IMED MARZOUK : L’AUTRE RACE DES PRODUCTEURS DE CINÉMA

Interview conduite par Souad Ben Slimane – La Presse de Tunisie – Publié le 24.12.2012.

Quand il s’agit de ses films, de ses projets ou de ses succès, Imed Marzouk ne parle jamais à la première personne. Il croit vraiment au travail d’équipe et n’oublie à aucun moment qu’il a un associé, Néjib Belkhadi, et qu’à Propaganda Productions, les deux font la paire.

L’un écrit et réalise et l’autre gère les affaires de la production. Bonjour l’angoisse quand les commanditaires de pub (source de vie élémentaire pour les sociétés de production) se font rares ! Mais au lieu de se plaindre, Imed s’occupe à trouver l’argent et le bon filon. Le jeune producteur, déjà très sollicité dans le milieu du cinéma, garde les pieds sur terre. Il ne fera pas de concessions, même s’il doit manger de la vache enragée.

Son identité de producteur, qui a choisi le cinéma comme mission, en dépend. Il rêve de films authentiquement tunisiens, mais aussi aux propos universels qui dépassent les frontières, et s’en fiche si ce n’est pas son nom qui est écrit en haut du générique. Parole à celui qui rougit quand on se met à lui prodiguer des louanges.

Nous croyons savoir que vous n’avez jamais fait d’études de cinéma. Quelle a été votre formation initiale ?

  • J’ai étudié à  l’IHEC (Institut des Hautes Études Commerciales). Après avoir  obtenu un DEA en marketing, j’ai commencé à faire ma thèse et à enseigner en même temps.  Mais il ne m’a pas fallu longtemps pour découvrir que ma vocation était ailleurs.

Comment s’est fait le déclic ?

  • Je me cherchais encore, lorsque j’ai créé un service d’internet. Ce n’est qu’en intégrant Canal Horizons comme assistant sur «Chams âlik», l’émission créée et réalisée par Néjib Belkhadi, que j’ai découvert le plaisir de travailler dans l’audiovisuel.

Comment vous êtes-vous connus, Néjib et vous ?

  • A l’IHEC, par un hasard tout à fait insolite. Néjib, mon aîné à l’institut, était la terreur des étudiants dans le bizutage et j’étais l’une de ses victimes. Mais j’ai joué le jeu et Néjib a dû apprécier mon fair-play. Après plusieurs rencontres entre copains, nous avons commencé à rêver d’un projet commun : une boîte de communication ou une société de production. Ayant réussi à assurer  ensemble deux saisons de l’émission satirique «Chams âlik», nous avons décidé, suite également à la fermeture de Canal Horizons en 2001, de lancer Propaganda, notre propre boîte de production.

Pourquoi avez-vous choisi ce nom devenu très vite célèbre dans le milieu ?

  • Rappelez-vous du logo : un portrait de femme dessiné en noir et blanc sur fond rouge, mais qui a la bouche bâillonnée. C’était une manière de dire à quoi rimait toute cette propagande politique de l’époque et que nous ferons tout pour nous exprimer librement, malgré la censure.

Votre logo ne devrait-il pas changer de sens après la révolution ?

  • Malheureusement, il demeure très actuel (sourire).

Et si on vous demandait de faire le bilan après plus de dix ans de production, que diriez-vous ?

  • Je dirais que nous n’avons pas encore réussi à 100%. Mais ce qui est sûr, c’est que nous continuerons à suivre la ligne éditoriale tracée dès nos débuts.

Et quelle est cette ligne éditoriale ?

  • Faire des films modernes, qui s’adressent au Tunisien, qui mettent en images ses préoccupations et ses soucis et dont le propos est universel.

Considérez-vous le documentaire intitulé «VHS Kahloucha» comme votre plus grand succès ?

  • Tout à fait.

Combien avez-vous fait d’entrées ?

  • Nous avons réalisé 85000 entrées en Tunisie et nous avons été sélectionnés dans une centaine de festivals dont «Sundance», le plus important festival américain de cinéma indépendant et l’un des principaux au monde.

Comment se fait le choix des films que vous produisez ?

  • La qualité du scénario est primordiale. Il doit être bien écrit au niveau de la dramaturgie et de la construction des personnages. Le projet doit également porter un regard qui est en accord avec notre propre vision du cinéma. Cela dit, il nous arrive de retravailler un scénario, mais en étroite collaboration avec l’auteur.

Qui décide de tel ou tel projet à faire ?

  • Dans la boîte, les tâches sont bien réparties. Mais parfois on est trois à décider des projets que l’on reçoit et qui sont à développer.

Jamais deux sans trois, à part Néjib et vous, qui est le troisième ?

  • Il s’agit de Bady Chouka ; il est monteur, il travaille avec moi dans la production et bientôt, il va tourner son premier court-métrage en tant que réalisateur.

Est-il vrai que vous êtes le producteur le plus sollicité ?

  • Je ne sais pas. Mais nous recevons beaucoup de demandes de production.

Quel genre d’auteurs souhaitent se faire produire chez vous ?

  • Des auteurs jeunes et moins jeunes. De nouveaux ressortissants des écoles de cinéma ou des professionnels qui font des expériences non concluantes ailleurs, pour des raisons que je n’ai généralement pas envie de savoir et qui viennent nous demander de faire aboutir leurs projets.

Et qui sont les moins jeunes ?

  • Férid Boughedir, par exemple. Nous avons le projet de produire son prochain film. Parmi les jeunes, il y a Walid Tayaâ qui fait son premier long-métrage avec nous  et qui s’appelle «Fataria».

Et pourquoi vous choisit-on, selon vous ?

  • Ce n’est pas à moi de vous répondre, il faudra peut-être poser la question à ceux qui s’adressent à nous.

Modestie mise à part, vous devez quand même savoir pourquoi ?

  • Ils viennent me voir parce que j’assure le rôle de producteur. En choisissant Propaganda, ils trouvent quelque part leur compte : un certain esprit d’équipe, une certaine  manière de faire, une prise en charge du film depuis le scénario jusqu’à sa sortie commerciale et sa carrière dans les festivals… Nous essayons d’assurer un minimum de confort  humain et matériel pour que l’équipe fasse son travail correctement. Pour cela, nous ne lésinons pas sur les moyens quand ces derniers sont disponibles.

C’est le moins qu’un producteur puisse faire. A ce point, vous êtes différents des autres ?

  • C’est vous qui le dites.

Certains disent que vous êtes la nouvelle race des producteurs, après feu Ahmed Baha Eddinne Attia. Qu’en pensez-vous ?

  • Vous avez bien dit «certains», donc  tout le monde ne pense pas la même chose… Franchement, je suis encore loin pour être comparé à feu Attia. Cet homme a beaucoup fait pour le cinéma tunisien, sur tous les plans. Il nous a surtout fait découvrir des cinéastes et des talents. Il s’est même investi dans d’autres films arabes. De plus, il a réussi à réconcilier le Tunisien avec l’image que lui renvoie le grand écran, dans un contexte beaucoup plus difficile que celui où nous avons intégré le milieu. Tandis que moi, j’en suis encore à mon premier long-métrage, en tant que producteur.

Feu Attia, lui-même, considérait le duo Imed et Néjib comme l’espoir du cinéma tunisien. Vous souvenez-vous de cette déclaration ?

  • Et comment que je m’en souviens ! Cette déclaration est parue dans sa dernière interview, qu’il avait accordée à votre journal. J’en garde encore une copie. Attia disait à propos de Néjib et moi : «Ce tandem ira très loin dans le cinéma, il portera le flambeau».

Quel effet vous a fait cette déclaration ?

  • Cela m’avait beaucoup touché, j’en suis ému encore aujourd’hui au point d’avoir des frissons. Ce témoignage, qui fait énormément plaisir, nous responsabilise en même temps, Néjib et moi. J’espère que nous serons un jour à la hauteur de ces propos.

Qu’est-ce qui vous en empêcherait ?

  • Rien, si nous voulons prendre ce grand producteur comme modèle. Nous irons jusqu’au bout pour ce qui dépend de nous.

Mais il y a énormément de problèmes à résoudre dans le secteur, qu’en dites-vous ?

Absolument. Des problèmes du secteur cinématographique tunisien il y en a tellement et depuis toujours que cela devient ennuyeux de les énumérer à chaque fois! Mais il y a une chose que je ne cesserai de répéter : il faut que le cinéma tunisien ait un langage artistique susceptible d’interpeller le Tunisien.

C’est important qu’un film soit de grande qualité artistique et technique pour être exportable et obtenir des prix aussi bien dans les petits que dans les grands festivals. Ce n’est pas normal de produire des films pour les garder par la suite dans les tiroirs !

Est-ce que «Bastardo», le premier long métrage de Néjib Belkhadi, répond à ces critères de qualité ?

  • Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais je peux dire quand même qu’on a fait un bon film.

A quelle étape en est le film à présent ?

  • Il est en post-production. Nous prévoyons sa sortie à la prochaine rentrée culturelle. C’est-à-dire vers la fin 2013.

Si nous avions bien compris, vous le gardez au chaud pour la prochaine édition de Cannes ?

  • Oui. Pourquoi nous en priver ? Nous espérons être sélectionnés dans l’un des écrans de la compétition officielle, la Quinzaine des Réalisateurs ou la Semaine de la Critique.

Bonne chance !

  • Merci.

Auteur : Interview conduite par Souad Ben Slimane

Source : http://jetsetmagazine.net/


 

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