ZOOM SUR LA SATPEC – REPORTAGE

Par Rachida Enneifer – La Presse de Tunisie du 20 janvier 1989.

La Commission d’assainissement de la SATPEC (Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique) vient de présenter son rapport au gouvernement, lequel, dans un conseil interministériel a pris une série de décisions pour mettre fin à une controverse qui n’a que trop duré. La SATPEC continuera à exister, mais elle ne sera plus qu’une société de prestations de service. Au-delà du débat, pour ne pas dire du tollé, soulevé par cette décision (voir ci-dessous l’article «Qui assurera la production»), il y a lieu de regarder de près cette entreprise qui a une trentaine d’années d’existence, un âge qui aurait pu faire d’elle une institution.

Mis à part la luminosité dégagée par les indications chiffrées, c’est l’obscurité totale. Une voix, celle de M. Mohamed Habib Larif, monte des ténèbres pour nous expliquer le principe du fonctionnement de la tireuse 35 mm sur laquelle il travaille depuis une vingtaine d’années. La TCI permet l’immersion totale du film original et de la copie. Elle garantit ainsi non seulement une qualité maximale, mais elle assure également un fonctionnement sans balles».

Fatiguant ce travail ? «On finit par s’y habituer», nous fait remarquer notre interlocuteur. «Nous étions trois. Maintenant nous ne sommes plus que deux, du moins théoriquement. Le travail dans l’obscurité pendant des heures prolongées ne comporte pas de grands risques. C’est plutôt la respiration de produits chimiques dans un endroit exigu et manquant d’aération qui risque d’avoir des effets néfastes».

Au moment où il terminait ces propos, la lumière fut. Une des huit copies du film algérien «Les Portes du silence» était fin prête et M. Mohamed Habib Larif pouvait se permettre quelques instants de lumière, en attendant que le service développement lui délivre la pellicule.

Dans ce dernier service, les deux machines de développement négatif et positif ne chôment pas. Les images de «Leïla ma raison» de Taïeb Louhichi se succèdent pèle-mêle. Elles subiront toutes sortes d’analyses et d’étalonnage avant de constituer des rushes pouvant être visionnés. Sur la machine d’à côté, le film d’une autre copie de «Les Portes du silence» fait son chemin. Le personnel, quatre en tout avec l’ingénieur-chimiste, surveille de près la marche des machines qui donnent l’air d’être en bon état.

«Le seul problème, ce sont les pièces de rechange. Nous ne disposons pas d’un stock suffisant et nous sommes amenés parfois à forcer la main à la technique pour ne pas faire perdre trop de temps à nos commanditaires», nous précise l’ingénieur-chimiste, tout en continuant son va-et-vient entre le service sensitivo-moteur et d’analyse et celui de développement.

À l’auditorium, les techniciens sont du même avis. «La défectuosité ou le non-perfectionnement de certains appareils fait que nous perdons parfois du temps, mais sur le plan de la qualité nous sommes irréprochables, nous fait remarquer M. Alouani. Presque tous les films tunisiens ont été mixés ici et on ne peut pas s’en plaindre. D’ailleurs, le mixage et le bruitage du film «Arab», effectués en France, sont loin d’êtres performants. Je dirais même qu’on aurait pu avoir de meilleurs résultats à Gammarth».

Mais si les performances humaines réalisées par un personnel ayant derrière lui de longues années d’expérience ne sont plus à démontrer, les machines quant à elles commencent à accuser des signes sérieux de vieillesse. Le projecteur 16 mm est pratiquement inutilisable.

La machine d’enregistrement commence à souffrir d’être toujours l’unique. Il n’existe pas de décodeur de bandes, ni de projecteurs marche-arrière et marche-avant, ni de trois-pistes…

La liste est longue et le constat est unanime : la détérioration de plus en plus manifeste des services rendus par la SATPEC en matière de sonorisation. D’ailleurs, le producteur de «Les Sabots en or» a sollicité les services d’une société privée tunisienne pour assurer le mixage et le bruitage de ce film sollicité par Cannes 89 pour la compétition officielle.

M. Ali Zaïem, président-directeur général de la SATPEC tient le langage de la franchise : «Dans l’immédiat, nous cherchons à maintenir les laboratoires en bon état et améliorer les moyens de production. Pour ce qui est de la sonorisation, il y a deux sociétés privées qui démarrent. Si elles donnent satisfaction, nous ne voyons pas pourquoi la SATPEC, qui est étatique, continuerait à prendre en charge un service assuré par les privés. N’est-ce pas là la nouvelle politique de l’État».

Améliorer le matériel de prise de vues (la caméra que détient la SATPEC et qui est la plus performante de toute la Tunisie commence à devenir vétuste) et l’état des laboratoires est la priorité identifiée par la direction. Mais avec quels moyens, lorsque l’on sait qu’après les quelque six milliards de dettes épongées par l’État, la SATPEC a encore à passer 1 milliard 300.000 dinars au profit de ses créanciers privés. Le procès-verbal du conseil interministériel est à ce propos assez clair. L’État s’engage à accorder des subventions pour les besoins du développement des activités de tournage et de laboratoires.

Une délégation du ministère des Affaires culturelles se trouverait actuellement en Tchécoslovaquie pour acquérir éventuellement du matériel, un matériel qui est en sa majeure partie largement amortie.

Installés en 1967 pour développer les actualités, les laboratoires de Gammarth ont subi une seule opération de transformation en 1983 avec l’introduction de la couleur. L’essentiel du matériel ainsi que le personnel n’a pas subi de grands changements, sauf qu’avec le temps, on a gagné en expérience et perdu en capital humain et technique.

Résultat, la SATPEC qui a démarré en 1962 (sa date de naissance légale remonte à 1957) avec la production des actualités dans les laboratoires étrangers, la distribution et l’exploitation des films a vu, dans un premier temps, l’éventail de ses activités s’élargir avec la dotation de laboratoires noir et blanc et couleur pour, par la suite, connaître un mouvement de courbe descendante. Suppression du monopole de distribution, ensuite de l’activité de distribution elle-même, puis d’exploitation qui doit se concrétiser avec la vente des dernières salles qui appartiennent à la SATPEC et de la limitation des activités de production au tournage et au développement.

Les raisons sont les déficits accumulés par la société depuis 1968, de l’aveu même de son directeur financier. «On avait été bénéficiaire jusqu’à l’installation des laboratoires».

Faut-il alors remonter la machine du temps et revenir à la «belle époque» où la SATPEC assurait la distribution et l’exploitation d’un grand parc de salles. M. Ali Zaïem n’en demande pas tant. «J’aurais aimé que la SATFEC conserve au moins la salle Hani Jawharia. Car le seul argent liquide est celui que rapporte l’activité d’exploitation. Une moyenne de 6 à 7 mille dinars de recettes par semaine, qui seront désormais un manque à gagner à partir du jour où les salles seront vendues. Et la décision vient d’être prise à haut niveau».

Cette décision a sûrement ses raisons, mais que la raison cinématographique ne connaît pas. Il est reconnu internationalement que la production cinématographique est loin d’être une activité rentable au sens financier du terme. L’aide de l’État est indispensable, mais sous quelles formes un schéma vient d’être retenu ? Est-il le meilleur ? C’est difficile de l’affirmer. Mais une chose est sûre, c’est que sur les hauteurs de Gammarth, là où les pères blancs venaient se recueillir, une société a été créée, il y a de cela trente ans. Cette société a contribué au développement du cinéma tunisien : une quarantaine de longs-métrages et une centaine de courts-métrages.

Actuellement, de l’aveu de son directeur technique M. Chérif Bousnina, cette société dans le meilleur des cas utilise entre 50 et 60% de ses capacités. Comment faire pour que la SATPEC travaille à plein rendement et rayonne sur le cinéma tunisien et le cinéma maghrébin pour ne pas dire arabe. Le chemin est encore long, très long et le dossier SATPEC, qui semble être sérieusement pris en charge par les autorités, ne doit pas être fermé de sitôt, tout autant que cette précieuse filmothèque qui renferme quelque 15.000 boîtes de films qui remonte à 1923. La dernière découverte faite est un film sur les jeunes recrues de Saint-Cyr en 1956, dont M. Zine El Abidine Ben Ali. C’est dire qu’il y a encore du travail à faire et des moyens à fournir, car le cinéma c’est la culture de cette fin de siècle mais c’est aussi toute une mémoire.

Rachida ENNEIFER

La Presse de Tunisie du 20 janvier 1989


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