DIANA EL JEIROUDI, AUTEUR DU FILM DOCUMENTAIRE «IMRA’A MIN DIMASHQ» — RENCONTRE

Diana El Jeiroudi © Noura Borsali

Entretien conduit à Tunis par Noura Borsali – 4 avril 2009 – pour www.cinematunisien.com

Diana El Jeiroudi, réalisatrice syrienne née à Damas en 1977, est diplômée en littérature anglaise et a travaillé dans le marketing et la publicité. En 2002, elle rejoint la fondation Proaction Film où elle a occupé divers postes de production pour des films syriens et internationaux.

Elle organise, depuis 2008, à Damas et dans d’autres villes des pays arabes, un festival annuel de films documentaires, DOX BOX qui, dit-elle, présente des documentaires de création et est le premier festival indépendant.

En 2004, elle réalise un court-métrage intitulé Sabeh el khir (Bonjour) et en 2005, son premier documentaire, Al qaroura (Le Pot). Ce film a pour sujet la grossesse sur laquelle témoignent de jeunes femmes syriennes en tant que femmes enceintes.

En 2007, elle réalise «Imra’a min Dimashq» («Une Femme de Damas») qui a été sélectionné et projeté lors du 30° Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier, le 1er novembre 2008, où il a été considéré comme «l’un des documentaires les plus originaux et les plus revendicatifs sur les droits des femmes présentés au Festival». Le film a été également visionné au Festival de cinéma de Sousse (mars 2009) et à Doc à Tunis (1-5 avril 2009).

«Imra’a min Dimashq» retrace le quotidien d’une femme au foyer qui demeure attachée à son rôle traditionnel de bonne épouse et mère, tout en cherchant à travailler. Confrontée au conservatisme ambiant et aux difficultés de la vie, elle se bat pour concilier parfaitement ces deux rôles. Mais, manquant de qualifications, elle a du mal à trouver un emploi qui n’empiéte sur sa vie familiale. Le film est aussi un va-et-vient entre la vie d’une femme ordinaire et la publicité autour de Fulla, une poupée commercialisée, une Barbie syrienne à grand succès reproduisant le modèle le plus traditionnel…

La poupée Fulla

C’est à la suite de la projection du film à la maison de la culture Ibn Rachiq dans le cadre de Doc à Tunis que j’ai interviewvé Diana El Jeiroudi.

Diana El Jeiroudi : «La question qui me préoccupe est celle du respect de l’individu dans nos sociétés»

Manel dans le film

Comment vous est venue l’idée du film ?

  • J’ai vu une publicité de la poupée Fulla sur un tapis de prière. J’ai été frappée par cette confusion faite entre une poupée destinée plutôt au jeu et une idéologie religieuse. Et en même temps j’ai fait la connaissance de femmes qui correspondent au nouveau modèle qui est traditionnel et qui est devenu une mode. Les filles portent de plus en plus le hijab.

Le film a-t-il été projeté en Syrie ?

  • Non, pas encore. Le film a été terminé en octobre 2008. Malheureusement nous n’avons pas beaucoup de festivals et la télévision ne projette pas de films documentaires. Il y a une nouvelle télévision (privée) qui, nous l’espérons, passera le film.

Sera-t-il visionné dans les salles de cinéma en Syrie ?

  • C’est difficile, parce que nos salles de cinéma sont plutôt commerciales. Elles projettent des films hindous, égyptiens, américains… et rarement des films syriens non commerciaux, en dehors bien sûr du Festival international de cinéma de Damas. À ce niveau, la chance des films documentaires est malheureusement beaucoup plus faible que celle des films de fiction.

Le film a-t-il été vu dans d’autres pays arabes ?

  • Non, pas encore. La Tunisie est le premier pays arabe où le film a été projeté.

Et en Europe ?

  • Oui, en France, au Danemark, en Suisse, en Hollande.

Quel en a été l’accueil du public européen ?

  • Les spectateurs ont été un peu surpris parce qu’ils avaient pensé que l’image de la femme musulmane était très différente de celle des femmes européennes. Ils se sont rendus compte qu’au contraire cette image peut les représenter aussi, et qu’au fond elle leur ressemble. Le film ne traite pas en effet de la question religieuse mais de celle de l’image traditionnelle du rôle des femmes.

Comment la famille représentée dans le film a-t-elle accepté d’être filmée ? Et comment a-t-elle réagi en voyant le film ?

  • J’ai discuté d’abord avec Manel que je ne connaissais pas au départ. J’ai cherché en fait ce profil de femmes. Et Manel m’a beaucoup plu parce qu’elle était très à l’aise devant la caméra, de même que ses deux filles qui étaient adorables et qui se laissaient filmer d’une manière naturelle. Le mari, quant à lui, n’était pas contre l’idée du film. Au début, j’avais commencé à filmer avec une autre femme, mais elle a dû abandonner à cause des fortes pressions familiales qu’elle a subies. Avec Manel, la situation était extraordinaire parce qu’elle voulait concilier sa relation avec elle-même et sa recherche d’un emploi décent. Elle m’a beaucoup aidée pour ce qui est de sa famille et de ses beaux-parents, même si les pressions existaient toujours. Il y avait à la base une relation de confiance mutuelle entre Manel et moi. Elle a vu quelques séquences du film. En les regardant, elle voyait, en tant que mère et femme traditionnelle, ses filles grandir et se voyait elle-même dans sa vie quotidienne. Il faut reconnaître que, pour une personne ordinaire, l’expérience de filmer est une expérience difficile parce qu’elle ne sait pas comment elle va apparaître devant la caméra.

Elle a été d’un naturel extraordinaire.

  • Oui, du fait de cette belle relation qui s’est développée entre nous.

Pendant combien de temps avez-vous filmé?

  • J’ai filmé depuis la mi-2005, durant trois ans, avec quelques interruptions. Le montage a duré plus d’une année parce que la matière était dense, en fait celle d’une vraie vie.

Et le financement ? Était-il également syrien ?

  • Non. Au fond, en Syrie, il n’existe pas de subventions. C’est l’institution de l’Action cinématographique syrienne qui produit à 100% le film ou, à la limite, une coproduction. Selon la loi syrienne, pour subventionner un réalisateur syrien, il faut que ce dernier ait un diplôme de cinéma qui date de 5 ans au minimum. Personnellement, je ne remplis pas cette condition. En Syrie, ce problème des subventions persiste parce qu’il n’existe pas de subventions étatiques à proprement parler, c’est-à-dire au sen international du terme. Les télévisions ne subventionnent pas non plus nos productions. Les choses sont appelées à changer, peut-être et, nous l’espérons, avec ce nouveau projet télévisuel privé que j’ai évoqué plus haut. Quand je travaillais sur mon projet, il n’y avait pas encore de chaînes télévisées privées. C’est notre société de production – que nous possédons, mon mari et moi – qui a financé le film qui a été également soutenu par des subventions d’aide au film documentaire ou encore par quelques chaînes télévisées étrangères. Le film est une coproduction Syrie-Danemark. Mais les sources de financement sont multiples comme je viens de le dire.

Le tournage a-t-il posé problème ?

  • Non, nous avons obtenu l’autorisation de filmer.

Comment avez-vous acquis votre formation cinématographique en l’absence d’écoles de cinéma en Syrie ?

  • Effectivement, il n’y a aucun institut de cinéma. J’ai acquis un savoir-faire grâce aux différentes expériences sur lesquelles j’ai travaillé. J’ai quand même suivi des stages de formation en France, au Liban….
Une image du film

Quel message avez-vous cherché à transmettre à travers ce film ?

  • Celui, principalement, du respect de l’individu. Personnellement, je travaille sur des questions relatives à la femme, aux familles et aux enfants. Dans le monde arabe, quelles que soient les différences de nos évolutions sociales, il existe une faille dans la structure familiale, indépendamment de l’Islam qui demeure pour moi un sujet secondaire. Les questions des relations familiales, de l’éducation, du respect de l’enfant, du père, de la mère…me préoccupent.

Un film de fiction prochainement ?

  • J’entamerai bientôt un court-métrage de fiction traitant des rapports entre parents et enfants. Mais j’avoue que ma préférence va vers le film documentaire parce qu’il est proche des gens et de la réalité, et qu’il est loin des stars, des studios et de tout ce qui est artificiel.

Fin de l’entretien (Tunis, 4 avril 2009)

Fiche technique du film :

  • Réalisation : Diana El Jeiroudi
  • Scénario : Diana El Jeiroudi
  • Image : Joude Gorani
  • Son : Dahna Aourahme
  • Montage : Diana El Jeiroudi
  • Musique : Nareg Abajian
  • Production : Proaction Film
  • Durée : 53’

 

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