Par Souleymane Loum – tunisienumerique.com – 20 novembre 2025
Le séjour en France du Tunisien Nader Ayache, réalisateur et doctorant en cinéma, ne tient qu’à un fil très tenu. Le 8 novembre 2025, il s’est lancé dans une grève de la faim, ultime recours pour décrocher un permis de séjour et s’éviter la fatale OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). C’est le lot de dizaines de milliers de migrants qui ont basculé dans l’illégalité, comme le brillant étudiant tunisien en médecine dont on parlait ici même en juin dernier.
La chaîne publique France 3 a relaté son histoire poignante et tragique, hier jeudi 19 novembre. «Je sens des douleurs dans le corps, mais moralement ça va bien», confie Nader Ayache. Depuis 11 jours, ce cinéaste de 35 ans campe devant le Centre National du Cinéma (CNC) à Paris, dans une tente. Des conditions dantesques dans ces nuits froides. Le prix à payer pour qu’on le voit, qu’on parle de lui, pour ne pas finir dans la charrette des «damnés» expulsés.
«Je suis soutenu et entouré par ma famille, mes amis, mes collègues, ce n’est pas la nourriture du ventre en ce moment, mais c’est la nourriture du cœur (…) Ça fait chaud au cœur de voir cette solidarité, alors que je suis en train de traverser ce moment très difficile» , dit-il, avec l’énergie du désespoir.
Il a débarqué en France en 2015 pour poursuivre un cursus cinématographique à l’université. Depuis une dizaine d’années il est inscrit en thèse de doctorat, qu’il soutiendra bientôt, début 2026, si les autorités lui en laissent le temps. Durant ces 10 ans, il a signé une pléthore de films dont le dernier, intitulé «La Renaissance», a été sélectionné aux Césars 2025, dans la catégorie court-métrage documentaire.
En 2019 l’OQTF s’abat sur lui, doublée d’une Interdiction de Retour (IRTF) après plusieurs années de combat pour la régularisation de sa situation. «La sanction est terrible (…) Il y a un rouage dans le système qui ne fonctionne pas (…) La préfecture est-elle devenue une sorte de fabrique de sans-papiers», questionne-t-il. Tout le monde connaît la réponse.
«Je fais une grève de la faim parce que je ne vois pas d’alternative. Voilà dix ans que je suis en France, huit ans sans titre de séjour, huit ans sans avoir vu mes parents (…) Je ne fais pas une grève de la faim par plaisir, mais pour mettre en lumière l’injustice que je vis depuis plusieurs années», martèle-t-il.
Sans carte de séjour, la porte de l’emploi se ferme et s’ouvre celle de la grande précarité. Nader dit avoir emprunté toutes les voies légales pour conjurer son destin. Il a «écrit à la préfecture» et a «prouvé maintes fois le sérieux de ses études et de ses projets artistiques», peine perdue. Il a déposé un premier recours à la préfecture, refus net ; puis devant le tribunal, là aussi refusé…
Il s’est rabattu sur la cour de Versailles, même réponse. Le dernier refus lui a été notifié le 6 novembre 2025. Il ne lui restait que la grève de la faim. Il dit à qui veut l’entendre que cette solution radicale dépasse sa personne, il s’agit de crier haut et fort les mauvaises conditions d’accueil des étrangers : l’attente devant les préfectures et les délais interminables.
«Je fais un cinéma qui parle des conditions des exilés, des immigrés, des étrangers ici en France, alors forcément il y a un aspect politique dans ma démarche», soutient l’étudiant tunisien.
Prochainement il introduira un recours auprès du Conseil d’État pour faire annuler la décision du tribunal de Versailles, des conclusions attendues dans au moins 18 mois. Parallèlement il déposera un dossier d’admission exceptionnelle au séjour (AES). Mais là ça passe ou ça casse, si une OQTF frappe de nouveau elle empêchera toute contestation durant 3 ans. Autant dire l’enfer.
Nader plaide pour «la liberté de circuler, de travailler, de respirer, de vivre (…) M’obliger à quitter le territoire français, ce serait me condamner à un deuxième exil, c’est-à-dire me séparer de ma famille, de mon épouse, de mon cercle social, de mon cercle de travail». Alors il dort devant le CNC, un organisme qui a accompagné ses films, vus dans plusieurs festivals en France.
L’homme n’a pas rangé le cinéma dans les tiroirs, bien au contraire. En dépit du drame personnel, il planche sur un nouveau projet. «C’est un autoportrait qui raconte mon histoire, mais aussi qui retrace l’histoire de nombreux sans-papiers (…) Avec cette OQTF, je ne suis qu’une goutte d’eau parmi 40 000 gouttes d’eau»…
En effet, en 2023 la France a édicté plus de 400 000 OQTF, un chiffre en forte hausse depuis 2010, lit-on sur le site OQTF.info. Pour le moment la préfecture de Paris ne souhaite pas commenter le cas Ayache.
Source : https://www.tunisienumerique.com/

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