LE BAIN, D’ANISSA DAOUD, RETOUR DU REFOULÉ

Par Adnen JDEY – nawaat.org – 15 novembre 2020.

Avec «Le Bain», Anissa Daoud met en scène un père désemparé devant son fils. Mais l’aspect sous cloche du récit retient en otage, plus qu’il ne met en jeu une vérité inavouable. Ce court-métrage est en compétition à la 26° édition du MedFilm Festival qui se tient à Rome, du 9 au 20 novembre 2020.

Nouveau petit chapitre au dossier qui a fait revenir des pères sur le fil dans les fictions tunisiennes depuis 2011 (voir ici, ici et ici par exemple), Le Bain se fait fort d’en déjouer l’attente. Si l’on a intérêt à ne pas le déflorer, c’est moins parce que ses qualités se situent là où il aimerait nous conduire, que parce qu’il réclame sa part d’opacité et de suspens. L’intérêt de ce court-métrage de fiction réside dans sa capacité à voir un peu plus grand que d’habitude. Si Best Day Ever, son premier court de 2018, étrille l’apparente cohésion familiale en y injectant un bouquet de malentendus, Le Bain traverse la matière de son refoulé en s’engageant sur une autre pente. Ici, Daoud ne lésine pas sur ses moyens. Elle tient la barre de l’attention à égale distance du secret et de l’énigme.

Mais Le Bain qu’elle aménage pour ses personnages n’est pas fait pour qu’ils baignent dans leur jus. Tout est là, moins dans le squelette que dans le traitement. Tout, c’est-à-dire la tranche de vie qu’elle coupe pour Imed, un père qui se retrouve pour quelques jours, et pour la première fois, seul avec son fils de cinq ans. Mais tout, c’est-à-dire aussi ce dont la dramaturgie a besoin pour placer face à lui-même ce jeune papa qui va devoir affronter ses peurs profondes. Au programme, pourtant, autre chose qu’un drame paternel à sous-munitions lacrymales ; autre chose qu’une caméra en pilote automatique. Daoud ose les détours, en allant un peu plus loin avec son lot d’effets-miroir entre deux points de vue. Mais c’est plutôt sur une crête qu’elle s’attelle, mine de rien, à un travail ingrat : entretenir tout au long du film le feu d’une vérité saillant sur la grisaille, quelque chose qui fait résistance et qu’elle distille sans forcer, non pas au-delà de ce qu’on espérait dans nos prévisions, ni en-deçà de ce que l’on ne connaît que trop.

Enroulé autour de ce père un peu désemparé, Le Bain n’avance pas en vase clos. Entre la silhouette minuscule de l’enfant, et le visage tourmenté du père campé par Mohamed Dahech qui ne démérite pas, se tisse une natte de champs-contrechamps ambivalents. Si cette oscillation fait qu’il réagisse bizarrement, ou qu’il laisse sa détresse poindre sur son visage, le père fait face à de possibles projections. C’est qu’une fois le refoulé de retour, le film accule ce père dans une sorte d’angle mort psychologique qui réorganise le récit en son milieu. Il n’en reste pas moins dévolu à un crescendo, entre ellipses et sautes, selon une logique de suspensions qui n’étreint que par instants. Lestée de tels effets, il suspend sa dramaturgie à une forme diffuse d’étrangeté venant appuyer une mise en scène calquée sur la mécanique allusive, avec l’alternance de la courte et la longue focale, mais laissant place à une sorte d’échappée onirique. Bien que quelque chose résiste en permanence au trop-plein qu’il fait sourdre, le père se perd parfois dans une sorte de rêve éveillé, marqué par un désemparement latent qui enfonce le clou et rend encore incertain le rapport à son enfant. Le film se loge dans ce flottement comme si Anissa Daoud faisait tenir dans un numéro d’équilibriste l’ambivalence extrême des sentiments.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour un court-métrage qui se maintient à l’état d’eau frémissante, Le Bain avance avec un autisme forcené sans pour autant se hâter vers une fin désignée. Mais c’est aussi sa limite : ce n’est pas que le film manque de potentiel narratif, mais son aspect sous cloche semble retenir en otage une vérité plus déglutie que humée, en écho à l’opacité des raisons derrière laquelle elle se retranche. Il aura fallu supporter cette volonté de charger la vérité comme si elle refusait l’interprétation, pour tolérer ce qui dessert un peu le film. Mais rien de grave. D’un côté à l’autre, flotte un corps d’écriture non dénué d’une honnête poigne comme le cinéma sait l’être quand il filme la fragilité, à l’image du travelling final qui, en deux pas avant un pas arrière, vient refermer et rouvrir l’alliance de deux corps. Ne faisons donc pas la fine bouche : Daoud a voulu échapper à la gamelle, et Le Bain le lui rend bien.

Source : https://nawaat.org/


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