HEND SABRY, ACTRICE DANS «NOURA RÊVE» DE HINDE BOUJEMAA

Rencontre avec l’actrice tunisienne Hend Sabry

Par Michel Amarger – www.awotele.com

Sélectionné aux festivals de Toronto ou San Sebastian, «Noura rêve» de la cinéaste belgo-tunisienne Hinde Boujemaa, remporte le Tanit d’Or et le Prix de l’interprétation féminine aux JCC 2019. Il expose les tourments de Noura, mère de famille en instance de divorce, qui vit l’adultère avec un amant prévenant, pendant que son mari est en prison. Sa libération imprévue compromet l’équilibre et les désirs de Noura, jouée par l’actrice tunisienne Hend Sabry, devenue une star en Égypte dans des films commerciaux, des séries télés populaires dans tout le monde arabe. Elle nous confie ses impressions sur son actualité et son parcours de vedette multi-primée.

Awotele : Que représentent pour vous  les JCC ? 

  • Hend Sabry : C’est le festival qui m’a fait connaître le cinéma. Mes parents m’emmenaient dès que j’ai eu huit ou neuf ans. C’était tous les deux ans à l’époque, et je me souviens de l’approche des JCC, de ce que ça faisait à la maison. Il y avait une excitation particulière. Mes parents, qui n’avaient rien à voir avec le cinéma, ont toujours été des spectateurs avertis pendant les JCC, et ils m’ont emmené voir des films que je n’oublierai jamais. Donc c’est un peu ma maison, puis il y a eu mon premier prix d’interprétation. «Les Silences du palais», mon premier film comme actrice, a eu le Tanit d’Or, et j’ai eu le prix d’interprétation. Les JCC 1994, c’est un peu ma naissance cinématographique.

Qu’est-ce que ça vous fait de retrouver les JCC pour un film qui vous permet de remporter encore le Prix de la meilleure interprétation féminine ?

  • H.S : Mais je n’ai jamais quitté les JCC. J’ai été dans le jury en 2006, j’ai eu plusieurs films en compétition au fil des ans et là, j’y suis simplement avec un film en compétition : Noura rêve.

Quel est l’apport de Noura rêve dans le cinéma tunisien, selon vous ?

  • H.S : A mon sens, c’est un film nouveau dans l’histoire du cinéma tunisien. On n’a pas vu beaucoup de films aussi modernes qui osent parler de l’adultère, un sujet pas tabou mais très intime. Et l’ordre de l’intime, on n’y est pas forcément habitué. Le public tunisien et le public arabe en général n’aiment pas voir les relations sociales disséquées à ce point. On n’est pas à l’aise et donc je crois que c’est un film qui met le public un peu mal à l’aise, dans le bon sens.

Comment Hinde Boujemaa vous-a t’elle présenté le personnage de Noura ?

  • H.S : On en a beaucoup discuté. Elle me l’a présenté comme un peu elle, un peu moi, un peu toutes les femmes du monde. C’est vrai parce qu’elle n’a rien d’extraordinaire, cette femme. C’est un personnage très ordinaire, très beau dans son «ordinarité». Elle n’est pas très forte, elle peut être parfois lâche, menteuse, fourbe… C’est très rafraîchissant pour une comédienne, de jouer une femme aussi peu remarquable, et en même temps attachante j’espère. Moi j’ai fait ce film parce que j’ai aimé Noura. Ce n’est pas un jugement de valeur mais j’ai aimé ce côté très ordinaire et pas héroïque. Elle n’a pas d’étendard. C’est ce qui fait la beauté de Noura pour moi. Elle ressemble beaucoup à toutes les femmes que je connais, y compris moi, ma mère, mes amies…

Est-ce que ça vous incitée à renouveler l’expérience dans le cinéma tunisien dont vous vous êtes un peu écartée pour travailler en Égypte ?

  • H.S : Oui, le dernier film tunisien que j’avais fait, c’était Fleur d’Alep, en 2016. Il parlait du djihad et des Tunisiens qui sont partis en Syrie. Là, c’est différent, c’est vraiment la dissection d’un couple, ou plutôt d’une femme entre deux hommes, donc c’est beaucoup plus intimiste. Ce que j’apprécie dans le cinéma tunisien, c’est qu’il me donne toujours les moyens de m’échapper des codes très rigides du cinéma commercial dans lequel j’évolue en Égypte. Le monde arabe voit ce que je fais. Je suis très contente parce que ça me donne aussi une liberté financièrement et même artistiquement. Je peux me permettre de me dire : cette année, je ne vais pas trop bosser, je vais faire un petit film d’auteur, et ça, c’est  un luxe pour une comédienne. Je suis redevable au cinéma commercial et je suis redevable au cinéma tunisien qui me donne toujours cet espace de liberté artistique.

Comment expliquez-vous la reconnaissance que vous avez eu en Égypte, le fait que vous êtes devenue une star, que vous représentez une image ?

  • H.S : Ce ne sont pas des choses qui s’expliquent… Il y a d’abord beaucoup de travail. Pendant dix ans, j’avais beaucoup de choses à prouver, venant d’un autre pays avec des codes, un cinéma, un public différent. Il a fallu que je m’impose dans un environnement qui n’était pas forcément accueillant au début, pour les actrices qui ne sont pas égyptiennes. J’ai tellement bossé que je pense que l’on m’a prise au sérieux. Et puis, c’est une confiance avec le public. Ils m’ont découverte petit à petit, dans beaucoup de registres. Au début, ils pensaient que je venais casser les tabous et puis après, j’ai un peu joué avec eux, j’ai esquivé, j’ai fait des comédies. J’ai installé une sorte de confiance qui, maintenant, me garantit le respect de la plupart du public arabe… J’ai eu la chance de pouvoir continuer et de faire des choses différentes avec cette même confiance. J’espère pouvoir continuer à faire ça.

AMARGER Michel (Afrimages / Médias France)

Références :

  • Fleur d’Alep, de Ridha Behi, fiction, Tunisie / Liban, 2016.
  • Les Silences du palais, de Moufida Tlatli, fiction, Tunisie / France, 1994.
  • Noura rêve, de Hinde Boujemaa, fiction, Tunisie / Belgique / France, 2019.

Source : https://www.awotele.com/


 

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