Par Haithem HAOUEL – La Presse de Tunisie – Publié le 28/11/2021
C’est à l’espace Léon Vergnole à Nîmes, en France, qu’a eu lieu le vernissage de l’exposition «Tourments» de l’artiste tunisienne Hope Mokded. L’événement s’est déroulé le 25 novembre 2021, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
L’exposition est accessible jusqu’au 29 novembre 2021 par l’association «l’Art en contre» en partenariat avec l’association Amaos. «Les tableaux de l’artiste reflètent l’expression de la douleur, la souffrance, les drames conjugaux, les crimes passionnels, la torture, les cauchemars, la mort, le deuil, l’avortement et la perte», cite le communiqué. Autrement dit, toutes sortes de calvaires ou d’épreuves difficiles vécus par les femmes. Hope Mokded exprime les violences visibles et invisibles infligées, mentales et physiques, pousse les visiteurs curieux à agir en les sensibilisant contre toute forme de torture, et dénonce à travers ses œuvres ces comportements toujours très courants de nos jours, aussi fréquents que les féminicides. L’artiste, à travers son travail engagé, dénonce l’indifférence de la société, gangrénée par le patriarcat.
Hope Mokded prend la parole
«J’ai pris le parti de revenir à la figuration, ce qui me permet de confronter le spectateur à son voyeurisme, pour lui donner la possibilité d’agir. J’ai donc décidé de représenter des corps fragmentés, disloqués, ce qui m’a permis de faire apparaître des traces de violence tels que les bleus et l’excision comme preuves de cette violence physique, psychique et/ou morale. La société banalise ces violences par son indifférence du vécu des femmes, en privé comme en public, générant ainsi tortures et féminicides encore à notre époque.
Mes peintures expriment la passivité de notre société sourde, négligeant les cris des femmes et cautionnant le système patriarcal machiste. Mes peintures représentent l’expression de la douleur, de la souffrance, des drames conjugaux, des crimes passionnels, la torture, les cauchemars, la mort, le deuil, l’avortement et la perte. J’essaye de mettre en scène la victime de violence dans un espace qui correspond à son chagrin, sa sensation de perte, de choc, d’abandon, de défaite et de vertige. Cet espace intérieur représente le lien de la femme avec le privé et l’intime, enfermée dans ces lieux clos, cachée au regard du quidam, soulignant de nouveau l’oppression de l’homme sur la femme.
Dès qu’elle revendique le droit de sortir dans l’espace public et d’exprimer à haute voix ses droits, elle est attaquée et traitée de sorcière, ou tout simplement marquée dans sa chair par les traces d’une volonté de dominer totalement son corps et son esprit. L’enferment pour elle devient inévitable. Abandonnée par son entourage, chutant dans un gouffre, elle est seule pour réapprendre à vivre, survivre, avec ces séquelles et avec ses traumatismes pesants. Parfois même l’ultime peut surgir, la mort comme issue possible. Dans ce gouffre, elle est représentée, les seins sectionnés, ce qui illustre une partie de soi coupé et le regard biaisé sur soi-même, illustrant cette perte de l’estime de soi, la perte de confiance dans la personne qu’on aime, la sensation de culpabilité et de mal-être, le cœur coupé, déchiré.
Je fais appel ici au symbolisme renforçant le sentiment d’évidence du spectateur. Il n’est plus possible pour lui de se dérober. Mon choix de reprendre certaines œuvres connues d’artistes, tels que Bacon ou Van Gogh, participe aussi à capter le regard du spectateur qui ne peut plus s’échapper : il ne remarque plus que les différences montrant de manière cru le traumatisme sous-jacent. L’artiste agit dans l’air du temps à travers ses peintures engagées.
Focus sur Hope Mokded
Hope Mokded a fait ses études à l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Tunis – spécialité gravure – et a obtenu un master de recherche en arts plastique à Strasbourg, à travers lequel elle a axé ses réflexions sur la problématique de la violence invisible, qu’on pourrait définir comme une violence sociétale acceptée, ainsi que sur comment une artiste et femme peut créer une trace de cette violence afin de la rendre intelligible.
Elle vit et travaille à Paris et a fait ces dernières années des expositions personnelles et collectives. Elle a travaillé dans le cadre du festival «Cineffable» à Paris, du Workshop «C’est quelque part par-là» au Syndicat Potentiel à Strasbourg, a participé à une exposition au Ceaac nommée «There is no place Iike home». Elle a, à son actif, une installation photographique «Chaos Échos» et a enchaîné avec une exposition personnelle à la station Lgbti Alsace «Végétations». Elle fera partie d’une exposition collective au Festival d’art féministe de Strasbourg, le Femfest : «Subjectivité féminine».
L’artiste tunisienne a également réalisé des films, participant ainsi à de nombreux festivals et événements tels que le festival «Art féministe – Chouftouhonna», en 2016 à Tunis, avec son court-métrage «Brume», et grâce au film «Le Bleu de tes yeux», elle a pu enchaîner avec le festival «Printemps culturel tunisien à Paris», le «Festival international du film amateur de Kélibia (Fifak)», ainsi que le festival «For the 4th edition of Olhares Mediterrâneo» à Lisbonne.
Source : https://lapresse.tn/
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