RAOUF BEN YAGHLANE AU THÉÂTRE MUNICIPAL DE TUNIS : L’ALCHIMISTE DU RIRE

Par Salem TRABELSI – La Presse de Tunisie, 20 mars 2005

Raouf Ben Yaghlane a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps, notamment après l’émission diffusée sur Hannibal TV. On retiendra au moins de cette interview qu’il existe un autre genre d’humour que le populiste, un rire qui, selon l’acteur, est semblable à une institution capable d’élever le spectateur d’un niveau à un autre. C’est peu dire pour certains, mais pour le commun des spectateurs, savoir qu’il existe un rire de consommation et un rire constructif, c’est une information de taille.

Ce rire-là on le découvre, ou on le redécouvre, dans la pièce «Naâbar ouala man-aâbarchi» de Raouf Ben Yaghlane, présentée jeudi, vendredi et samedi au Théâtre municipal. Sous cette nouvelle mouture d’une durée de 2h15, le personnage composé par Raouf Ben Yaghlane est un anonyme dans la foule, qui se cherche et qui cherche à connaître les origines de son mal. «Il faut s’exprimer pour guérir» fut la réponse du médecin. Mais l’entreprise est terrifiante pour ce personnage plein de complexes. Comment s’exprimer, alors que notre éducation familiale nous a «programmés» dès l’enfance à avoir peur des mots ? Et le personnage raconte. Il raconte une vie peu rose et très rosse. Un monde où se confrontent la chair des hommes et des femmes, individus sexués prêts à darder les griffes qu’ils ont à peine rentrées au bout de leur regard, prêts à avancer. Tout d’un coup, le pied pour faire trébucher l’autre. Il raconte les agaçants comportements de cette faune pas si rare et qui succombe à la tare du corps qui jusque-là ne connaît pas sa grammaire, ne trouve pas le chemin de son verbe. Un corps qui continue pourtant à faire corps avec les positions de ses semblables, ses consensuels frères humains.

Mais que reste-t-il lorsqu’on fait abstraction du thème de la pièce ? Il reste surtout l’art et la technique de tenir le public en haleine et d’en extraire un rire pas comme les autres, parce que c’est un rire ontologiquement possible. Un public qui rit n’est pas forcément un public chatouillé, c’est aussi un public mis devant ses propres contradictions et ses propres paradoxes. D’où ce rire qui monte jusqu’aux neurones, sans aucune sous-mesure carnavalesque.

Par Salem TRABELSI

Source : La Presse 20 mars 2005


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