IBRAHIM LETAÏEF, PRODUCTEUR ET RÉALISATEUR : «LE COURT-MÉTRAGE, C’EST UN COUP DE CŒUR !»

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Par : Hanene Zbiss – Réalités.com – le 20 décembre 2007.

A l’occasion de la sortie commerciale d’un programme de douze courts-métrages, intitulé «Le court fait son cinéma» à la salle Mondial, nous avons rencontré l’initiateur de cette expérience originale, M. Ibrahim Letaïef, qui a bien voulu s’entretenir avec nous sur l’idée qui la sous-tendait, la situation du court-métrage en Tunisie et ses efforts pour la promotion de ce genre cinématographique, presque méconnu par le public tunisien.

Comment est venue l’idée de sortir commercialement ce programme de douze courts-métrages ?

  • C’est un rêve qui se réalise. Tout le monde sait que le court-métrage n’a aucune chance aujourd’hui de sortir dans les salles de cinéma, et encore moins dans les télévisions tunisiennes. Pourtant, il y a huit ans de cela, l’ERTT achetait les courts-métrages et les diffusait dans un programme. Eh bien, du jour au lendemain, elle a arrêté de le faire et du coup il n’y a plus de visibilité pour les courts-métrages, excepté dans les manifestations culturelles qui drainent un public assez particulier. En dehors de ces évènements ponctuels, il n’y a aucune possibilité de les montrer.
    Quand on a lancé «10 courts, 10 regards», on ne pensait pas les réunir. Donc chaque film a fait son chemin tout seul. Certains ont été présentés dans des festivals et ont gagné des prix. La seule fois où on les a montrés ensemble, c’était au Festival de Carthage en été. Et là, on a eu à peu près 6.500 personnes qui se sont déplacés pour voir un programme de courts-métrages, et c’était magnifique. De là, l’idée a commencé à mijoter dans ma tête, mais il fallait trouver une salle de cinéma qui accepte de diffuser un programme de courts-métrages. J’ai parlé à la propriétaire de la salle Hannibal – Amilcar, qui a aimé le projet. On a traîné un petit peu; entre temps, j’ai contacté la salle Le Mondial qui a tout de suite accepté et on a programmé la diffusion. Mais on m’a demandé d’ajouter aux dix courts, deux autres films qui ont très bien marché et attiré le public, à savoir «Visa» et «Casting pour un mariage».
    Cette expérience est une première en Tunisie. Jamais un programme de courts-métrages n’est sorti commercialement. Si ça marche, tant mieux pour les producteurs et les réalisateurs. Si ce n’est pas le cas, on aura quand même marqué le coup, ce qui servira peut-être d’exemple à d’autres.

Est-ce qu’il y a eu jusqu’ici un grand public qui est venu voir le programme ?

  • Les gens commencent à venir nombreux. On est en train de toucher un autre public, qui n’est pas celui des manifestations culturelles, mais le public des salles de cinéma. Les résultats ne sont pas énormes car on n’a pas sorti un nouveau film, mais le fait de convaincre un public de venir voir des courts-métrages est déjà quelque chose, car il n’est pas habitué à cette formule. Grâce à cette expérience, il va pouvoir découvrir plusieurs histoires et voyager à travers de nombreuses situations. Il verra aussi une panoplie de grands acteurs tunisiens comme Fatma Ben Saïdane, Jamel Madani, Lotfi Dziri, Jamel Sassi, Mohamed Griaa, Mounira Rezgui etc. Il n’y a pas de fil conducteur entre toutes ces histoires, c’est le spectateur qui va construire le sien. Je pense que cette expérience est révélatrice avant tout d’un état d’esprit des jeunes réalisateurs tunisiens, qui observent des situations et s’y intéressent de près, chacun à sa manière.

Justement, à propos des jeunes, avons-nous de vrais talents qui peuvent devenir un jour des réalisateurs de bons longs-métrages ?

  • Je pense que oui. En leur offrant la possibilité de diffuser leurs productions, ils vont pouvoir montrer leurs talents. Il y a des jeunes qui promettent, comme Walid Tayaa, réalisateur de «Madame Bahja», ou Kaïs Zaied, réalisateur de «Conversations» ou encore Wissem Tlili, réalisateur de «Perversions», un court-métrage qui a fait le tour du monde et qui est allé jusqu’au Festival de Sydney. On a de vrais talents, mais les outils de promotion ne sont pas nombreux pour les faire connaître. Je crois que la société civile peut jouer un rôle à ce sujet.

Dans ce programme, on a remarqué qu’il y a des courts-métrages bons et des moins bons, comment les avez-vous choisis ?

  • Certainement, il y a des films bons et des moins bons, mais l’objectif initial de cette série «10 courts, 10 regards» quand on l’a lancée en 2005, c’était de donner la chance à des jeunes de tourner dans des conditions professionnelles. Déjà, pour choisir ces dix films, on a dû faire une sélection parmi 56 scénarios envoyés. C’est sûr que dans cette série, les courts-métrages sont inégaux du point de vue qualité et style. Aujourd’hui, un an et demi après, on peut dire qu’il y a eu, au moins, cinq ou six films qui se sont distingués et qui ont fait le tour du monde. Il y en a d’autres qui n’ont pas eu de succès international.

Quelle est la situation du court-métrage en Tunisie actuellement ?

  • Selon moi, le court-métrage nous permet d’asseoir cette cinématographie qui nous manque aujourd’hui, car en Tunisie on ne dispose pas de cinéma tunisien mais de films tunisiens. Je crois qu’il faut travailler beaucoup au niveau du court-métrage pour créer une tradition. Il faut produire d’abord en bonne quantité, pour atteindre après la qualité. La situation n’est pas mal quand même, car il y a beaucoup de réalisateurs qui commencent à produire des courts-métrages, ce qui permettra d’avoir plus tard un cinéma de courts-métrages. Bref, la situation va de mieux en mieux.

Y a- t-il aujourd’hui un public de courts-métrages, ou est-il à créer ?

  • Le public a été créé. Cela fait plus de deux ans qu’on travaille sur les courts-métrages, et aujourd’hui on a des spectateurs fidèles qui sont essentiellement des jeunes et de vrais cinéphiles. Ils sont en train d’apprendre le cinéma à travers nos courts-métrages.

On a toujours l’impression que le court-métrage est une étape vers le long-métrage, et non un genre à part. Est-ce vrai ?

  • Le court-métrage est un genre cinématographique qui a sa propre existence. Il y a de grands réalisateurs mondiaux qui continuent à faire des courts-métrages. Il y a un retour vers ce genre. Naceur Khemir par exemple y revient dans son prochain film. Donc, je ne pense pas que le court est un passage obligé vers le long-métrage. On peut commencer par le long, puis faire du court-métrage, comme on peut passer toute sa vie à ne faire que des courts.

Qu’est-ce qui distingue le court-métrage du long-métrage ?

  • C’est comme en littérature : il y a le roman et la nouvelle. Le court-métrage expose une situation ou plusieurs. C’est un genre cinématographique qui, à mon avis, est plus difficile que le long-métrage. Car dans un film qui dure entre une heure et demie et deux heures, le spectateur peut décrocher et revenir après. Dans le court, il n’y a pas cette possibilité-là. Soit le réalisateur arrive à accrocher le spectateur, soit non. Il est important que tout, au niveau de l’histoire, du traitement, de la technique et de la musique soit bien fait et dans un court laps de temps. Le public sort avec une impression : «le film est bon ou pas bon», il n’a pas le temps de réfléchir. A mon avis, le court-métrage est un coup de cœur.

A propos de l’Association du Court-métrage, quel rôle a-t-elle ?

  • C’est une association qui a été créée il y a deux ans. Son rôle est de promouvoir le court-métrage en Tunisie et à l’étranger. Elle fait de la programmation à la demande des ciné-clubs en Tunisie, de certaines salles de cinémas ou manifestations culturelles. On essaie aussi de faire de la promotion à l’étranger. Comme on est parrainé par l’Association du court-métrage en France, il nous arrive de préparer la programmation de courts tunisiens dans des festivals. On travaille beaucoup aussi avec les lycées en Europe, en y projetant des courts. On organise, en outre, une manifestation annuelle qui s’appelle «La Médina fait son cinéma» où l’on projette un programme de courts sur les murs de la Médina. Notre rôle est donc de faire de la promotion et de la diffusion.

Est-ce vrai que vous allez organiser un festival de courts-métrages ?

  • Oui, on voudrait le lancer pour l’été 2008. Ce sera un festival où les projections auront lieu dans des espaces découverts, probablement la Karraka de la Goulette et le Théâtre romain de Carthage. Il se tiendra pendant une semaine au sein du Festival de Carthage. Ce sera un festival international auquel plusieurs pays pourront participer et il s’appellera le Festival International du Court-métrage. On est en train de travailler dessus. J’espère que le ministère de la Culture nous aidera à le monter.

Quelles sont les nouveautés concernant la nouvelle édition des «10 courts, 10 regards» ?

  • Pour la nouvelle édition, étant donné le grand succès international qu’ont eu les «10 courts, 10 regards 2006», on a reçu à peu près 107 scénarios, suite à un appel à candidatures lancé sur le Web. Ils proviennent d’Égypte, du Liban, du Maroc, d’Algérie, de Belgique etc. Parmi les 107, 47 projets sont tunisiens. On a lu les 47 scénarios et on a procédé à la sélection de dix textes dont les auteurs sont des jeunes de 23 ans, issus d’écoles de cinéma. On leur a organisé des ateliers d’écriture et de réalisation et maintenant on a commencé le tournage. Nous sommes à notre 4ème film et espérons terminer vers la fin du mois de janvier. On les fera sortir en un seul programme cette fois-ci, en profitant de l’expérience actuelle du «Le Court fait son cinéma». L’avant-première pour les journalistes aura probablement lieu vers avril/mai et la sortie grand public aura lieu pendant les JCC. Par la suite, une sortie commerciale est prévue au mois de novembre.

Concernant vos projets personnels, êtes-vous en train de préparer quelque chose ?

  • J’ai fini le tournage d’un court-métrage qui s’appelle «La Balançoire» en 4 mn. Il sera prêt pour janvier 2008. Je pensais pouvoir tourner mon premier long-métrage, «Flous Académie», dont j’ai écrit le texte il y a quatre ans. Ce n’est plus possible de le faire car je ne dispose pas d’assez de fonds pour le réaliser, bien que je vienne de recevoir la subvention de l’État, plus réduite de ce qui a été prévu initialement. Je ne vais malheureusement pas l’accepter et j’ai décidé de reporter ce projet. Toutefois, je vais me lancer l’année prochaine dans le tournage d’un autre long-métrage, intitulé «7, avenue Habib Bourguiba», qui a un budget plus modeste et je pense le financer avec mes propres moyens. Il est prévu que le tournage commence fin mars 2008.

Hanene Zbiss – Réalités.com – le 20 décembre 2007.


 

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