REPORTAGE SUR LE TOURNAGE DU FILM «BRANDO & BRANDO» (QUAND TOMBENT LES ÉTOILES) DE RIDHA BÉHI

Un rêve américain… Poussière et nuages mêlés. Et c’est en arrivant sur le magnifique site archéologique de Oudhna, à une trentaine de kilomètres de Tunis, que de grosses gouttes de pluie ont choisi de faire irruption sur le plateau de tournage, évidemment à ciel ouvert, du film de Ridha Béhi : «Brando & Brando» (Quand tombent les étoiles), au moment même où une comédienne à l’allure de bohémienne passe dans le champ de la caméra, avec une nonchalance digne d’une Tzigane dans un «Latcho Drom», façon Tony Gatlif. On nous intime aussitôt l’ordre de contourner la scène pour ne pas gêner la prise. Un peu perdus, désarçonnés, nous jouons avec effarement les « statues de sel », en attendant que cela passe. Émerveillés d’emblée.

Nous sommes bien à Oudhna, et le site s’offre au regard dans toute sa majesté et son mystère, pas du tout dérangé par le décor en trompe-l’œil qui sert de cadre pour ce long-métrage qui a bien failli ne jamais voir le jour.

Le réalisateur a visiblement eu les repérages heureux car il n’y a pas de fausse note, d’autant que cette place d’un village du sud tunisien, qui pourrait ressembler à n’importe quelle place de village, avec son café, la petite échoppe d’un coiffeur, et autres attributs basiques d’un lieu autour duquel tout gravite, n’est pas dénué de charme, loin s’en faut, avec ce quelque chose de suranné et en même temps d’authentique, qui ajoute un surplus d’âme à l’endroit, et dont le cachet porte la marque (de fabrique) s’il en est, de Taoufik Béhi qui a signé le décor du film.

Peu importe le vent !

Une bourrasque entraîne avec elle un autre tourbillon de poussière, mais cela ne semble nullement gêner l’équipe du tournage, et encore moins ces jeunes, sûrement des figurants, qui prennent place un peu partout, à qui mieux- mieux sur le plateau, ne ratant aucune miette du spectacle. Quelqu’un nous fait signe d’aller nous réfugier dans la loge, en attendant qu’il y ait une accalmie, et nous en profitons pour faire un brin de causette avec certains acteurs du film, qui viennent passer entre les mains expertes du maquilleur et coiffeur de «Quand tombent les étoiles », en l’occurrence Mustapha Attia pour ne pas le nommer, pince-sans-rire mais le métier dans la peau, lequel pour le moment, s’occupe des cheveux de Josette Barnetche (première assistante du film), tandis que Maynou, le jeune «désespoir» du cinéma tunisien comme il aime à se présenter, prend en main Fériel Chammari (la Tzigane). Celle-ci rouspète, râle, mais se laisse faire. Sa chevelure rebelle mal cachée par un foulard, elle a la moitié de la dentition mangée par les caries. Plus vrai que nature. « C’est Maynou qui a maquillé mes dents pour les besoins du rôle, je vous assure que dans la vie, mes dents sont on ne peut plus saines; nous précise t-elle en riant. Le comble, c’est qu’il les démaquille avec de l’acétone.

Souhir Ben Amara, débarque à son tour dans la petite loge. L’ambiance du tournage est plutôt décontractée.

«C’est un métier le cinéma, nous dira avec un sourire un peu las, Souhir Ben Amara, le personnage central du film. Il faut savoir ronger son frein et attendre. Qu’il pleuve ou qu’il vente. Mais si on aime ça, il n’y a pas de souci. Et moi j’aime ça. Et j’aime surtout mon personnage».

Souhir Ben Amara a fait l’ISAM (Institut Supérieur des Arts Multimédias), section réalisation. Mais pour cette jeune fille à l’aura certaine et à la grâce pudique, être devant ou derrière la caméra importe peu. L’essentiel, c’est de ne pas s’éloigner du métier. «Et puis Zina me parle. Le regard dans le vague, à la poursuite d’un rêve secret peut-être, son rêve américain, Anis Raâch se promène de long en large au dehors, lorsque nous sortons suivre la prochaine scène qui va être tournée, avec, comme comédien Sofiène chaari, dans le rôle de «Tai-tai», qui, avec son sourire et ses dents de bonheur, juché sur une hauteur, scrute le paysage au loin, tandis que des voix montent : «Silence, action…», avant que ça ne reparte de plus belle.

América ! América !

Ce sont les derniers jours du tournage. Juste avant l’étape américaine : une semaine à Los Angeles. Et tout ce beau monde semble autant ému que sur le qui-vive. Il n’y aura pas de scène ce jour-là avec Anis Raâch, alias «Brando». C’est dommage ! En tout cas pas en notre présence. Nous n’aurons pas non plus le plaisir de voir jouer Lotfi Abdelli, le meilleur ami de Brando dans le film, qui tient le seul vidéo-club du village. Mais ce boute-en-train occupe l’espace avec son humour, comme il sait bien le faire, et ne risque pas de passer inaperçu.

Le «pitch» du film : une équipe de tournage américaine débarque dans un village du sud tunisien. James, un acteur américain, séduit un jeune villageois qui ressemble à s’y méprendre à Brando. Il le convainc de venir tenter sa chance en Amérique. Quelque temps après, le «sosie» de l’acteur américain débarque à Los Angeles. Et vogue la galère. Alors que son «idole» accepte enfin de le rencontrer, la mort de ce dernier vient sceller le destin du jeune villageois, qui se retrouve… entre les mains du FBI, accusé de terrorisme.

Un «silence» tonitruant déchire l’espace, tandis que dans un nuage de poussière, trois bolides surgissent sur la place du village, et s’arrêtent, dans un effroyable crissement de pneus, nous ramenant à la réalité du tournage. Martial Barrault, le directeur photo de «Brando», suit le mouvement avec sa caméra. Et «rebelote». Deux fois, trois fois, les bolides (des Hammer), rebroussent chemin, repartent dans l’autre sens, avant de ressurgir en trombe. C’est impressionnant, et ça fait effectivement son effet.

Il faut bien l’admettre : le cinéma c’est un métier, mais c’est aussi une passion. Et ce n’est pas donné à tout le monde. Nous pensons à tous ceux qui ont brûlé leur vie par les deux bouts pour nous permettre de rêver, confortablement assis dans nos fauteuils, dans la chaude intimité de la plus belle «démocratie» au monde.

Mais les nuages qui s’accumulent dans le ciel en prenant une teinte très sombre, semblent à leur tour nous intimer l’ordre de rebrousser chemin. Il est temps de rentrer…

Samia Harrar

Source : http://www.letemps.com.tn


 

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