MUSTAPHA. Z, DE NIDHAL CHATTA, OU LA VRAIE RÉVOLUTION.

Par Hédi Dhoukar – février 2019.

Dans le cadre des «Rendez-vous mensuels du cinéma tunisien», site animé par Mohamed Khiri, le film de Nidhal Chatta, Mustafa Z., a été projeté aux 7 Parnassiens en présence du réalisateur et d’un public nombreux, désormais fidèle, majoritairement composé de jeunes Tunisiennes et Tunisiens.

Ce qui frappe de prime abord est le caractère maîtrisé et abouti de l’œuvre. Son scénario repose sur une trame fragile : l’évolution d’un personnage (Mustapha Z) au cours d’une journée qui commence par la perte d’une dent, une dispute avec sa femme, son licenciement de la radio où il assumait une rubrique matinale, un échange acrimonieux avec son adolescent de fils, puis une panne sèche devant un horodateur en panne. Ce qui n’empêche pas deux salariés de la municipalité d’enlever la voiture et de l’embarquer vers la fourrière, malgré les protestations de son propriétaire qui décide de l’occuper et de ne plus en sortir jusqu’à ce qu’on lui fasse officiellement des excuses.

Comme cela se passe à la veille des premières élections présidentielles de 2014 et que la scène de l’altercation avec les employés de la fourrière, ainsi que l’enlèvement de la voiture avec son occupant avait été filmé par des Facebookers, l’événement fit le «buzz» comme on dit, et Mustafa devint le centre d’un enjeu : il fallait le neutraliser pour que la campagne électorale continue paisiblement son cours.

Tout le film repose donc sur ce «héros malgré lui» : l’excellent Abdelmonem Chouayet. D’autant plus remarquable qu’il est la plupart du temps filmé en plan serré, en grands plans et en très grands plans, avec ce que cela suppose comme talent expressif. Car, par-delà l’anecdote racontée par cette «journée particulière», la progression dramatique du film se fait sur un plan plus subtil et en fait toute importance.

Cela n’a pas échappé au public, comme l’ont exprimé les questions adressées au réalisateur après la projection. La présentation faite du rapport hommes-femmes serait «négative» pour les femmes. Elle les ferait apparaître dures ou caricaturées. Le réalisateur s’en est défendu. Le portrait de Mustapha Z, au début du film, pourrait aussi être qualifié de «négatif», a-t-il souligné. Bref, là n’était pas la question. Alors où est-elle ? Comment répondre au malaise exprimé par certaines spectatrices ?

La réponse est celle-là même apportée par Nidhal Chatta. Il faut suivre l’évolution du personnage de Mustapha Z. Non pas seulement à travers ses mésaventures, qu’il veut lier à la gabegie d’un pays livré au chaos et qui ne s’est pas libéré de ses vieux démons. Mais à partir de ses échecs en tant que mari et en tant que père : c’est-à-dire de ses échecs en tant qu’homme. C’est là que se trouve le cœur de la problématique soulevée.

Dès le début, en effet, nous découvrons un homme très préoccupé de sa personne, égocentré, presque narcissique. Sa relation avec sa femme relève de la défiance et du soupçon. Il n’établit pas de rapport entre la froideur et la dureté des propos de sa femme à son égard, et son propre comportement vis-à-vis d’elle. Il lui reproche par contre de ne pas prendre au sérieux son petit drame matinal : la perte d’une dent ! Il découvre, étonné, que son fils n’a pas beaucoup d’estime pour son père et accuse sa femme de le monter contre lui. Là, également, il ne se pose pas la question de sa responsabilité dans le fait que les deux personnes qui lui sont les plus proches se détachent de lui. Par contre, on le voit pendant toute la première partie focalisé sur ses petits malheurs comme si cela était la chose la plus importante au monde.

Pour le dire plus crûment que le réalisateur, ce portrait n’est pas celui d’un mâle négatif, mais d’un lâche. Ce lâche cesse de l’être dès le moment où une accumulation d’évènements négatifs le pousse à oser un acte de courage. Alors, cet acte lui ouvre de nouvelles perspectives et lui permet de revoir son couple sous un autre angle, de gagner l’estime de son fils. Il a fait en somme une révolution à son échelle personnelle.

En se rehaussant à ses propres yeux (importance du miroir dans le film) et aux yeux de ses soutiens, il rehausse aussi sa femme. On peut voir l’abaissement de l’homme, sa lâcheté, comme un fait négatif pour la femme qui se sent obligée en quelque sorte de se masculiniser afin d’être capable du courage faisant défaut à l’homme. Cela se ressent dans le langage de la policière, de la patronne, et même de la femme de Mustafa : un langage ordurier typique de certains mâles qui se plaisent à se croire dominants parce qu’ils font les grandes gueules, comme les employés de la fourrière ou le pompiste. À ces personnages folkloriques, le cinéaste oppose subtilement le portrait du gardien de la fourrière, digne, serviable et humain.

La vraie révolution, semble dire le film, est celle qu’on fait en soi-même.

Hédi Dhoukar

Paris, février 2019


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