LES MILLE ET UN CONTES DE NACER KHÉMIR

Ces dernières années, le cinéma maghrébin a l’air de faire la sieste. «Les Baliseurs du désert» du Tunisien Nacer Khémir, comme quelques (rares) autres films, tente de rompre la torpeur. Cette co-production franco-tunisienne date de 1984, et malgré un honorable palmarès (Grand prix du Festival des Trois Continents de Nantes et Palmier-oasis, Oh-d’or de la 6e Mostra de Valencia) arrive enfin sur les écrans parisiens.

C’est le premier long-métrage de Nacer Khémir (il en est aussi le scénariste) qui est avant tout un conteur et son modèle, «Les Mille et une nuits» qu’il a racontées à Chaillot.

«Les Baliseurs du désert» est donc un conte : dans un village paumé quelque part dans l’immense Sahara, à l’écart du présent et oublié par la «modernité», les habitants, sorte de symboles-témoins (nostalgiques ?) d’une mythique Andalousie arabe à jamais perdue, qui serait aussi le Maghreb, tentent à tout prix d’accéder à une modernité encore mal assimilée. Au prix d’«une cassure» avec leur passé (paradis perdu ?) andalou.

Telles sont les préoccupations actuelles de Nacer Khémir qui, tel le personnage qu’il incarne -l’instituteur nommé dans ce village- va être englouti par ce passé, fasciné. Alors que les lointains baliseurs balisent l’impossible, le désert, c’est-à-dire le temps. Ils représentent ici, «les générations d’intellectuels qui ont vainement tenté de révolutionner les sociétés maghrébines» sans en maîtriser le passé. Dans le film, bien que présents, ils sont flous et incertains. Le village reste un repère pour eux.

Les véritables maîtres de ce village sont les enfants, ils maîtrisent l’espace et se jouent des relations entre les adultes. La réalité de leurs jeux et la force de leur curiosité les déconnectent du conte, du passé. Malgré le réalisateur, ce sont des enfants du présent. Sa grand-mère morte, plus rien ne retient Housine, le chef de la bande au village. Il veut aller à Cordoue ou ailleurs, sa soif de découverte est la plus forte.

Mais ces enfants nous font découvrir le personnage le plus important peut-être du film : le village, ses murs, son architecture, ses décors intérieurs. Le cadre ciselé comme des miniatures (arabes bien sûr) relègue souvent le fil du récit au second plan. Le décor est tout. La carte postale n’est pas loin. Mais comme dit Khémir : «Les lieux du film tombent en ruines et tout le monde s’en fout».

D’ailleurs la fille (belle) du cheikh du village qui accueille l’instituteur se confond avec ce décor jusqu’à être muette comme les murs (elle reste plus présente sur l’affiche, appel des distributeurs peut-être ?). Elle envoûte l’instituteur et l’emporte.

Et là intervient l’État, par l’intermédiaire d’un officier de gendarmerie, à la recherche de son instit. Dès lors deux rationalités vont se confronter, la rationalité moderne (l’État) et la rationalité du passé (l’Andalousie heureuse ?). Et chacune, à dos d’âne, va dans une direction différente dans la nuit et le désert, c’est-à-dire dans rien.

Bouziane DAOUDI et Nidam ABDI

Libération – jeudi 8 mai 1986


 

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