Par Mona Ben Gamra – Le temps du 30 octobre 2025
Quand les femmes de Gaza réinventent le regard cinématographique
Dans une bande de Gaza meurtrie mais debout, l’Art s’invite à nouveau comme un acte de résistance. La première édition du Festival international de Gaza du cinéma féminin s’est ouverte, dimanche, à Deir Al-Balah, au cœur du territoire palestinien, en partenariat avec le ministère palestinien de la Culture et avec le concours de plusieurs institutions arabes et internationales.
La date n’est pas fortuite : le 26 octobre marque la Journée nationale de la femme palestinienne, célébrée ici à travers les images et les voix de celles qui refusent le silence.
La cérémonie d’ouverture, empreinte d’émotion et de dignité, a débuté par l’hymne national palestinien avant la proclamation officielle du lancement par le Dr Ezzedine Shallah, fondateur et président du Festival.
Empêché de se rendre à Gaza, le ministre de la Culture, Imad Hamdan, s’est adressé au public par un message vidéo dans lequel il a salué «la ténacité du peuple de Gaza et la créativité de ses femmes».
«En ce jour dédié à la femme palestinienne, nous célébrons sa force, sa dignité et son rôle essentiel dans notre mémoire collective. Malgré les ruines, vous parvenez à faire renaître la culture et la beauté», a-t-il déclaré, promettant le soutien continu du ministère à ce nouvel espace de création.
L’Art comme acte de vie
Prenant la parole, Ezzedine Shallah a remercié les artistes, les partenaires et «les amoureux de la vie dans un territoire où la mort rôde».
«Des milliers d’histoires méritent d’être racontées. Ce Festival veut offrir aux femmes de Gaza les moyens de s’exprimer, de réaliser leurs films, et de les faire voyager dans le monde.
À travers le cinéma, elles écrivent leur propre récit palestinien», a-t-il affirmé.
Le fondateur du Festival a salué la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, dont le film «La Voix de Hind Rajab» a ouvert la soirée, ainsi que le réalisateur palestinien Rashid Masharawi, pour leur accompagnement artistique dans des conditions d’une extrême difficulté. Il a également remercié le ministère de la Culture palestinien, le Syndicat des journalistes palestiniens, et l’ensemble des équipes arabes et étrangères engagées dans cette aventure.
Un cinéma de l’émotion et de la mémoire
Le public, réuni dans un camp de déplacés, a découvert le film d’ouverture «La Voix de Hind Rajab», oeuvre poignante inspirée d’une tragédie réelle, signée par Kaouther Ben Hania, récemment couronnée du Lion d’Argent à la Mostra de Venise 2025.

«J’ai eu l’impression de vivre le film de l’intérieur», a confié un spectateur ému.
Une femme du public, mère de trois martyrs, a exprimé sa solidarité avec la famille de Hind Rajab, saluant «la force silencieuse de toutes les mères palestiniennes».
La soirée s’est poursuivie par des messages de solidarité vidéo, notamment celui du pionnier du cinéma palestinien Michel Khleifi et de plusieurs réalisateurs italiens, avant une brève performance artistique célébrant la résilience de Gaza.
La femme palestinienne, âme du récit national
Dans une intervention vibrante, Faten Harb a rappelé que «célébrer la femme palestinienne, c’est célébrer l’âme de la patrie».
«Née de la douleur, la femme palestinienne est devenue un symbole d’espérance, de liberté et de vérité. Elle n’a jamais été simple spectatrice de l’histoire : elle la vit, la raconte et la filme», a-t-elle déclaré, sous les applaudissements.
Les projections se poursuivent toute la semaine au Syndicat des journalistes de Deir Al-Balah, avant la clôture prévue le 31 octobre, au cours de laquelle seront annoncés les lauréats de cette première édition.
Trois femmes, trois destins de cinéma : Khadija Habashneh, Kaouther Ben Hania et Jocelyne Saab honorées à Gaza
Le Festival international de Gaza du cinéma féminin rendra hommage, lors de sa soirée de clôture, à trois figures emblématiques du cinéma arabe qui ont mis leur art au service de la cause palestinienne, à savoir Khadija Habashneh, pionnière du cinéma documentaire palestinien, Kaouther Ben Hania, voix singulière du cinéma tunisien et arabe contemporain et la regrettée Jocelyne Saab, cinéaste libanaise qui fit de son objectif une arme contre l’oubli.
Pour le Dr Shallah, ce choix est symbolique : «Ces trois femmes ont filmé la douleur et la dignité, chacune à sa manière. Elles ont su transformer la souffrance en lumière, et l’image en mémoire collective».
Khadija Habashneh (Khadija Abou Ali), chercheuse et cinéaste indépendante, est connue pour ses films «Enfants, mais…» (1979) et «Femmes de mon pays», ainsi que pour ses études pionnières sur la femme et la révolution palestinienne. Son dernier ouvrage, «Les Chevaliers du cinéma» (2020), rend hommage aux pionniers du 7°Art palestinien.
Kaouther Ben Hania, née en 1977 à Sidi Bouzid, s’est imposée comme une figure majeure du cinéma arabe grâce à une œuvre audacieuse et sensible : «La Belle et la meute», «L’Homme qui a vendu sa peau», «Les Filles d’Olfa» et désormais «La Voix de Hind Rajab». Son regard lucide sur la condition humaine et féminine fait d’elle une voix incontournable du cinéma contemporain.
Quant à Jocelyne Saab (1948–2019), elle demeure l’une des grandes figures du cinéma libanais engagé. À travers ses documentaires «La Femme palestinienne», «Les Palestiniens continuent le combat» ou «Le Front du refus», elle a immortalisé la lutte du peuple palestinien et dénoncé les ravages de la guerre au Liban. Son œuvre, toujours étudiée, témoigne d’une mémoire cinématographique vivante et universelle.
À Gaza, malgré les ruines, le cinéma s’élève.
Dans un territoire où la lumière se fait rare, la caméra devient flamme.
Et ce Festival, né des décombres, consacre la femme comme la véritable gardienne du récit palestinien.
Mona Ben Gamra
Le Temps du 30 octobre 2025

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