ATTITUDE, DE INÈS BEN OTHMAN : PAROLES D’ULTRAS OU LA VIOLENCE DANS LES STADES

«Attitude», dernier film documentaire de la jeune cinéaste Inès Ben Othman, donne la parole aux supporters dans les stades, mais pas à leurs ennemis jurés, les policiers.

Par Fawz Ben Ali Kapitalis.com2 fév 2017.

Présenté hors compétition aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2016) dans la section «Panorama du cinéma tunisien» et projeté dans ce même cadre à la prison Borj Roumi à Bizerte, «Attitude» est finalement passé inaperçu auprès du grand public. Il a été projeté de nouveau, mardi 31 janvier 2017, à la salle Le Rio, à Tunis.

Ses premiers pas dans le cinéma, Inès Ben Othman les a faits dans l’univers du court-métrage, documentaire et fiction. Ses films les plus connus sont «Fantasmes» (2008) et «D’Amour et d’eau fraîche» (2011). Mais la jeune cinéaste a surtout fait parler d’elle suite à ses deux arrestations, quand elle a eu un énorme soutien de la part de la société civile. En 2014, elle a été accusée d’atteinte à un fonctionnaire dans un poste de police. Et en 2016, elle a été arrêtée avec son mari, Walid Zarrouk, le syndicaliste sécuritaire aujourd’hui en prison, pour avoir parlé de l’existence d’un appareil sécuritaire parallèle au ministère de l’Intérieur à la solde du parti islamiste Ennahdha.

Une jeune femme dans le milieu machiste des stades

Parlant de son premier moyen-métrage, «Attitude», la cinéaste dit avoir au début eu l’idée de faire un film sur la violence devenue de plus en palpable dans la Tunisie d’après la révolution du 14 janvier 2011, mais elle s’est finalement décidée à se pencher sur une forme particulière de violence, celle que l’on voit dans les stades. En abordant l’éternelle relation conflictuelle entre les amateurs de football et les forces de l’ordre, Inès Ben Othman s’accapare d’un sujet original et fort intéressant.

En 2014, la jeune femme prend son courage à deux mains et s’aventure avec sa caméra dans les gradins des stades tunisiens, où la gente féminine est quasi absente. «Au début, j’ai eu beaucoup de mal à me faire accepter dans ce milieu très masculin et à tendance machiste», nous-confie-t-elle.

Le documentaire nous rapporte l’ambiance folle des virages, ce chaudron où il faut faire du bruit, beaucoup de bruit, afin de s’imposer. Les supporters chantent avec ferveur leur hymne pour exprimer leur vénération à leur équipe de prédilection, s’enflammant davantage pour les grands rendez-vous des derbys. En effet, le foot se vit dans les gradins aussi intensément que sur la pelouse.

Afin d’enrichir son documentaire, Inès Ben Othman ne s’est pas arrêtée à Tunis, mais a également baladé sa caméra à Bizerte, Sousse, Sfax et Kairouan. Il faut dire que le ballon rond provoque un engouement unique dans toutes les régions du pays.

Les Ultras parlent des policiers

«Attitude» ne se contente pas de filmer l’aspect collectif mais s’attarde beaucoup sur l’individualité, à travers différents portraits de supporters acharnés que la cinéaste a suivis jusque dans leurs quartiers pour partager avec nous cette passion démesurée pour le plus populaire des sports. «J’aime dieu, mes parents et puis mon équipe de foot !», lance un des jeunes Ultras, cette catégorie particulière de supporters qui soutiennent de manière active et le plus souvent fanatique leur équipe, toujours dans un esprit communautaire surtout face à l’oppression policière, «qui n’a fait que s’accentuer après la révolution», affirment-ils unanimement. «Avant, on nous prenait pour des voyous, maintenant on nous traite comme des terroristes», ajoute l’un de ces jeunes.

Ayant enfin l’occasion de s’exprimer librement, les Ultras nous parlent de la provocation de la part des policiers, qui commence dès l’entrée du stade. «On nous insulte, on insulte nos mères et on nous bat», confient-ils avec beaucoup d’amertume.

Une fois regroupés, ils se sentent plus forts et leur frustration prend forme, ils agressent à leur tour les forces de l’ordre, ce qui engendre des dégâts matériels, des blessés et parfois même des morts. Un constat qui ternit l’image du football tunisien.

La misère, le chômage et les agressions policières incessantes sont tous des facteurs qui alimentent la violence des jeunes marginaux dans les stades, mais aussi dans leur vie quotidienne, ce qui fait d’eux une proie facile pour idéologies islamistes. «Certains que j’ai filmés sont partis en Syrie pour combattre auprès de Daech», confie la réalisatrice.

Le film a le mérite de ramener au grand écran un sujet alarmant et toujours d’actualité, qui est la violence dans les stades, d’autant plus qu’on a dernièrement assisté à un match amical qui a mal tourné côté gradins, celui du Club Africain de Tunis et Paris Saint-Germain, où un policier avait était grièvement blessé au visage.

Un plaidoyer à sens unique

Cependant, quand on traite un sujet où il y a deux parties en conflit, à savoir dans ce film, les supporters d’un côté et les policiers d’un autre côté, l’idéal aurait été d’écouter l’un tout comme l’autre, or la cinéaste s’est limitée aux déclarations des supporters sans avoir à aucun moment interviewé un seul policier. Il faut dire qu’elle ne les porte pas dans son cœur. Et cela se sent. Le film semble ainsi inabouti et manquant d’objectivité.

Par ailleurs, si le documentaire de cinéma consiste à filmer des acteurs qui interprètent leurs propres rôles dans les conditions du réel, il se voit obligé de répondre à des exigences artistiques pour qu’il se distingue du reportage journalistique ou du documentaire de télévision.

Si Inès Ben Othmane a dûment rempli le premier critère, elle a cependant moins réussi à garantir le deuxième, tout autant nécessaire, d’autant plus que le public tunisien est de plus en plus exigent face à un cinéma local plus que jamais rayonnant et où le documentaire commence à s’imposer comme un genre aussi attrayant que la fiction.

La cinéaste discute avec les cinéphiles après la projection.

Source : http://kapitalis.com/


 

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