Par D. Ben Salem – La Presse de Tunisie | Publié le 08.03.2012.
Il s’agit d’un court-métrage sous forme de documentaire autobiographique. Ridha Souli y trace son parcours : celui d’un combattant pour le droit à la dignité, à la liberté d’opinion, aux droits en tant que citoyen tunisien et au sentiment d’appartenance à la patrie. Retour sur un film qui a décroché un Prix au Festival international du Film amateur à Kélibia. L’écran s’ouvre sur des chaussures poussiéreuses, qui semblent entretenir avec la terre une relation étroite. Des pas hésitants s’avancent, lourdement. La marche qui, pourtant, compte parmi les actions les plus évidentes, voire banales, acquiert un aspect «héroïque». Le monsieur sur lequel repose toute l’histoire est amputé des deux jambes. À l’aide de ses béquilles, il avance dans une avenue quasi déserte, où les lumières et les enseignes du soir, plutôt que de conférer à la rue une ambiance de fête, ne font qu’accentuer sa tristesse, rappelant à l’homme son combat solitaire.
Ridha Souli met en avant sa mère, une septuagénaire qui vient de quitter l’hôpital où elle a séjourné suite à un malaise cardiaque. Yamina Riahi a du mal à entendre, mais son insuffisance auditive n’atténue point son attachement aux valeurs pour lesquelles elle aurait tant souhaité lutter, devenir juge et contribuer à la défense, voire la garantie des Droits de l’Homme.
Certes, à défaut d’études, ce rêve n’a pu voir le jour. Toutefois, cette femme a su inculquer à son fils Ridha l’attachement à la liberté, au droit et à la patrie. C’est que la vie lui a bien appris les règles de l’arène. Et même si le bonheur s’est peu à peu éclipsé, suite à une série de deuils, même si son cœur craque parfois, la dame, tel un palmier, relève la tête après chaque orage. Ridha rend hommage à sa génitrice, comme s’il rendait hommage à la vie, toute peinte d’amertume et de sourires. Il faut dire que la vie lui a réservé plus d’amertume que de bonheur. À cinq ans, il souffre déjà d’un diabète tellement costaud qu’on finit par l’amputer des deux jambes. Le documentaire ne s’est pas attardé sur l’atrocité de cette réalité. À aucun moment Ridha n’a étalé son malheur comme un motif d’auto-victimisation. Pour lui, l’amputation a aussitôt pris l’aspect d’un défi. Il a remplacé ses jambes par des prothèses. Il a accepté sa situation avec autant de lucidité qu’il a fini, un an après, par rouler à vélo comme à l’accoutumée.
Ridha a tenté un tant soit peu de décrocher l’autre face de la médaille de la vie, à savoir le sourire. «Ridha est un homme extraordinaire. Il bouge beaucoup, milite, rit… Il est très actif. C’est un homme aimable. Il est l’un des rares hommes qui accordent à la femme son mérite. Mais les femmes ne veulent pas d’un homme handicapé. Et à chaque fois, son bonheur tombe en ruine…», indique Najiba Bakhtri, une amie de longue date.
Complice de la vie, l’amour n’a pas été de son côté. Là encore, Ridha accepte sa réalité et au lieu de solliciter l’affection, il la développe. L’amour qu’il voue à sa famille, à ses ami(e)s, à sa patrie, ainsi qu’à sa patrie spirituelle (la Palestine), lui procure un bonheur apaisant. «Je me souviens du jour où j’ai participé à la manifestation de soutien à Gaza. J’étais assis sur ma chaise roulante, entouré de 3.000 manifestants. Là, je me suis senti comme si j’étais à Gaza. Je n’aurais probablement pas éprouvé ce sentiment et ces émotions si je n’étais pas handicapé», avoue-t-il, ému.
Certes, son courage et son attachement à la vie lui valent le sourire qui illumine son visage et la bonne humeur qu’il répand autour de lui. Toutefois, Ridha n’a jamais prévu les effets d’une autre amputation encore plus stérilisante, celle notamment de la non-tolérance sous toutes ses formes.
En effet, Ridha Souli figurait, sous l’ancien régime, sur la liste des damnés. Il s’affichait, naturellement et tout bonnement, comme un opposant. Ce choix idéologique, pourtant personnel et légitime, constituait pour lui un réel obstacle. «En 2000, j’avais déposé au ministère des Affaires sociales une demande de carte spéciale handicapé. L’obtenir n’était pas chose facile, mais j’ai insisté car il s’agissait de mon droit. Il a fallu six mois pour que je l’obtienne, alors que,normalement cela ne nécessitait que deux semaines», indique-t-il. Le documentaire «L’Avenue des histoires amputées» dérangeait puisqu’il mettait à nu les lacunes, les injustices et la mentalité marginalisante des responsables. En effet, originaire de Hammam-Lif, Ridha a fait part au responsable chargé de la construction du passage aérien pour piéton, pour attirer son attention, sur le fait que la construction était inappropriée aux personnes handicapées. Ce pont compte deux escaliers de 32 marches chacun. La réponse du responsable a sonné telle une sentence discriminatoire. «Mais vous, les handicapés, vous ne représentez qu’une minorité» ! Ridha n’a aucune source de revenus, ni d’aide de la part des parties concernées. Il a édité une nouvelle pour enfant : «Al hattab al Choujaâ», qu’il a du mal à vendre. Il collabore avec certains journaux par le biais de quelques articles. Pour lui, l’avenir ne semble pas plus solide que le plastique de ses prothèses. Après le 14 janvier, il a réussi à obtenir une allocation rudimentaire de l’ordre de 70dt par mois.
Le documentaire se termine par une rencontre entre Ridha Souli et deux chérubins, un garçon et une fille. Ridha, en chaise roulante, offre aux deux bouts de chou l’histoire pour enfant «Al hattab al Choujaâ», avec l’espoir que les générations futures appréhendent le message.
D. Ben Salem
Source : http://www.jetsetmagazine.net/
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