LE MOUVEMENT DES CINÉASTES EN TUNISIE (1978-2010) : CONTESTATIONS, VICTOIRES ET ÉCHECS (2)

2009-2010 : Le retour à l’action collective

Par Férid BOUGHEDIR. Publié dans La Presse de Tunisie le 19 – 02 – 2011

Les cinéastes ont été trahis dans leur projet de développement du cinéma tunisien par l’ancienne «ACT-RCD», puis déçus par le gouvernement qui ne l’a jamais appliqué
C’est cette situation contestataire dont les remous avaient ainsi dépassé les frontières nationales que trouvera, fin 2008, le nouveau ministre de la Culture : par chance pour les cinéastes, Abderraouf Basti est un homme de théâtre, formé à l’école de Si Chedly Klibi, premier ministre de la Culture de Bourguiba et qui, à ses côtés, avait contribué au soutien aux créateurs qui était une des priorités du ministère : sa réponse à la contestation est d’écouter les cinéastes et de leur de promettre de transmettre au gouvernement leur nouveau projet de développement du cinéma pour lequel il nous invite alors à nous réunir en vue de l’élaborer : un projet prévoyant de réformer tous les secteurs pour développer une production nationale viable, et cela avec deux finalités principales : permettre au spectateur tunisien bombardé d’images étrangères d’accéder enfin à la création tunisienne à longueur d’année s’il le désire, et, grâce à l’augmentation de la production, permettre aux nouvelles générations de cinéastes de trouver le plein emploi.

C’est ainsi que d’avril 2009 à octobre 2010, j’ai eu l’honneur de présider – de façon totalement militante et bénévole comme cela a été le cas pour tous ses membres et comme cela avait été le cas dans la préparation des lois de 1981 -, la «Commission consultative pour la réforme et le développement du cinéma et de l’audiovisuel».

Ne faisant pas partie du syndicat des producteurs, ni du syndicat des techniciens, je l’ai fait dans mon esprit comme membre fondateur de l’ACT et surtout en tant que militant sincère pour la viabilité du cinéma en Tunisie et en Afrique, depuis ma première rencontre avec Tahar Cheriaâ, le fondateur des JCC.

Il faut préciser que dans cette commission, émanation directe des cinéastes et non du ministère de la Culture, toutes les propositions venaient des professionnels et aucune du ministère. Ce dernier s’est limité, sur notre demande, à nous fournir parfois des lieux de réunion, (en dehors des bureaux de «Propaganda» et de «Cinétéléfilms» qui nous recevaient régulièrement) et de nous fournir comme «transmetteur» de nos demandes, le directeur du cinéma du ministère.

Les bases du projet de réformes

C’est ainsi que le nouveau «Projet de développement du cinéma tunisien», élaboré par des cinéastes de toutes les générations, a vu le jour en reposant principalement sur deux piliers qui ont fait l’unanimité :

La création d’un «mécanisme de soutien financier» («Fonds de soutien») à toutes les structures professionnelles de l’industrie cinématographique et audiovisuelle. Ce mécanisme serait alimenté par une contribution financière non plus des seules salles de cinéma, mais de tous les modes de diffusion de l’image en Tunisie (télévisions publiques et privées, DVD vierge, Vidéo clubs, fournisseurs d’Internet et de téléphonie mobile etc…) et cela même à petite échelle …  Le principe étant d’adapter à l’époque actuelle le crédo de 1981 «Qui tire profit de l’image en Tunisie doit nécessairement contribuer au financement de l’image tunisienne».

Pour gérer ce «fonds», la création d’un CNCA (Centre national du cinéma et de l’audiovisuel), établissement public non administratif (EPNA) doté de l’autonomie financière. Ce qui peut lui permettre de prélever et de répartir les soutiens nécessaires à tous les secteurs du cinéma (ce que l’actuelle direction du cinéma au ministère de la Culture ne peut faire en tant que service administratif aux prérogatives limitées). Soit un organisme comme il en existe en Europe, au Maroc, au Burkina Faso, au Gabon mais pas encore en Tunisie, et qui aurait également pour charge d’organiser tout le domaine. Pour éviter les «diktats» bureaucratiques, ce centre fonctionnerait au niveau décisionnel, avec des commissions «paritaires» composées majoritairement de cinéastes et de professionnels.

Les vetos de l’«ACT-RCD» et du ministère de la Communication

Au-delà de saines divergences corporatistes, au sein des sous-commissions et dont nous parlerons plus loin, une seule voix discordante s’est élevée contre l’unanimité faite autour des deux bases de la réforme, le «Fonds» et le «CNCA», à savoir la voix… du président de l’ACT qui s’est opposé publiquement, dès la 2ème réunion d’Hammamet, à la création d’un CNCA (est-ce parce qu’un tel organisme supprimerait les «passe-droits» ?). Puis, après une réunion de conciliation où il m’a affirmé avoir été convaincu par nos arguments, il publiait dès le lendemain dans une pleine page du journal «Echourouk»  son refus absolu d’un CNCA tunisien !

Mise à part cette trahison de l’«ACT-RCD» par rapport à l’intérêt commun des cinéastes, je dois également évoquer les divergences d’approche apparues entre «anciennes» et «nouvelles» générations au sein des «sous-commissions» chargées de la réforme de chaque secteur (et où chaque corporation propose souvent, comme il est naturel d’obtenir le maximum en sa faveur !)

C’est ainsi que la commission «production» a été jugée par les «jeunes» comme proposant de donner la «part du lion» aux producteurs par rapport aux réalisateurs et aux scénaristes. À tel point qu’un collectif composé de 12 jeunes cinéastes et d’un critique, futur cinéaste, réunis dans les bureaux «d’Exit Production» a rédigé un second rapport complémentaire de réformes, avec des propositions similaires et d’autres différentes.

De son côté, la sous-commission de l’industrie cinématographique ayant fait des commentaires plutôt virulents sur les équipements encore manquants dans le complexe de Gammarth, s’est attiré la colère des responsables de ce complexe.

Le projet tentait également de dépasser la «malédiction» de l’audiovisuel en Tunisie, où contrairement au Maroc, cinéma et télévision ne sont pas régis par un même ministère, ce qui provoque toujours des antagonismes contre-productifs : à tel point qu’à la 2e réunion d’Hammamet, le représentant du ministre de la Communication (ministère aujourd’hui supprimé) a opposé son veto à ce que les télévisions publiques et privées contribuent au futur «Fonds cinéma». Un autre responsable de «Canal 7» nous révélant ensuite en privé qu’une des raisons réelles de ce refus était que la société «Cactus» de Belhassen Trabelsi aurait, dans sa pratique du «Barting» imposé à la télévision nationale, dévoré la presque totalité des recettes publicitaires. De leur côté, plusieurs jeunes cinéastes plus radicaux rejetaient toute «coopération» (pourtant économiquement nécessaire à condition de bien séparer les deux genres de production) avec la télévision nationale pourvoyeuse de programmes «médiocres» et «béni oui-oui» du pouvoir qui pourrait «contaminer» les films de cinéma.
Nous avons alors, par l’intermédiaire d’Ibrahim Letaïef, organisé des réunions de conciliation avec les différents partenaires.

Ayant demandé aux producteurs d’amender d’ores et déjà leurs propositions (car, en tout état de cause, l’ensemble des propositions devraient continuer forcément à être discutées dans le détail même après la création du «Fonds» et du «CNCA»), ayant également fait constater que l’équipement de Gammarth se poursuivait , et ayant aussi inscrit sur la demande du syndicat des techniciens que le CNC organiserait bien la mise sur pied de «conventions collectives» entre eux et les producteurs , nous avons, malgré les saines différences de point de vue qui persistaient entre les membres, bouclé un rapport qui reflétait tout de même les vœux de la majorité des participants et qui, n’étant pas contesté dans ses revendications légitimes de base, a été accepté à la réunion finale à Hammamet, en octobre dernier.

F.B.

*Critique et historien du cinéma – Professeur d’université – Réalisateur.

Lire demain la 3e et dernière partie : «Une urgence pour les cinéastes»

Source : https://www.turess.com/


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