FESTIVAL DE KÉLIBIA : BEAUCOUP DE PELLICULE ET PEU DE FILMS

Les débats… et après ?

Par : Abdelkrim GABOUS – Le Temps, 21 août 1975

Plus de 100 films forment le lot des films inscrits au programme du «8° Festival international du cinéma amateur de Kélibia». Les participants à ce Festival montrent que le potentiel humain de la Fédération tunisienne des Cinéastes amateurs (F.T.C.A.) s’est renforcé. Mais qu’en est-il de la production ? De l’organisation par rapport à celui de l’année dernière ? Et des débats ?

Si le Festival a connu cette année un comité-directeur et un comité d’organisation, cela n’a pas permis aux responsables d’éviter les écueils d’organisation et parfois de décision, car les mêmes lacunes, les mêmes enclaves et les mêmes ambiguïtés dans la responsabilité de l’organisation continuent à être le cachet de Kélibia.

Néanmoins tous ces «petits problèmes» ne risquent certainement pas de dévaluer un festival devenu nécessaire pour la survie du cinéma amateur. Surtout quand la production (et c’est la chose la plus importante pour le Festival) marque une évolution par rapport au dernier Festival.

Malheureusement, la production tunisienne présentée lors de quatre premières séances témoigne que la F.T.C.A. commence à souffrir d’un mal sénile suite à la multitude des problèmes, parfois insurmontables, que cette fédération rencontre de jour en jour.

Les films tunisiens… et l’on «bouffe» de la pellicule ? !

On peut éliminer dès le départ deux films d’un jeune Tunisien confortablement installé en France, ce qui l’a pousser à ne voir de la France que le côté pittoresque (dans son soi-disant film «Le Ski») et à voir la Tunisie d’un œil exotique. Faute de pouvoir sentir la vérité de notre société à la réalité fort complexe, il s’est perdu dans les dédales des hôtels, imposant ainsi au public une suite de plans catastrophiquement beaux reflétant une inconscience totale chez un jeune qui devrait voir ses origines et ne pas courir devant la beauté des images (d’après les critères esthétiques que lui inculquent ceux qui l’ont adopté).

Nous pouvons éliminer aussi un certain Hatem Jaïbi qui, par un pédantisme cinématographique, partant d’une notion du cinéma liée à une vague idée de scientifisation du visuel, se perd dans les méthodes de remplissage de l’écran par des éléments scéniques, sans prendre conscience du rôle que peuvent jouer les décharges lumineuses sur la rétine d’un spectateur qui a soif de voir sa réalité sur l’écran, plutôt que ce qui se passe à Montpellier.

Les autres films tunisiens souffrent presque tous des maux endémiques qui deviennent de plus en plus dangereux pour le cinéma amateur tunisien.

L’absence de clarté dans les propos, le divorce total entre la bande-son et la bande-image, le «clichétisme gratuit», et la mauvaise organisation du tournage forment les principaux défauts de films amateurs tunisiens  qu’on a pu voir dans ce 8° Festival.

Aucun film choc n’est attendu comme lors du dernier Festival. Les Kmicha, Abid et consors, qui ont pourtant marqué d’une pierre blanche l’histoire du cinéma amateur, paraissent cette année vivre en marge du Festival.

Abdelwahab Bouden, l’une des figures prometteuses de la F.T.C.A., a brillé, quant à lui, par son absence.

Trois films méritent de retenir l’attention, «Fabrication de la laine» du «club de Ksar Hellal). «Décoloniser le cinéma», commencé par «Khaled Agrebi» (médaille d’argent du 7° Festival) et terminé par le club de Tunis et «L’Enfant au fourneau» de «Ayadi Lotfi» du club Sfax.

«Fabrication de la laine» et «L’Enfant au fourneau» semblent tous deux répondre à l’encouragement des festivaliers du 7° Festival pour le film documentaire, après la consécration du «Tamis» de «Mehdi Mlika», du club de Monastir. Tous deux sont des documentaires bien intentionnés voulant instaurer l’habitude du documentaire au sein de la F.T.C.A. Mais comme dit l’adage : «Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions», ces deux jeunes sont tombés dans une confusion grave entre les reportages sur les métiers et le documentaire.

Quant à «Décoloniser le cinéma», l’intention aussi était bonne, mais il a été raté, car les matériaux ramassés par Khaled Agrebi ont été mis bout à bout dans un collage non étudié, en guise de montage.

«Les 7 palmiers», un documentaire sur le sud tunisien, filmé par un groupe de jeunes de Hammamet est bien parti, mais il tombe très vite dans un «reportagisme» semblable au carnet de voyage d’un mauvais touriste du «bled».

La participation étrangère

Quant aux films étrangers présentés les deux premiers jours, ce n’étaient que de simples films amateurs comme on en a toujours vu à Kélibia, à l’exception de trois films modestement réalisés et véritablement réussis, tant sur le plan de la technique qu’au point de vue fond.

«Zone torride», film vénézuélien, est un témoignage atroce et une dénonciation claire de la dépendance de l’Amérique latine envers celle du nord.

Avec un réalisme cru et un propos clair, en images puisque le texte écrit en espagnol ne nous était pas accessible, le réalisateur dénonce le «développement du sous-développement» et «l’échange inégal» entre les pays riches et les pays pauvres.

«Macho», un film de la R.F.A., est une allégorie très bien réussie sur l’exploitation. Dans un style mi-ironique, mi-tragique ; le réalisateur a su accaparer le public pendant les 16 mn pour chatouiller la conscience de ceux qui se font une idée vague de ce qu’est l’exploitation.

«L’Inéducable», court-métrage d’animation suédois, est aussi une bonne réussite technique au service d’un sujet fort intéressant. Partant de l’idée de la conquête des continents dits vierges, l’équipe de ce film met en question l’éducation et la récupération des minorités.

La distribution des prix du 7° Festival de Kélibia.

Les débats… faire parler le film à sa guise

Quant aux débats qui sont cette année plus organisés et tempérés, ils continuent à faire dire aux films ce qu’ils n’ont pas voulu dire dans un sens positif où négatif.

Les participants tombent souvent dans les généralisations et les discours-bateaux qui oublient la relation dialectique entre la thématique d’un film et sa technique.

De toutes les manières, les problèmes soulevés par les festivaliers en partant des films devraient être le sujet d’un débat plus large sur les problèmes de l’amateurisme dans le cinéma d’une façon plus générale.

Un dénominateur commun

Il s’avère en voyant le premier lot des films amateurs tunisiens qu’il y a des tâches urgentes à entreprendre par les différentes parties responsables du cinéma amateur. D’abord un renouvellement du stock de matériel urgent, car la qualité des films présentés laisse à désirer et cela est dû, non à l’absence de dextérité chez les amateurs, mais au mauvais état (sinon à l’absence) des caméras, des visionneuses etc…

Des séminaires techniques et théoriques sur le scénario, le découpage, le tournage et le montage sont nécessaires pour enrichir le bagage des amateurs qui semble être assez mince.

Il faut organiser des week-ends techniques et imposer l’application systématique des échelles de productions de la F.T.C.A., afin de créer des potentialités techniques suffisantes.

Enfin, le 8° Festival de Kélibia, avec ses défauts, reste une manifestation importante, non seulement pour le cinéma amateur tunisien, et le cinéma national tunisien, mais encore pour le mouvement international du cinéma amateur. Maintenir, renforcer, encourager ce Festival est certes utile, mais il faut aussi le repenser, le rediscuter et le restructurer, car il commence à vieillir à l’âge de 8 sessions.

Abdelkrim Gabous.

Le Temps, 21 août 1975.


 

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