LA PREMIÈRE FOIS AVEC MUSTAPHA NAGBOU

Pour rendre hommage à Si Mustapha NAGBOU, le grand passionné de cinéma, qui vient de nous quitter, nous reprenons ci-dessous un entretien qu’il a accordé à Neila Gharbi le 8 février 2009.

Kairouan, la cinéphilie et la revue

Entretien conduit par Neila Gharbi – Le Renouveau – 8 février 2009.

Kairouan, la cinéphilie et la revue Mustapha Nagbou ont plus d’une corde à leur arc. Parallèlement à sa carrière d’enseignant à Kairouan, sa ville natale, Mustapha Nagbou consacre son temps de loisirs au cinéma, pour lequel il a une passion sans limite depuis sa prime enfance. Il fait d’une pierre deux coups en créant un ciné-club et une revue à laquelle il donne le nom de «Goha», qui n’est autre que le titre du film que Jacques Baratier a tourné à Kairouan. Cette unique revue de cinéma en Tunisie poursuit son bonhomme de chemin pour devenir ensuite «Septième Art». Pendant ce temps, son fondateur passera au Barreau pour défendre les causes perdues, mais ne perd pas de vue la revue, qui continue à exister tant bien que mal.

La première fois que vous êtes entré dans une salle de cinéma, c’était pour voir quel film ?

  • La première fois, j’avais 9 ans. Un itinérant passait par Kairouan, il faisait ses projections dans un café dénommé «Mechmech». Mon oncle m’avait emmené avec lui et, lors de la projection, j’étais assis sur ses genoux. Je me rappelle avoir vu un film de dessin animé : «Un lapin qui jouait du piano en marchant sur le clavier».
    C’était mon premier contact avec le cinéma. L’année suivante, j’étais venu à Tunis pour la première fois avec un de mes parents qui m’avait enmené à la salle El Hamra voir «Une Femme perdue», film qui raconte l’histoire d’un soldat dont les lettres de sa bien-aimée sont interceptées. Par ailleurs, je suivais assidûment une émission sur la chaîne nationale de la radio au cours de laquelle feu Med Hafdhi présentait un film chaque semaine.

La première fois qu’un film vous a plu, lequel était-ce et quel sentiment a-t-il créé en vous?

  • C’est difficile de répondre à cette question. «Youm Saïd», avec Mohamed Abdelwaheb, que j’ai vu cinq fois en une semaine. J’aime le film surtout pour sa valeur musicale. Parmi les interprètes, il y avait Faten Hammama, dont c’est la première apparition au cinéma. Elle n’avait alors que 5 ans.

La première fois que vous avez vu un film tunisien, quelle opinion vous en êtes-vous fait?

  • C’était «Goha» de Jacques Baratier. J’ai même assisté à une scène de tournage qui se déroulait au mausolée Balawi à Kairouan, avec Omar Chérif encore débutant. Puis «El Fajr», que je considère davantage comme un événement historique que comme une œuvre cinématographique. Omar Khlifi nous a fait une thérapie avec ce film. Jusqu’alors, on pensait que le cinéma était l’affaire de cinéastes européens et que nous, Arabes, nous ne pouvions être que consommateurs. Omar nous a décomplexés en réalisant ce film. Il nous a révélés à nous-mêmes. A partir de 1966, avec le soutien de la FTCC et la FTCA, le secrétariat d’État aux Affaires culturelles et de l’information sous M. Chedly Klibi, nos jeunes ont eu la possibilité de suivre une formation de cinéma en Europe. Sans oublier les JCC,  incontournables pour la présence et la promotion du film tunisien.

La première fois que vous avez décidé d’être membre d’un ciné-club, pour quelle raison l’avez-vous fait ?

  • C’était par chauvinisme. J’étais instituteur à Kairouan. J’entendais parler de ciné-club un peu partout en Tunisie, sauf à Kairouan. J’ai donc contacté Moncef Charfeddine qui m’a facilité la tâche en m’expliquant comment monter un ciné-club et en me fournissant toute la documentation des films programmés au sein de notre ciné-club. La FTCC a eu vent de la naissance de notre ciné-club. Nouri Zanzouri, qui était le secrétaire général de la Fédération, m’a invité à l’assemblée générale. Le premier film que j’ai choisi de projeter était «Le Voleur de bicyclette» de Vittorio De Sicca. Notre ciné-club a été le premier à avoir montré le film soviétique «Ivan le terrible» puis se sont succédés : «Le cuirassé Potemkine», «Le 41ème», «Quand passent les cigognes», «Mourir à Madrid» etc.

La première fois que vous avez écrit un article, c’était pour défendre ou descendre quel film ?

  • «Et demain» de Brahim Babaï. Il m’avait dit avec arrogance : «je défie quiconque de trouver un défaut dans mon film». Je lui ai démontré que son film comportait un certain nombre de lacunes. Par contre, le film que j’ai encensé est «Le 41ème», parce qu’il marquait un changement dans le cinéma soviétique. C’est une œuvre qui aborde la guerre civile entre Blancs et Rouges. C’est l’histoire d’une femme qui a tué 40 soldats blancs et tombe amoureuse du 41ème. J’ai beaucoup aimé «La Ballade du soldat». Il s’agit d’un soldat soviétique qui fait acte de bravoure en détruisant des chars allemands. Les autorités ont voulu faire de lui un héros en lui accordant une décoration qu’il a refusée, parce qu’il considérait que son acte est celui de quelqu’un qui avait peur, et non pas d’un courageux patriote.

La première fois que vous avez réussi à faire passer un message, lequel était-ce?

  • C’était «aimer ce que l’on fait», j’ai toujours suivi cette règle depuis la première période de ma vie à Kairouan, ce qui me vaut encore l’amour, l’amitié et le respect des gens qui m’ont connu et qui parlent de moi en termes élogieux, que ce soit lorsque j’étais dans l’enseignement ou dans la culture.
    C’est une devise à laquelle je tiens encore. Je ne peux pas faire un travail que je n’aime pas.

La première fois que vous avez pris en main l’ex-revue «Goha» devenue «Septième Art», quelle a été votre première décision ?

  • C’est une revue que j’ai fondée, puis, quand j’ai été muté à Tunis, je l’ai laissée à Kairouan mais l’équipe n’avait sorti aucun numéro, je l’ai donc reprise en main. Il y avait avec moi dans cette aventure un Belge et un Suisse. A l’époque, elle portait le nom de «Goha» et était imprimée sur stencil. Ce n’est qu’à partir du numéro 10 que nous avions commencé à l’imprimer normalement, grâce au soutien du ministère de la Culture.

La première fois qu’un numéro de «Septième Art» a fait sensation, comment avez-vous réagi ?

  • Sensation, le mot est un peu exagéré. Il y a des numéros qui ont plu et d’autres qui ont déplu. Ça plait aux uns et ça déplait aux autres. Nous recevons des injures, mais aussi des félicitations. Toutefois, ceux qui nous injurient sont fiers de notre courage de dire librement ce que nous pensons. On était la seule revue à critiquer le film de Férid Boughedir «Un Été à la Goulette» alors que les autres médias ont crié au génie.

La première fois qu’un film vous a énervé, avez-vous pris la décision de rompre avec le cinéma ?

C’était «Satin rouge», de Raja Amari, parce que je considère que ce n’est pas un film. Il y a une contradiction dans le film : cela commence par un récital de Coran créant de la sorte une certaine atmosphère, puis subitement, l’héroïne dévie totalement en prenant un autre chemin, celui de devenir danseuse, ce qui constitue une véritable surprise. Ensuite, on nous présente le petit ami de cette femme qui n’est autre que le fiancé de sa fille. Cela m’a catastrophé. Puis, ce qui m’a énervé, c’est la soirée de promotion consacrée au film et organisée par la télévision tunisienne où Raja Farhat et Tahar Chikhaoui encensaient le film en brandissant voilà le cinéma de l’avenir. Mais, en fait, jamais je n’ai pensé rompre avec le cinéma.

Édito de la partie arabe du numéro 29 – juillet 1977 (Collection : cinematunisien.com).

 

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