizerte et au Sud de la Tunisie (Jerba, Tozeur, Douz et Douiret).
Environ quarante techniciens tunisiens : assistants, décorateurs, peintres et menuisiers, sont engagés par Phénicia-Films (prestataire de service) pour participer à l’exécution de l’œuvre coproduite par Seon Films d’Ian Pringle (Australie), les films Aramis et Flash Films (France).
Cela a l’air d’un film à gros budget. Selon Phénicia, environ 2 milliards seront dépensés en Tunisie. À part Mathilda May, le générique est rehaussé par la présence de Peter O’Toole, la grande star britannique qui a déjà tourné en Tunisie «Le Pirate» avec Polanski.
Ian Pringle affirme que le choix de Peter O’Toole n’est aucunement commercial, mais justifié par le fait que c’est un acteur dont la classe n’est plus à démontrer et qui s’accorde parfaitement au profil du personnage.
Peter O’Toole rejoindra l’équipe vers la deuxième quinzaine du mois de mars. À ses côtés, une pléiade d’acteurs tels que Tcheky Karyo, (acteur dans «L’Ours» de Jean-Jacques Annaud et «Nikita» de Luc Besson le réalisateur du «Grand bleu»), Claude Villers et des acteurs tunisiens, notamment Hichem Rostom, Ahmed Ben Smaïl, Noureddine Bouselmi et Taoufik El Ayeb.
20H30, retour sur le plateau, on filme l’arrivée d’Isabelle Eberhardt sur le port d’Alger.
Au vieux port de Bizerte, des passants forment le plus insolite échantillon de personnages qu’on puisse voir ensemble : des femmes et des hommes, type européen, habillés de pied en cap en costumes d’époque (1900) côtoient des silhouettes d’«autochtones» en burnous et djellabas.
«On embarque les passagers !», crie le premier assistant français dans le haut-parleur, l’assistant tunisien traduit pour ses compatriotes figurants.
Mathilda arrive au dernier quart d’heure, habillée à la garçonne, quand tout est en place. Le metteur en scène lui donne les directives…
Difficile d’obtenir le silence.
De l’autre côté du vieux port, les badauds surexcités n’arrêtent pas de faire des commentaires en voyant leurs amis (marins et marchands) voyager dans le temps…
Ambiance plateau tendue. L’arrivée d’Isabelle Eberhardt sur «le port d’Alger» est une séquence importante qui tiendra l’équipe pendant six heures, jusqu’à trois heures du matin.
Dans la barque, Isabelle est au milieu et discute avec les passagers. Sur le quai, conformément aux ordres des assistants, le reste de l’équipe se met contre le mur du rempart pour laisser le passage aux figurants.
Sur une petite passerelle installée pour la circonstance, la caméra guette l’arrivée d’Isabelle.
On répète, on tourne, on retourne et on refait.
C’est le cinéma.
Entre deux prises, nous échappons en courant à son emprise.
Vu de loin, le film annonce déjà sa couleur : un camaïeu allant du beige au marron, en passant par les demi-teintes d’ocre, de bois de rose et de sable.
Sortie fin 90.
Souad BEN SLIMANE
Source : La Presse du 2 mars 1990
Poster un Commentaire
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.