7° ART N° 31 : METTONS LA MAIN À LA PÂTE !

Par A. BOUASSIDA – L’ACTION du samedi 11 février 1978

Contre vents et marées, Mustapha Nagbou poursuit en solitaire un dur labeur et une gageure difficile qui durent depuis pas moins de 15 ans déjà : éditer chaque 2-3 mois un numéro de la seule revue tunisienne de cinéma existante sur le marché local.

Le N°31 nous vient à point nommé avec une bonne série d’articles en arabe et en français. Dans la partie arabe, la revue nous propose deux rencontres avec des célébrités arabes : Zizi Badraoui et Nizar Kabani, poète adoré de la jeunesse arabe. Ce dernier s’élève contre ce cinéma arabe insignifiant utilisé par des commerçant à des fins tout à fait inavouables ; «C’est tout simplement de l’opium. Le peuple arabe n’a pas besoin de clowns, ni de cirques itinérants… il a besoin plutôt de gens cultivés et de cinéastes conscients, capable de l’aider à prendre conscience».

Côté études, Youssef El Ani, poursuit l’histoire du cinéma en Irak, commencée déjà dans les précédents numéros de 7° Art.

Quant à Ahmed El Khechine dont le «Sous la pluie de l’automne» continue à sommeiller dans ses bobines, il nous présente la suite d’une étude sur les débuts du cinéma en Tunisie, étude fort bien documentée et illustrée.

Mais deux articles attireront l’attention du lecteur à coup sûr, le premier est du à un étudiant palestinien à Paris, Soufiane Erromhi, intitulé «La Cinémathèque française porte préjudice au peuple palestinien». En effet la Cinémathèque française a présenté, en collaboration avec l’ambassade d’Israël à Paris, tout un mois du cinéma israélien à l’occasion du trentenaire de la «nation israélienne». Soufiane Erromhi est allé voir beaucoup de ces films. Dans son article il fait l’analyse de cette nouvelle tendance dans la cinématographie israélienne, qui n’essaye plus de désigner ouvertement les Arabes, mais d’une manière plus subtile en considérant l’existence d’Israël comme un fait accompli depuis des millénaires. On voit ainsi paraître des films parlant de tous les problèmes sociaux en Israël, mais évitant une quelconque guerre ou une quelconque existence palestinienne. Cette nouvelle propagande sioniste est évidemment très dangereuse car elle se base sur la normalité, le naturel, l’histoire, et la réalité soi-disant indubitable de gens qui, aux yeux de l’opinion mondiale, n’ont point de problème.

Le second article est du à la plume de Mohamed Tlili Khiri, cinéaste amateur tunisien. Ce dernier lance un appel pathétique pour la sauvegarde du Festival international des Cinéastes amateurs de Kélibia, qui, pour la première fois depuis 1964, n’a pas eu lieu.

Khiri analyse la dernière session de 1975 en croyant d’être le plus objectif que possible ; et, dégageant les points négatifs et positifs, il demande au ministère des Affaires culturelles de ré-ouvrir le dossier «Festival de Kélibia». Évidemment, l’importance de cet acquis énorme qu’est le Festival de Kélibia est sans aucun doute colossale… ne croyons pas que le problème du parrainage de cette manifestation (par les Affaires culturelle ou par la Fédération des cinéastes amateurs) soit si grave qu’il puisse hypothéquer son existence… Et pourtant, nous ne sommes pas très loin de la vérité en disant cela.

Espérons qu’une solution sera rapidement trouvée pour que puisse continuer à exister ce festival important.

La partie française, est avouons-le, moins intéressante que l’arabe, même si la variété des articles peut attirer le lecteur. On y trouve un éditorial de Nagbou qui dresse un bilan assez pessimiste de la situation du film tunisien, en Tunisie… mais la vérité blesse et nous sommes obligés de corroborer ses dires. C’est ensuite une découverte des cinémas turc et tchécoslovaque qui nous est proposée avec force photos, un hommage à Charlot et la suite des réflexions de Férid Boughedir sur le cinéma africain.

Un mot pour la fin… un avis personnel plutôt sur «7° Art»… contrairement à certains collègues qui ont été très loin dans un dénigrement gratuit et immodéré autant qu’infondé, je tiens à rappeler toute l’importance de cette revue modeste, comme ses moyens, dans le cinéma tunisien, ainsi que dans la culture tunisienne en général.

Les articles de réflexion, les études, les rencontres et les points de vue qui y ont paru sont parmi les plus pertinents et les plus fondés de la presse tunisienne s’intéressant au cinéma. Malheureusement, certaines personnes en Tunisie, telles des enfants, ne sont contentes qu’après avoir brisé le «jouet» qu’elles ont mis tellement du temps à «créer»… Elles ont par ailleurs un malin plaisir à détruire les efforts louables de toutes autres personnes dont les «gueules ne leurs reviennent pas», pour des motifs absolument absurdes.

En Tunisie, en matière de cinéma, il n’y a que «7° Art» ; nous ne voulons pas dire que comparée à «Cinéma 78», «Les Cahiers du cinéma» ou «film Quarterly», cette revue les dépasse ni même les égale… Mais au lieu de s’acharner à la détruire, pourquoi ne pas essayer de l’améliorer si on se croit capable de le faire ?… Quand on aime vraiment le cinéma, honnêtement et passionnément, on fera tout pour avoir un porte-parole, on fera tout pour le faire subsister… C’est ce qu’a fait Mustapha Nagbou. Je propose à ceux qui contestent le niveau de cette revue de présenter des améliorations concrètes, sous forme d’études, d’analyses, plutôt que de crier sur les toits que la revue «ne vaut rien»… Soyons donc concrets, positifs et constructifs, mettons la main à la pâte pour le bien du cinéma en Tunisie !.

A. BOUASSIDA

L’ACTION du samedi 11 février 1978


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