LE TUNISIEN NACER KHÉMIR ILLUSTRE, AVEC DES ENFANTS, UN CONTE DES «MILLE ET UNE NUITS»

Nacer Khémir et sa troupe lors de la réalisation du «Baobab magique».

L’imaginaire arabo-musulman

Par Farida AYARI – Jeune Afrique – N° 1001 – 12 mars 1980

«Les plus de vingt ans ne m’intéressent pas», déclare, tout de go, Nacer Khémir. «En Tunisie, plus de la moitié de la population a moins de vingt ans. Envahis par l’imagerie occidentale, écartelés entre un héritage trop riche et un avenir à inventer, ces jeunes n’ont plus que l’outil verbal pour s’insérer dans la vie sociale». En quelques mots, Nacer Khémir a résumé ses préoccupations.

Né dans le petit village de pêcheurs de Korba, c’est un artiste complet : peintre, sculpteur, marionnettiste, conteur et cinéaste. Avec les enfants de son village et ceux de sa famille, notamment sa jeune sœur Sabiha, il a illustré des contes des Mille et Une nuits et modelé des masques.

Sur le thème Une histoire des Mille et Une nuits dans Korba, la bibliothèque des enfants du Centre Beaubourg à Paris (1), organise, du 27 février au 31 mars, une exposition des œuvres de Nacer Khémir et un programme audiovisuel expliquant ses méthodes de travail qui aboutissent à cette création graphique et orale. Sur une douzaine de panneaux, l’artiste et les enfants de Korba retracent l’épisode de «Jaouda et ses frères».

Œuvres collectives

Racontant l’histoire aux enfants, Nacer Khémir les a amenés à l’illustrer, en faisant appel à leur imagination et à leur sens de l’observation. Ainsi, le légendaire s’intègre à des éléments de la vie quotidienne : cérémonies religieuses, mariages… Les gens du village deviennent pour les enfants source d’inspiration quand il s’agit de représenter les personnages mirifiques du conte. Le marchand de beignets sera le vizir, le boucher le mufti…, etc.

De ces œuvres collectives, spontanées et naïves, se dégage une sensibilité au langage où la création part de l’imaginaire ancestral de la société arabo-musulmane pour s’intégrer à l’évolution du monde. Pour Nacer Khémir, «la création est le seul lieu d’indépendance». Depuis plus de dix ans, il lutte contre l’emprise de la société moderne sur son village et surtout contre les ravages de la radio et de la télévision. Avant l’introduction de ces deux gadgets, chaque village d’Afrique avait ses poètes ou ses griots. Bons ou mauvais, quelle importance ? Ils avaient, et c’est l’essentiel, un rapport à la langue, sensible et charnel. Aujourd’hui, on ne raconte plus, on parle «utilement».

Grâce à son travail, Nacer Khémir veut donc démontrer que la civilisation arabo-musulmane, loin d’être figée, peut évoluer en trouvant des correspondances entre l’histoire ou la légende et la réalité. Cette recherche, entreprise avec des enfants de 7 à 16 ans, indique une voie qui vaut probablement pour l’ensemble du Tiers monde. Une expérience que Nacer Khémir a retracée dans son livre «L’Imaginaire des adolescents», édité chez Skira.

Universaliste

L’illustration du Nuage amoureux, du poète turc Nazim Hikmet par Sabiha Khémir (19 ans), est présentée en contrepoint de l’exposition, ainsi que l’illustration par les enfants, de «l’Hégire», un rappel historique de l’Islam replacé dans son contexte actuel.

Au cinéma, Nacer Khémir a utilisé les mêmes méthodes et la même démarche. «Histoire du pays du Bon Dieu» est également un conte dont chaque épisode est supporté par une narration traditionnelle.

(1) Centre Georges Pompidou – Bibliothèque des enfants, entrée rue du Renard – Paris 4°

Source : JEUNE AFRIQUE – N° 1001 – 12 MARS 1980


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