Par Asma DRISSI – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 11-03-2012
Souriez, vous êtes à Jebel Jeloud !
Il s’appelle Abdallah Yahia, son nom ne dit pas grand-chose à la plupart d’entre nous, et ce n’est pas plus mal. Il fait partie de ceux à qui la révolution a permis de réaliser des rêves, ceux qui ont choisi le silence durant des années et se sont abstenus de porter une caméra et réaliser des films, en espérant qu’un jour le film de leur vie ou celui qui déclenchera un vrai processus créateur, pourrait voir le jour.
Il s’est certainement battu pour se frayer un chemin dans le milieu du cinéma, l’assistanat était son métier, il aidait à réaliser les films des autres. Abdallah Yahia ne se revendique pas militant, encore moins résistant, c’est un jeune parmi tant d’autres de sa génération qui s’accrochait à ce corps de métier pour la part de rêve qu’il offre. Sans plus.
Il fallait bien un déclic, une histoire qu’on raconte, qu’on nous pose la question sur la genèse d’un film. Et ce fut une rencontre avec un professeur de théâtre et une caravane que les lycéens de Jebel Jeloud préparent pour le village de Essray (gouvernorat de Kasserine) au mois de mars 2011.
De cette caravane s’est déclenchée la belle et bouleversante aventure de We are here, fraîchement primé aux Rencontres annuelles des réalisateurs de films.
Ce qui est touchant dans ce film documentaire, c’est qu’on est en train de découvrir, au même moment que le réalisateur, ce monde étrange, obscur, d’un quartier de Tunis que tout le monde connaît certainement de nom, mais personne ne le connaît vraiment. On entend parler de misère, certes, de chômage bien entendu, de drogue, de délinquance, d’extrémisme, de violence, de tous les maux possibles et imaginables. Sauf que le réalisateur n’en fait pas une fixation. Les choses semblent venir naturellement à lui. Personne ne cache sa misère et sa détresse, on n’a même pas besoin de la chercher. On la voit dans chaque plan, dans chaque mouvement de caméra. Ces gens-là n’ont peur de rien. Mais au-delà de tout cela, We are here est, comme le dit très bien le titre, un cri : «Nous sommes ici, nous faisons partie de ce pays, nous avons les mêmes droits que tout citoyen…».
Le film, en fait, ne caresse pas dans le sens du poil, ne diabolise personne et ne juge personne, pourtant la criminalité est bel et bien visible à l’œil nu. On assiste à des séquences de vente de cachets hallucinants, du cannabis, de scènes violentes d’automutilation… mais tout cela n’empêche pas, dans le film d’Abdallah Yahia, une vraie vie, pas le rêve, d’exister. Une énergie positive s’en dégage, les jeunes de ce quartier portent l’espoir, s’accrochent à l’éducation, à la musique et aux arts, les filles portent le voile et ça ne les empêche pas de rapper.
Étonnant tout de même, ce film qui, malgré l’abondance de la matière filmée, ne tombe pas dans le racolage, il essaye d’éviter à tout prix toute possibilité d’inspirer un sentiment de pitié, encore moins de jugement. Il faut dire qu’au bout de huit mois de tournage, la caméra d’Abdallah Yahia est devenue certainement si familière qu’elle disparaît facilement dans le paysage.
Les axes du film sont nombreux, les professeurs, les élèves, la caravane et la collecte des fonds, et les musiciens-rappeurs… avec pour arrière-fond tout ce qui a été développé plus haut.
Le talon d’Achille du film reste toutefois l’utilisation à outrance de la musique. Déjà We are here consacre une grande partie aux rappeurs de Jebel Jeloud, une musique qui accompagne bien l’univers filmé. Parfois même on y trouve de belles recherches qui fusionnent les sons métalliques du quartier à des rythmes de rap. Mais quand le réalisateur en rajoute une touche, en intégrant d’autres musiques, d’autres univers sonores, on s’y perd un peu et la musique devient parasitaire plus que bénéfique.
Toujours est-il que ce réalisateur a réussi un défi de taille en ne perdant pas de vue une certaine poésie dans son traitement, en essayant de créer un leitmotiv porteur d’espoir avec ce petit garçon «Bayrem» qui arpente les rues du quartier à vélo. C’est avec lui que le film s’ouvre et se ferme en nous tournant le dos et en regardant «Jebel Jeloud». Peut-être un clin d’œil à «Handhala», le petit garçon, personnage du caricaturiste palestinien Néji Al Ali. Bayrem tourne le dos au monde et regarde son quartier en évoquant ses rêves, vendeur de pneus, son espoir que son père revienne, son désir daller en Italie et tant d’autres rêves de petit garçon, qui s’écrasent sur une autre réalité, celle des adultes qui pensent que devenir footballeur vaut mieux que vendeur de pneus et que son père n’a pas intérêt à rentrer au pays où il fait mauvais vivre.
Auteur : Asma DRISSI
Ajouté le : 11-03-2012
Source : http://www.lapresse.tn/
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