QUAND LE CINÉMA TUNISIEN COMMENCE À ASSUMER SA PROPRE HISTOIRE !

Anas dans un conte de faits

Le documentaire à l’affiche

Sayda Ben Zineb – Le Temps – Mercredi 28 décembre 2016.

«Zaïneb n’aime pas la neige» de Kawther Ben Hania, (actuellement sur nos écrans), qui  s’inscrit dans la lignée du documentaire narratif, n’est pas sans rappeler un long-métrage documentaire de Hichem Ben Ammar «Un Conte de faits», (Kène Ya Makène Fi Hadha Ezzamène), présenté en 2010 et assez vite escamoté par les événements de la Révolution. En effet, on ne peut s’empêcher de penser que les deux films ont de nombreux points communs.

Zeineb n’aime pas la neige

D’abord leur mise en œuvre a pris un long temps avec des tournages discontinus et patients dans des pays différents. C’est ce temps exigé par les étapes de l’observation de leur sujet qui leur confère, d’ailleurs, à tous les deux, une profondeur et une indéniable densité ce qui, par la même occasion, donne respectivement aux récits de ces films, la possibilité de se développer naturellement, épousant les aléas du quotidien et s’adaptant aux tournants décisifs du parcours des êtres. Si le film de Hichem Ben Ammar a mis trois ans à se faire entre Tunis, Londres, Paris et Bruxelles, celui de Kawther Ben Hania a pris six ans, au cours desquels une véritable histoire se développe entre Sidi Bouzid et Montréal.

Cette persévérance, qui fait ressembler le cinéma à une course de fond, rapproche l’art de la vie dans la mesure où l’accompagnement d’un personnage donne lieu à un enseignement issu de l’identification et des projections de l’observateur lui-même. Ainsi, le documentaire est vécu comme une édification, une initiation, une thérapie d’où les filmeurs et les filmés sortent enrichis, transformés par une expérience forte. La caméra joue le rôle de catalyseur induisant la formidable spontanéité des réactions qui crèvent l’écran. La relation de proximité est établie dans les deux cas sur la base d’une confiance obtenue au fur et à mesure du tournage. Dans les deux films, la caméra fragile trouve peu à peu sa place et la bonne distance par rapport au sujet. Il s’agit, d’un cas à l’autre, d’une intrusion, à pas feutrés, dans l’intimité de familles tunisiennes de la middle-class pour en révéler les arcanes et le fonctionnement, les préoccupations et les aspirations.

La pudeur, toujours de mise, assure la permanence d’une émotion délicate. Réalisés avec l’intelligence du cœur, les deux documentaires relatent le destin de deux enfants tunisiens qui se joue respectivement entre deux continents et surtout, entre deux modes de vie. Anas, virtuose du violon doit dans «Un Conte de faits» de Hichem Ben Ammar, affronter une nouvelle existence dans un internat londonien, à la Yehudi Menuhin School, alors qu’il n’a même pas onze ans. Zaïneb, orpheline de père et personnage central du film de Kawther Ben Hania, doit, quant à elle, à l’âge de neuf ans, suivre sa mère qui se remarie avec un homme vivant au Canada. Dans les deux situations, un arrachement précède le choc des cultures qui constitue la problématique principale tandis que la question de l’intégration en Occident, d’enfants de culture musulmane, est soulevée par ricochet, invitant à la réflexion.

Faisant écho à «Un Conte de faits» qui a en quelque sorte préparé le terrain, «Zaïneb n’aime pas la neige» vient montrer que le cinéma tunisien est conscient de son histoire et que les films peuvent, en s’inspirant les uns des autres, fonctionner selon des dispositifs semblables et se répondre pour tracer un sillon, voire même, faire école. Cela s’appelle la maturité.

Le documentaire narratif impose ainsi sa démarche minimaliste et exigeante, et acquiert ses lettres de noblesse puisque les deux films ont été primés internationalement et rencontré un chaleureux accueil du public local. Le rôle du critique est de le rappeler, de le constater et de s’en réjouir en montrant que les films tunisiens assument désormais une sorte de parenté, s’inscrivant clairement dans la filiation et que notre cinématographie est enfin en mesure de construire sa cohérence, cessant d’être une série de tentatives éparses.

Sayda Ben Zineb

Source : http://www.letemps.com.tn/


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire