À LA MOSTRA DE VENISE, LE CINÉASTE JIM JARMUSCH A REÇU LE LION D’OR

Jim Jarmusch reçoit le Lion d’or à la Mostra de Venise (Italie), le 6 septembre 2025. YARA NARDI/REUTERS

«The Voice of Hind Rajab», de la Tunisienne Kaouther Ben Hania, sur la mort d’une fillette palestinienne à Gaza a, lui, remporté le Lion d’Argent

Par Boris Bastide (Venise (Italie), envoyé spécial) – lemonde.fr – Publié le 7 septembre 2025

Comme un symbole de cette drôle de soirée qui a conclu la 82e édition du Festival de Venise, samedi 6 septembre.

À l’annonce du Grand Prix pour The Voice of Hind Rajab, la salle s’est spontanément levée, offrant à la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania une standing ovation. Un honneur auquel n’aura pas droit le cinéaste américain Jim Jarmusch, au moment de recevoir le Lion d’Or, récompense suprême vénitienne.

En primant à la surprise générale Father Mother Sister Brother, le Jury présidé par Alexander Payne a distingué un film qui offre un joyeux contre-pied à une compétition chargée de colère, de discours moraux et de crises d’identité. Chargée également de longs-métrages dépassant les deux heures, marqués par les circonvolutions superflues de leur scénario. Le Lion d’Or 2025 est une œuvre «tranquille» comme l’a qualifiée Jim Jarmusch, d’apparence mineure.

Cette collection de trois moments de retrouvailles familiales au minimalisme affiché a un côté mordant et affûté, drôle et léger, le réalisateur s’amusant ici dans les deux premiers segments servis par une brochette de stars (Adam Driver, Cate Blanchett, Charlotte Rampling…) du malaise que peuvent constituer ces après-midi où parents et grands enfants rejouent à faire famille. Le troisième temps bascule vers une relation entre jumeaux plus tendre, délaissant quelque peu le côté exercice de style pour toucher à une profondeur inattendue. Ce Lion d’Or est le premier prix majeur remporté par Jim Jarmusch, éternel outsider du cinéma américain, dans un grand festival.

Donné favori, le film-choc de Kaouther Ben Hania sur le meurtre d’une fillette à Gaza par l’armée israélienne, après des heures d’appels à l’aide, doit donc se contenter du Lion d’Argent. «C’étaient nos deux palmes, les deux qui nous ont le plus émus, jusqu’aux larmes. On ne pouvait pas les mettre ex-aequo, il a fallu faire un choix», a révélé Alexander Payne. Il a ajouté qu’il y avait «0,00000 % d’écart» entre les deux et démenti les rumeurs de tensions au sein du Jury qui avaient circulé sur les réseaux sociaux.

Si la cérémonie d’ouverture avait tenu à l’écart les discours politiques pendant toute la soirée de clôture, les différents lauréats ont multiplié les prises de parole sur la Palestine et, dans une moindre mesure, sur l’Ukraine, pour appeler à un retour à la paix et à la dignité humaine.

Ils ont aussi dénoncé le sort dramatique réservé aux enfants, le sujet même de The Voice of Hind Rajab. Dans un dispositif hybride entre documentaire et fiction, le film donne à entendre les vrais enregistrements des appels passés en vain par la petite fille, seule dans une voiture aux côtés de membres de sa famille tués, pour qu’on vienne la chercher. «Ça suffit , a lancé, dans son discours de remerciement, Kaouther Ben Hania. «Pour moi, Hind Rajab est le symbole des Palestiniens. Une voix qui appelle au secours mais à laquelle personne ne répond. (…) Une voix que le cinéma peut faire résonner à travers les frontières», a-t-elle ajouté.

Humanité face à l’adversité

Le reste du Palmarès confirme la volonté du jury de plébisciter les films capables de créer la plus grande empathie envers leurs personnages. Rien pour les fables critiques et violentes de Yorgos Lanthimos (Bugonia) et Park Chan-wook (Aucun autre choix), pour la mécanique infernale face à la menace nucléaire de Kathryn Bigelow (A House of Dynamite) ou le détachement radical de L’Étranger, de François Ozon, au noir et blanc de toute beauté. The Smashing Machine, de Benny Safdie, Lion d’Argent du meilleur réalisateur, ou À pied d’œuvre, de Valérie Donzelli, Prix du meilleur scénario, sont aux côtés de leurs personnages – un champion d’arts martiaux mixtes et un photographe reconverti écrivain précaire – pour chercher à mettre en lumière leur humanité face à l’adversité.

Pragmatiques, les Prix d’interprétation reviennent à la star italienne Toni Servillo, président de la République en détresse à l’approche de la fin de son mandat dans La Grazia de Paolo Sorrentino, et à Xin Zhilei, impressionnante dans The Sun Rises on Us All de Cai Shangjun. Elle y interprète une vendeuse de vêtements en ligne, dont la vie rebascule le jour où elle croise son ex-mari qui est allé en prison pour couvrir un accident qu’elle avait commis. Gianfranco Rosi et son très beau documentaire Sotto le nuvole sur les terres allant du Vésuve à la mer complètent le Palmarès d’un Prix spécial du Jury. Parmi les films en compétition, outre l’absence au Palmarès du Testament d’Ann Lee de Mona Fastvold, ou du Frankenstein de Guillermo del Toro, on regrette le sort réservé à Silent Friend d’Ildiko Enyedi, fable enchevêtrant trois temporalités, une merveille.

Notons que cette manière de faire dialoguer, au sein de l’espace du film, différentes époques, a marqué quelques-unes des œuvres les plus stimulantes des autres sélections, où ont étincelé notamment Luca Guadagnino avec After The Hunt ou Gus Van Sant avec Dead Man’s Wire. Scarlet, le nouveau long-métrage d’animation du Japonais Mamoru Hosoda, fait ainsi se rencontrer une princesse de la Renaissance obsédée par l’idée de venger son père et un infirmier du Japon moderne dans un autre monde apocalyptique, pour une réflexion sur la perpétuation de la violence et le pardon, nourrie d’une palette esthétique étonnante.

Boris Bastide

Le Monde – Mardi 9 septembre 2025

Source : www.lemonde.fr


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