HOMMAGE : BRAHIM BABAÏ : TOI QUI ES LÀ-BAS…

Par Slah SGHIRI – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 23-02-2011.

Difficilement cernable parce qu’aux multiples facettes, Barhoum, comme les intimes aimaient l’appeler, échappe aux canons du portrait fidèle et précis.

Aussi je me contenterai des traits les plus saillants indélébilement gravés dans une mémoire par-delà de ce qui nous a opposés, mais surtout ce qui nous a unis le long de cette franche amitié. Certes fluctuante, cette amitié a connu des hauts et des bas tellement la personnalité de Barhoum, haut en couleur, pleine d’aspérités et à l’apparence rugueuse, son fort caractère mais aussi sa sensibilité à fleur de peau ne laissaient guère de place à des rapports lisses, fussent-ils liés au banal quotidien ou à la cordialité de façade.

Terriblement féroces, ses coups de gueule ne connaissaient plus de limites, surtout dans ses face-à-face avec d’anciens compagnons de route plus ou moins ralliés au RCD ou jouant aux avocats d’un prétendu islamisme éclairé. Refusant tout compromis tactico-stratégique et recouvrant ses vieux réflexes de militant de gauche de la première heure, inflexible et toutes griffes dehors, il faisait montre d’un sens aigu de la répartie, parfois un tantinet démagogue certes, mais ne se dérobant jamais aux joutes polémiques ni même à la castagne quand cela se présentait.

Son sens de l’humour, ô combien allusivement ravageur, a ainsi contraint de nombreux transfuges à emprunter d’autres chemins que le sien. Satisfait, on le voyait s’enorgueillir de son statut de nettoyeur du centre-ville de Tunis. Comme qui dirait qu’un célèbre «dégage» était déjà dans l’air et que la révolution n’a fait, au bout du compte, qu’amplifier et transformer en clameur. Socialiste inguérissable, il l’est resté jusqu’au dernier souffle. Contrairement à d’autres, il est demeuré sourd à tous les chants de sirène, insensible à tous les appels du pied ayant eu raison des plus récalcitrants.

À la mangeoire du régime déchu, ce n’est un secret pour personne, grand nombre de nos cinéastes à la renommée combien surfaite ont souvent festoyé et croqué à pleines dents !

Tandis que découragé mais jamais abattu – même miné par la maladie, souvent seul pour mener son combat contre l’autorité de tutelle, indifférent aux rivalités claniques du milieu cinématographique, rouspéteur, grognon, chahuteur… bordélique ! C’est sûr alors qu’il ne manquait pas de déranger. Avec adresse, il entretenait cette image et s’en délectait. Il irritait les oreilles faussement chastes, les bigots, les tartuffes de la bienséance et toutes les fesses-pincées de la bienpensance. Il offusquait et en éternel enfant s’en amusait.
Cette image n’est nullement étrangère à sa courte filmographie.

Beaucoup de ses collègues se sont ligués. Çà et là, seuls les intérêts personnels ou de corporation ont primé. Il fallait à tout prix faire partie d’un cercle. Ceux qui, comme lui, ont choisi la marge en ont payé le prix.

Comparée à celles de nombreux auteurs de nanars, sa brève filmographie est la preuve irréfutable de l’incurie et du clientélisme ayant caractérisé la gestion désastreuse du secteur. Ayant rompu tout lien avec toutes les associations et autres syndicats, il a continué son combat en loup solitaire. Pionnier de la lutte collective – nationale, arabe et  panafricaine -, saisi par le doute, échaudé par les déchirements fratricides, devenu allergique aux déclarations ampoulées et stériles, il a fini par boycotter colloques, séminaires et assemblées. D’autres l’ont suivi. Le vide s’est installé mais rapidement comblé.

Envahi de toutes parts, le milieu était devenu le terrain d’élection idéal des intrus et des parasites.

L’état actuel du secteur, qualifié par euphémisme de désastreux, n’en est que la conséquence inéluctable.

D’ailleurs, seule une refonte radicale, systématique et globale est susceptible d’y remédier.

Au cours des dernières années de sa vie, à l’écart du charivari ambiant, il est demeuré pourtant à l’écoute du monde. Sensible aux pulsations de la planète et avec une clairvoyance inaltérée, il lisait, décortiquait, analysait et pronostiquait. Prenant ses distances et fréquentant peu, il est néanmoins resté attentif à la situation du pays, terriblement révolté par le statu-quo. Désespéré par les élites, sa tendresse pour le peuple allait en grandissant. C’était son choix et rien ne pouvait le changer.

Mais, et puis… stoïquement, il s’est plié à son destin d’homme. Annonçant la fin du dernier acte, la faucheuse a accompli son travail. Rideau. Mais avant de tirer sa révérence, loin des clichés folkloriques et  des thèmes racoleurs, il a puisé, une ultime fois, dans la veine inexplorée. Hasard ou vision prémonitoire ? Dans un dernier souffle, il leva dans «une» odyssée un pan du voile sur le pillage du patrimoine archéologique. Ainsi donc, l’histoire lui a donné raison. Carthage, Sidi Bou Saïd, Sbeïtla, Hammamet ne sont peut-être que le prologue du feuilleton !

Et s’il avait raison plus qu’on ne le pense ?

En attendant, Barhoum et d’ici-bas, toi qui es là-bas, salut.

Auteur : Slah SGHIRI

Ajouté le : 23-02-2011

Source : http://www.lapresse.tn/


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