L’HOMME QUI A VENDU SA PEAU : SIDI BOUZID GIRL GOES TO HOLLYWOOD

Par Rim BEN FRAJ – cinemattack.org – avril 21, 2021

Quand elle était petite, Kaouther Ben Hania allait avec son papa écrivain au cinéma de Sidi Bouzid, qui est maintenant devenu le bureau d’état-civil de la municipalité du bled. Ainsi, quand les Bouzidiens ont besoin d’un extrait d’acte de naissance, ils vont au «cinéma». Belle allégorie sur l’identité et ses représentations.

Le compte à rebours est lancé : on est à J-5 de la cérémonie des Zaouardss, les zOscars de Khouliwood, et la petite Kaouther, entre-temps devenue grande, a quelques chances d’être la première Bouzidienne et Tunisienne de l’histoire à être khouliwoodisée, ce que même Mohamed Bouazizi n’était pas parvenu à atteindre. Évidemment, elle a de sérieux concurrents, entre autres la Bosnienne Jasmila Žbanić, de 3 ans son aînée, qui a balancé un autre film pour faire saigner le cœur des Grands-Blancs-à-mauvaise-conscience, Quo vadis, Aida?, qui raconte la livraison, en juillet 1995, par l’Occident démocratique casqué de bleu, des muslims de Srebrenica aux tueurs serbes de Ratko Mladic, après que Messieurs Chirac et Clinton eurent donné leur feu vert.

Bande-annonce de L’homme qui a vendu sa peau.

Le film de Kaouther prend comme prétexte une autre tragédie qui a quelque peu égratigné l’opulente Europe : celle des réfugiés syriens fuyant une guerre civile globalisée, provoquée par ce même Occident à bonne conscience démocratique.

Son film, «L’Homme qui a vendu sa peau», s’inscrit dans la dernière «nouvelle vague» du cinéma mondialisé. Comme Parasites, le film sud-coréen, ou «La Plateforme», film espagnol, nous assistons une fois de plus au choc du Sud avec le Nord, de ceux d’en bas avec ceux d’en haut. Bref, des tentatives de mettre en images la lutte des classes planétaire.

Kaouther, comme ses collègues de la même génération de quarantenaires rugissants, a une culture cinématographique plutôt solide.  Elle connaît ses classiques, y compris ceux qui n’ont jamais été projetés au cinéma de Sidi Bouzid. Et la caméra virtuose du directeur de la photo Christopher Aoun fait le reste. Beaucoup des scènes du film, par leur cadrage, par le choix subtil de filtres, les jeux de lumière, de fondus au noir et de couleurs, peuvent donner une impression de déjà vu à des vieux cinéphiles (qui auront pensé à Greenaway, à Bresson ou à Fassbinder) mais ont une force d’impact sur les cinéphiles au regard plus proche de la virginité, du moins ceux dont les yeux n’ont pas été définitivement détruits par Youtube et les feuilletons de leurs télés nationales, généralement turcs et doublés en arabe libano-syrien. Et comme Kaouther est dotée d’un sacré humour des deux rives, ses clins d’oeil s’adressent aussi aux accros des telenovelas turco-syro-libano-égyptiennes, en particulier dans les scènes où le héros, l’héroïne, sa maman et le mari «dibloumate» essaient de surmonter le malaise commun à toutes les sociétés arabes : «vite, il faut la marier avant qu’elle ne fasse une connerie».

Il y a des moments universellement jubilatoires : qui ne peut pas jubiler en voyant un p’tit gars de Raqqa marcher résolument, pieds nus, sa robe de chambre en soie bleu vif flottant, aux pieds de gigantesques peintures de l’École hollandaise du Musée royal de Bruxelles, comme s’il les passait en revue mais sans leur jeter un seul regard, pour ensuite prendre sa place comme œuvre d’art vivante ?

Venons-en au fond : la trame du film est indéniablement bien trouvée – n’en déplaise à certains, qui voient dans la tragédie du peuple syrien un «fait divers d’actualité» -, la manière de la mettre en scène et en images ne peut pas plaire à tout le monde – et c’est normal -, mais c’est un choix qu’on ne peut que respecter. Des critiques chagrins l’ont accusée d’avoir fait un film «pour les Occidentaux», qui ne parle pas aux Arabes, pour ainsi gagner son ticket d’entrée à Khouliwood. Dans un temps où tout le monde regarde tout – des habitants de bidonvilles indiens regardent des séries islandaises, des mères de famille colombiennes regardent des séries turques -, il est temps de remettre en cause cette opposition entre regards du Nord et regards du Sud. Désormais, toute entreprise de création et de production cinématographique vise un public – un marché – mondial et le film de Kaouther, produit par des Belges, des Français, des Suédois, des Qataris et des Tunisiens, n’échappe pas à la règle. Son film est un tel patchwork de genres, de styles, de rythmes que chacun·e, de Raqqa à Sacramento, peut y trouver son bonheur, agrémenté de quelques petites doses d’irritation. Mais une vie de cinéphile n’est jamais un long fleuve tranquille.

Fiche cinemattack

  • Genre : drame satirique
  • Scénario : recherché, soigné
  • Réalisation : kaléidoscopique, un peu chorba (soupe)
  • Bande-son/musique : classique occidentale arabo-mondialisée
  • Direction photo : créative, inventive, maîtrisée
  • Direction d’acteur·trices : excellente
  • Meilleur·e acteur·trice : Yahia Mahayni (Sam Ali) et Dea Liane (Abir)
  • Pire acteur·trice : Monica Bellucci
  • Coup de coeur : les yeux d’Abir
  • Notre note : 4 (de 1 à 5)

Ils – elles ont écrit

«Sommet de film en vase clos, le pompiérisme humanitaire de KBH, chic, bruyant et obscène, rivalise de cynisme avec ce qu’il entend dénoncer».

PharaonDeWinter

يمكن لشريط كوثر بن هنية، الوصول إلى أعين المشاهدين بسحره، ولكنه لم يتجرّأ على طرح الأسئلة المُحرجة، علينا نحن كعرب. فيلم يخاطب الجمهور الغربي أكثر من الجمهور العربي، ويجعله يتأثر لحالنا، ولكنّ المهم: هل نستعمل السينما لمخاطبة أنفسنا وإيجاد الأجوبة عن أسئلتنا، أم هدفنا فقط طرح قضايا أساسية تمسّنا من دون التكلم عنها بجدية وبنقد حادّ لأنفسنا قبل أي شخص آخر؟

شفيق طبارة/الأخبار اللبنانية

Le film de Kaouther Ben Hania peut éblouir les yeux des spectateurs avec son charme/sa magie, mais il n’a pas osé poser des questions embarrassantes sur nous en tant qu’Arabes. Un film qui s’adresse plus au public occidental qu’au public arabe et le sensibilise à notre condition, mais l’important : utilisons-nous le cinéma pour aborder nos problèmes et y trouver des réponses, ou cherchons-nous seulement à présenter des problèmes de base qui nous affectent sans parler sérieusement et de manière critique, avant tout de nous-mêmes ?

Chafik Tabara, critique libanais, al-akhbar

Source : https://www.cinemattack.org/fr/


 

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