JCC 2015 : «MONTRER DES FILMS DANS UN PAYS OÙ L’ON N’EN VOIT PAS»

INTERVIEW. Le plus ancien des festivals africains dédiés au 7° Art vient de s’ouvrir. Présidant désormais à ses destinées, le cinéaste Ibrahim Letaïef explique.

Par notre correspondant à Tunis, Benoît Delmas – Publié le 22/11/2015.

La maison du CNCI (Centre national du Cinéma et de l’Image) héberge désormais les bureaux des Journées cinématographiques de Carthage (JCC). Ce festival, le plus ancien du continent africain dédié au 7°Art, entend, sous la houlette de son nouveau directeur Ibrahim Letaïef, diffuser 190 longs-métrages et au total 347 films dans son édition de 2015, à partir de laquelle elle va désormais être annuelle. Le noyau dur de l’organisation, une vingtaine de personnes, travaille dur en ce samedi ensoleillé. Chacun s’acharne sur son ordinateur à un mois de l’ouverture (ce 21 novembre) d’un Festival qui accueillera le gotha des cinémas arabes et africains. L’équipe compte 320 personnes durant la manifestation. Afin accueillir l’internationale du cinéma, dans le bureau de Ibrahim Letaïef, on fignole la bande-annonce, on peaufine slogans et messages. Ce cinéaste est l’auteur notamment de Cinecitta, qui fut un immense succès public. L’occasion de prendre le pouls des cinémas arabes et africains. Tour d’horizon avec le maître de maison.

Le Point Afrique : quel est le rôle des JCC 2015 ?

  • Ibrahim Letaïef : Montrer des films dans un pays où l’on n’en voit pas ! En une semaine, les projections attireront 150 000 spectateurs, alors que la fréquentation annuelle en Tunisie n’excède guère les 100 000. Si la compétition est réservée aux films africains et arabes, les JCC sont un lieu de rencontre entre tous les cinémas, du nord et du sud. Nous souhaitons revenir aux origines de cette manifestation créée en 1966 : présence du cinéma arabe et africain aux côtés du cinéma qu’on qualifiait de « non aligné ». Après l’indépendance, il y avait une volonté de créer sa propre image.

Quel est l’état artistique et économique du cinéma tunisien ?

  • Artistiquement, 2015 est une année exceptionnelle. On a eu du mal à choisir les films qui seraient en compétition, ce qui n’arrive pas à chaque édition. Les JCC représentent la première vitrine pour le cinéma tunisien avec douze films cette année. Ça bouge aussi en termes de production. Le Festival devenant annuel, il faudra assurer une présence tunisienne de qualité chaque année. Nous n’avons que douze salles commerciales en activité dans le Grand Tunis, aucune dans le reste du pays. La révolution numérique, avec le digital, le DCP, donne néanmoins de l’espoir aux investisseurs privés. On projette désormais les films en même temps qu’en France aux États-Unis. On a aussi compris que le modèle du multiplex (deux projets ont été évoqués) n’est pas adapté au pays. Le cinéma de quartier doit revivre pour que le cinéma puisse renaître de ses cendres.

Vous avez visionné une bonne partie de la production africaine. Est-elle en forme ?

  • Je m’inquiète pour l’annualité des JCC, car les pays subsahariens francophones sont cinématographiquement à l’arrêt. L’Afrique du Sud, elle, produit. Si le Nigeria (3° industrie cinématographique du monde) produit beaucoup, on n’a reçu que quelques films. Il faut savoir que nous sommes exigeants. Nous ne sommes pas un festival commercial, mais destiné aux auteurs.

Le piratage est un sport national en Tunisie. Nuit-il au 7°Art ?

  • C’est un faux problème. Nous avons un système où le légal et l’illégal s’organisent comme l’économie de notre pays, la contrebande représentant 54 % des échanges commerciaux. Les DVD piratés et l’offre légale sont deux systèmes qui, paradoxalement, coexistent. Par ailleurs, le cinéma tunisien n’est pas piraté, ce qui le protège.

L’État joue-t-il son rôle dans le domaine de la culture ?

  • Je n’ai jamais cru au rôle de l’État dans ce domaine. Il a pour mission de mettre en place les infrastructures nécessaires à l’exploitation de la culture, de lancer les grands chantiers. Il doit s’engager pour qu’existent des lieux de production. Mais c’est aux créateurs de faire vivre la culture, de créer de grandes œuvres. Un chantier très important devrait être celui de la décentralisation. On ne donne pas les moyens nécessaires au développement culturel des régions. La loi qui est annoncée à l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) doit tenir compte du volet culturel. En résumé, le ministère de la Culture n’a pas pour rôle de produire, mais de mettre en place les infrastructures nécessaires à la diffusion des œuvres.

Quel est l’ADN de la consommation culturelle en Tunisie ? Et le climat sécuritaire a-t-il un impact sur celle-ci ?

  • Nous avons une culture de l’évènementiel. Quand il y a un festival, les gens sortent. La vie culturelle est ici une série de festivals qui ne s’arrêtent jamais. C’est aussi lié aux questions de sécurité depuis les attentats du Bardo et de Sousse. Les mesures sécuritaires sont importantes pendant les festivals. Résultat : les gens se sentent en sécurité dans la foule. Tout sera fait pour que les JCC 2015 se déroulent en toute sécurité.

REGARDEZ cette vidéo d’extraits du film Cinecitta d’Ibrahim Letaïef, directeur des JCC

Journées Cinématographiques de Carthage 2015 : les chiffres clés

Les JCC sont le plus ancien des festivals d’Afrique. Elles ont été créés en 1966 par le cinéaste Tahar Cheriaa.

  • 850 films ont été reçus et visionnés. 347 films seront diffusés dont 190 longs-métrages, 70 courts-métrages et 87 documentaires.
  • Le budget de l’édition 2015 s’élève à plus de deux millions de dinars.  Un budget abondé par l’État et le sponsoring qui devient de plus en plus important.
  • 20 personnes travaillent à l’année et 320 durant la manifestation.
  • 12 régions seront concernées par les projections.

Source : https://www.lepoint.fr/


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