FATMA BEN SAÏDANE : LA SCÈNE A SON ALCHIMISTE

Par Faiza MESSAOUDI – Le Temps – Vendredi 5 juin 2015

Elle nous séduit et nous fait frémir. Dans son regard on perçoit quelque chose de la douceur de la vie. Étrange femme. Femme enfant. Femme du monde qui ne passe jamais inaperçue.  Des planches du théâtre, elle serait passée au grand écran presque sans pesanteur avec de multiples visages où se lovent des réalités complexes. Elle est Fatma Ben Saïdane, dont  le parcours artistique foisonne de prestations qui prouvent sa puissance créatrice hors du commun.

Le Temps : Qu’est ce qui fait le charme de Fatma Ben Saïdane, lorsqu’elle est sur scène ou devant la caméra ?

  • Fatma Ben Saïdane : En répondant à cette question, j’ai l’impression que je me flatte. Il faudrait demander l’avis des gens. Je crois que la sincérité avec les personnages que je joue me donnent en quelque sorte cette aura. Quand je joue un personnage, mon souci n’est pas de le rendre beau, mais je pousse à l’extrême ses caractéristiques.

Que préférez-vous, le théâtre ou le cinéma ?

  • Je préfère le théâtre. Je me considère une femme de scène. En effet, dans le théâtre je suis créatrice, ensemble on crée une belle alchimie car il y a une part d’improvisation, un échange avec un partenaire ; le personnage est toujours vivant, il se renouvelle d’une représentation à l’autre, c’est ce qui fait sa beauté. Dans le cinéma j’interprète.

Avez-vous  de nouvelles créations au cinéma ?

  • J’ai joué dans trois films qui vont sortir bientôt. Aziz Rouhou, un film de Sonia Chemkhi, La Parabole de Zizou, un film de Férid Boughedir et Ksar Eddahcha, un film de Mokhtar Laajimi.

C’est la première fois, que vous acceptez de jouer un rôle dans une pièce en dehors de Familia Production. Parlez-nous de cette expérience.

  • C’est une adaptation d’une pièce de Jean-Paul Sartre. Nous avons travaillé sur la structure uniquement. La pièce traite le rapport entre média et politique et comment créer l’événement à partir de la rumeur. Je trouve que c’est un travail qui se respecte. Il y a une performance des comédiens, qui s’améliorent de représentation en représentation. Dommage qu’entre un cycle et un autre, il y ait une plage de temps qui brise le rythme, et qui ne permet pas au spectacle de se roder. Le comédien n’arrive pas à être imbibé de son personnage. Bref, pour moi, c’est une expérience très intéressante, avec une belle équipe. Nous sommes toujours à l’écoute des critiques, on essaie de s’améliorer, car un spectacle  se construit  toujours à partir de la première.

Avez-vous accepté le rôle pour sa qualité ou parce que la pièce était produite par le TNT dirigé par Fadhel Jaibi et l’équipe de Familia ?

  • Honnêtement, quand Ghazi Zoghbeni m’a proposé le projet, je ne savais pas qu’il allait le produire avec le Théâtre National. J’ai suivi le travail de Ghazi, depuis son projet de fin d’étude. Son univers me plaît. En plus, j’étais à un moment où Fadhel Jaibi était pris par le TNT. Donc  j’ai accepté, en attendant de demander l’avis de Fadhel puisque j’ai un contrat moral avec Familia Production. Entre-temps, on m’a appelée du TNT, pour m’informer que j’étais sur la liste proposée par Ghazi Zoghbeni.

Comment évaluez-vous les expériences théâtrales tunisiennes, vous qui suivez de près la plupart des  œuvres qui se donnent sur le paysage théâtral ?

  • Sincèrement, quand je vois les expériences théâtrales, je constate que, jusque là, on n’a pas encore tué le père. Il n y a pas de créateurs jeunes qui proposent des projets, de nouvelles approches théâtrales et esthétiques pour rompre avec ce qui a été fait auparavant. Je considère qu’il y a des essais, des expériences parfois heureuses, parfois décevantes, sans évolution à partir d’une ligne pour aboutir à un projet. Très souvent, j’assiste à des spectacles dont je ne comprends rien, je me dis peut être que ça me dépasse. Le problème, c’est qu’on ne sait pas raconter, il n y a pas un fil conducteur dans l’histoire, donc ils se perdent et font perdre le public.

Est-ce que la responsabilité revient uniquement aux jeunes qui n’arrivent pas à tuer le père, ou aux pères aussi ?

  • À un certain moment, Fadhel jaibi, Jbali, Ganoun ou Werghi et d’autres ont fait l’apogée du théâtre tunisien. Aujourd’hui, le problème  qui se pose est l’insuffisance de formation. Il faut qu’il y ait impérativement des stages en Tunisie ou ailleurs. Avant, on envoyait les étudiants à Avignon. Nous avons travaillé avec les ressortissants de l’ISAD, on remarque qu’ils se contentent uniquement de leurs acquis scolaires, alors qu’il faut nourrir l’apprentissage, le développer et l’enrichir. Certains osent critiquer sans avoir des outils d’analyse, ils expriment des impressions de jugement, bon ou mauvais, ils ne maîtrisent pas le sens de l’analyse. Malheureusement qu’ils ne voient que du théâtre tunisien, ils n’ont d’autre ouverture que pendant les Journées Théâtrales de Carthage. C’est trop pauvre ! Ils n’ont pas la possibilité comme leurs aînés de côtoyer les gens, de voir d’autres cultures, d’autre échange ; en plus ils ont la folie des grandeurs. Ils n’arrivent ni à dépasser le père, ni à se chercher, et ils n’aiment pas la critique ! Or la critique n’est pas uniquement destructive, elle fait vivre un spectacle. Souvent, j’assiste aux débats, c’est catastrophique, on ne discute pas la question de la création, mais plutôt le budget, la subvention, des digressions par-ci, par-là.

Ce qui domine le paysage théâtral, c’est le théâtre commercial. Qu’en pensez-vous ?

  • Il faut que tous les genres de spectacle existent. Quand je vois des one man shows ou des stands up, sur une chaîne française, je constate que c’est bien structuré. Ici, ce n’est pas le cas, on juxtapose trois ou quatre blagues uniquement pour faire rire. Alors qu’il n y a pas plus sérieux que le rire. Le one man show devient un phénomène dérangeant. Je crois que les gens veulent amasser de l’argent et ont tendance à gagner très vite, puisque le théâtre n’est pas rentable. On se dit, avec un one man show, j’ai toute la recette, et pas une troupe à ma charge ! On a un nombre élevé de sociétés privées et de producteurs qui s’investissent dans le théâtre divertissant avec des têtes d’affiche qui font rire. D’ailleurs, c’est la première question qu’un directeur de festival te pose, sinon il n’achète pas le produit. On ne fait plus de culture, on fait du divertissement ! Ceci se répercute sur le public, sur le goût et sur l’avenir du théâtre. Comment remédier à cela ? Il faut que les sociologues travaillent sur ce phénomène.

En dehors des manifestations du théâtre et du cinéma, est ce que vous assistez à d’autres actions culturelles ?

  • J’assiste à des manifestations de musique, d’art plastique.

N’avez-vous pas remarqué que les artistes, en dehors de leur domaine, ne vont pas découvrir les autres actions culturelles et on reproche la démotivation du public ordinaire ?

  • Oui, c’est vrai ! Il  y a un nombre restreint qui s’y intéresse, ce sont toujours les mêmes personnes. Il faut chercher les raisons de la démotivation du public. Avant au théâtre national, on faisait la programmation avec des abonnements, des prix pour étudiants, un prix de famille. Il faut faire sortir les gens en les encourageant à venir voir les spectacles, parce que les Tunisiens aiment la fête. Lorsqu’il y a un festival, on remarque que le public vient nombreux, donc il faut créer l’événement chaque week-end, des mini festivals, et surtout proposer des spectacles de qualité : car quand ça en vaut la peine, les gens sortent pour découvrir !

Faiza MESSAOUDI

Source : http://www.letemps.com.tn/


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