LOOKING FOR MUHYIDDIN DE NACER KHÉMIR

Par Kamel Ben Ouanès

Le film épouse la forme d’un conte, d’une véritable aventure où le voyage se conjugue avec le merveilleux, la quête du sens avec une déambulation initiatique et la perdition de soi avec la découverte de soi-même. Il fallait donc parcourir le monde, croiser la multitude, entreprendre une véritable odyssée, pour que se décante le substrat vital de l’humain. A la faveur de l’alchimie, on aperçoit que l’incommensurable grandeur du monde se fond dans l’imperceptible délicatesse de l’âme.

C’est au gré de cette trajectoire que ce dessinent les contours de cet opus atypique de plus de trois heures que vient de réaliser Nacer Khémir. Là, « Looking for Muhyiddin » se confond avec la recherche d’une forme filmique qui refuse de s’enfermer dans un genre canonique précis, afin de s’inscrire dans une composition dynamique, à la fois hybride et sans cesse en devenir. Meilleure preuve : la silhouette du cinéaste marque sa présence dès les premiers plans du film, en épousant la posture d’un voyageur qui, aussitôt arrivé au bercail, se trouve dans l’obligation de reprendre son bâton de pèlerin et partir sur les traces de Sheikh Muhyiddin. C’est pourquoi, le récit du voyage n’est ni un documentaire, ni une fiction, ni encore une enquête filmique, mais plutôt la réverbération d’un signe qui se dilate indéfiniment au point d’envelopper l’ensemble de l’univers. Un signe innommable à force d’être omniprésent dans les quatre coins du monde, de Tunis à Istanbul, de New York à Sanaa, ou encore de l’Andalousie à Damas.

Un véritable puzzle se construit devant nous autour d’une entité, d’abord abstraite, avant de commencer à prendre progressivement forme et consistance. Si Sheikh Muhyiddin est partout vénéré et fiévreusement suivi par d’éminents intellectuels, de penseurs confirmés et d’adeptes convaincus, c’est sans doute parce que sa pensée ressemble à un creuset où, sous l’effet d’un amour inaltérable pour l’humain, convergent et s’attirent les croyances, les différents modes de culte et les diverses visions de la foi.

« Looking for Muhyiddin » se construit surtout autour d’une image, celle d’un cercle où les hommes, illustres ou obscurs, érudits ou profanes, dévots ou libertins, regardent chacun de son côté, à partir de sa lucarne, le même divin occupant le milieu du cercle. Pour saisir la majesté divine à sa juste valeur, il est impérieux de rejoindre successivement la position des autres et de se frotter à leurs points de vue respectifs. Celui qui franchit ses peurs et ses appréhensions et accepte de tisser avec les autres un réseau d’affinités subtiles, découvrira à son grand bonheur que la communion avec Dieu passe par une empathie avec l’humain.

Pour atteindre ce seuil sublime, il n’y a qu’une voie faite d’amour et de travail sur soi, selon Sheikh Muhyiddin.

Parcourir neuf pays, à travers six langues est un ambitieux exercice cinématographique qui trouve un écho proprement mystico-philosophique, car le balancement d’une terre à l’autre, cette mobilité fébrile qui nourrit le film, apparaît à la fois comme exploration des ressources du langage cinématographique et décryptage des codes du mysticisme revisité au gré des exigences de l’actualité.

Kamel Ben Ouanès, critique de cinéma.

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