LE CHALLAT DE TUNIS «UN JACK L’ÉVENTREUR MADE IN TUNISIA»

Par Céline Masfrand – realites.com – Publié le 14 avril 2014

Mercredi 2 avril au cinéthéâtre Le Rio, à Tunis, était projeté «Le Challat de Tunis», de la réalisatrice Kaouther Ben Hania. Vivier de thématiques sociétales actuelles, le film se veut porteur de messages forts sur le peuple tunisien, ses idéaux, ses problématiques et ses combats d’après la Révolution.

Le synopsis fait froid dans le dos. Été 2003, un homme sur une moto, une lame de rasoir à la main, rôde dans les rues de Tunis. Il s’est donné pour mission de balafrer les plus belles paires de fesses de femmes qui arpentent les trottoirs de la ville. On l’appelle «le Challat». D’un café à l’autre, d’un quartier à l’autre, les histoires les plus folles circulent à son sujet. «Le Challat» est devenu une sorte de figure mystérieuse entourée d’un halo de fascination, de fantasme et de terreur. Tout le monde en parle, mais personne ne l’a jamais vu.

Dix ans plus tard, alors qu’avec la Révolution la vérité semble accessible, une jeune réalisatrice obstinée mène l’enquête. Elle se fait un point d’honneur d’élucider ce mystère.  Dans le film, la jeune réalisatrice se met ainsi à l’épreuve pour venir à bout de ce mythe urbain. Elle devient obsédée par ce fait divers sordide et se positionne en véritable détective pour retrouver celui qui a commis ces actes. Loin de vouloir le réprimander, elle cherche à savoir pourquoi «le Challat» a commis ces «balafres». Creusant dans son histoire familiale, elle le questionne tantôt sur son rapport à la femme, tantôt sur son rapport à sa mère.

Un jour, alors qu’elle se lance à la recherche du Challat dans le quartier où il résidait, elle rencontre de nombreux hommes. Tous prétendent être le tristement célèbre Challat. Tous tentent de leurrer la jeune femme. En vain. Alors que la réalisatrice se lance dans un casting pour recruter un personnage qui l’incarnera, le Challat vient à elle. Un jeune homme, nommé Jalel, lui fait part du plaisir qu’il prend quand il balafre une fille. Il se sent fier et fort de pourvoir remettre les femmes indignes à leur place. Rapidement la jeune femme le croit, dans sa manière de parler des faits, elle en est persuadée, cet homme est bien le Challat. Elle commence donc à tourner son film, aux allures de documentaire, sur la vie du Challat, de sa famille, de ses amis, de son quartier.

«Un Jack l’éventreur made in Tunisia»

Avec humour, Le Challat de Tunis raconte les dessous d’un fait divers devenu légende urbaine et dresse le portrait d’une société tunisienne en pleine effervescence, où les hommes semblent peiner à trouver une place et où le corps féminin reste un enjeu politique de taille. Les problématiques traitées dans le film sont nombreuses et s’entrecroisent : place de la femme, égalité des sexes, place prépondérante du mariage, relation à la mère. Concernant la genèse du film, la réalisatrice Kaouther Ben Hania raconte dans une note qui lui est consacrée que «Tout a commencé en 2003. J’avais entendu, comme tout le monde, parler du Challat. Un homme dangereux sur une mobylette qui tailladait avec une lame les fesses des femmes. Un Jack l’éventreur made in Tunisia. Il ne tuait pas, mais balafrait. Autour de moi, tout le monde en parlait. On lui avait inventé mille et une histoires et on lui avait trouvé des défauts et des qualités, mais personne ne savait exactement, ni qui il était, ni à quoi il ressemblait», poursuit-elle.

Le Challat de Tunis est une véritable légende qui a sévi sous la dictature. «Symptôme d’une collusion entre les forces les plus rétrogrades et les plus sombres de notre société, névrose d’une société en prise avec la peur, à la recherche, aussi, d’une difficile synthèse entre tradition et modernité», indique la réalisatrice. L’histoire du Challat vacille ainsi entre «fait divers et légende urbaine, vérité et mensonge». Passant du style documentaire à la fiction, le film emprunte les codes du documentaire d’investigation. «La forme du film m’a tout de suite suggéré un ton humoristique avec une teinte d’ironie. La situation était bien assez noire pour supporter un traitement larmoyant. En Tunisie, ce qui fait vivre les gens c’est le sens de la dérision face aux choses sérieuses, inévitablement étouffantes. Je voulais que mon film soit à l’image de cette Tunisie qui pratique sans cesse l’autodérision pour préserver son espoir en un avenir meilleur», conclut Kaouther Ben Hania.

Qui est Kaouther Ben Hania ?

  • Réalisatrice, scénariste, née à Sidi Bouzid, en Tunisie, Kaouther Ben Hania vit actuellement à Paris. Elle a fait des études de cinéma en Tunisie (EDAC) puis en France (la FEMIS, Paris 3). Elle a, entre autres, réalisé deux courts-métrages de fiction, Moi, ma sœur et la chose en 2006 et Peau de colle en 2013 qui ont rencontré un franc succès auprès des festivals. En 2010, elle signe un documentaire de 75 minutes Les imams vont à l’école, sélectionné également dans plusieurs festivals (IDFA, Dubai, Vancouver, Amiens…). Le Challat de Tunis est son premier long-métrage. Elle travaille actuellement sur le développement de son deuxième long-métrage.

Céline Masfrand

Source : https://www.realites.com.tn/


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