
Par Hatem BOURIAL – Le Temps – Mardi 9 septembre 2025
La cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania vient de se distinguer à la Mostra de Venise, où elle a remporté le Lion d’Argent. Cette réalisatrice poursuit sa route et, loin de dormir sur ses lauriers, continue de progresser et de convaincre.
Son nouveau film vient de lui valoir une distinction de premier plan et confirme l’importance de sa démarche de scénariste et de réalisatrice. En un quart de siècle, après quelques courts-métrages expérimentaux et plusieurs longs-métrages qui chaque fois confirment le même dispositif à cheval entre documentaire et fiction, Kaouther Ben Hania a donné une singularité esthétique à son cinéma et un goût exquis d’universalité à ses œuvres qui disent les tiraillements du monde contemporain sans s’égarer dans les sables mouvants identitaires.
Un cinéma profondément contemporain
Le tour de force de Kaouther Ben Hania est justement de transcender le local, éviter les ressassements et les clichés et aussi interroger l’esprit même de la fiction qu’elle déconstruit.
Ses films sont à l’image d’un abat-jour qui distille une clarté décalée et fabrique en permanence une forme de distanciation qui abolit la platitude du réel et instaure un cinéma fascinant, libre de toute entrave identitaire mais pétri par une ipséité où se reconnaissent les jeunesses du monde. «La Voix de Hind Rajab» sera en salle dès la semaine prochaine. Un film à découvrir car il vaut certainement mille manifestes, un film à découvrir pour retrouver ce cinéma de la nuance dans le réel et de la distorsion de la fiction. Et si Kaouther Ben Hania a fait franchir un seuil au cinéma tunisien, c’est bien celui de la modernité et de l’exigence contemporaine. Les prix et les distinctions internationales ne sont que le juste corollaire d’une vision artistique qui a pour socle un inexpugnable désir d’être dans le monde au sens le plus universel du terme.
Une filmographie sous le signe du réel qui devient fiction
Née en 1977 à Sidi Bouzid, Kaouther Ben Hania est diplômée de l’EDAC à Tunis et a approfondi ses études à la Fémis et à la Sorbonne. Son dernier film, «La Voix de Hind Rajab», est inspiré de faits réels. Elle y reconstitue, à partir d’enregistrements téléphoniques originaux, le calvaire et le meurtre d’une fillette prise dans les décombres, au milieu des cadavres à Gaza. Comme pour tous ses films, la réalisatrice signe également le scénario et restitue des atmosphères où, selon l’expression ici avérée, le réel dépasse la fiction. Cette démarche est au cœur du dispositif cinématographique de Kaouther Ben Hania. Dès son premier long-métrage, «El Challat» (2013), elle enquête à sa sortie de prison sur un homme qui balafre les femmes et prend la dimension d’un mythe vivant. Dans «Zeineb n’aime pas la neige» (2016), elle raconte les tiraillements d’une fillette de neuf ans et la suit durant six ans entre Canada et Tunisie. La même année, Kaouther Ben Hania réalise «La Belle et la meute», où elle met en scène Myriam, une jeune femme confrontée à un événement tragique lors d’une soirée et prise au piège de sa propre rédemption. Les deux derniers films de Kaouther Ben Hania sont «L’Homme qui a vendu sa peau» (2020) et «Les Filles d’Olfa» (2023). Dans le premier, elle met en scène un Syrien fuyant la guerre, se faisant tatouer le corps pour obtenir un visa et se retrouvant pris dans un engrenage irrépressible. Dans la seconde œuvre, Olfa est la mère de quatre filles dont les deux aînées disparaissent et sont, dans la narration, remplacées par des comédiennes appelées à jouer leur rôle.
Des œuvres d’une beauté troublante
Le Lion d’Argent remporté à Venise vient confirmer l’élan de Kaouther Ben Hania, dont le parcours est ponctué par de nombreux accomplissements. Tanit d’Or à Carthage en 2016, elle était sélectionnée aux Oscars 2021 pour le meilleur film international, présente régulièrement à Cannes y compris en compétition officielle et récipiendaire de nombreux prix dont huit ont été décernés à «El Challat», son tout premier long-métrage. À la cinquantaine, Kaouther Ben Hania n’a pas fini de surprendre le public tunisien et international et devrait signer prochainement de nouvelles œuvres marquantes, puissantes et d’une beauté troublante.
Hatem BOURIAL
Le Temps – Mardi 9 septembre 2025
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