MOHAMED ZRAN — CINÉASTE : AVEC LILIA, JE FAIS PEAU NEUVE — ENTRETIEN

©Lina Chaabane JCC 2008.jpg

Entretien avec Salem Trabelsi – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 25-05-2015.

Vous êtes en train de donner les dernières touches à votre nouveau film Lilia

  • Effectivement, mon dernier film porte le titre de Lilia, une fille tunisienne. C’est une fille qui n’est pas comme les autres. C‘est une fille qui a des idées dans la tête et elle veut les mettre à exécution. Elle est rebelle, elle affirme ses choix dans la vie et impose sa personnalité en tant qu’individu. C‘est l’histoire d’une fille qui fait ses choix après les révolutions arabes. En fait, après ce bouleversement qu’on a appelé le printemps arabe, il y a eu libéralisation de nos sociétés arabo-musulmanes mais l’individu n’a pas encore effectué encore ce processus de libéralisation.

Donc Lilia est l’histoire de cette femme qui fait sa révolution dans la révolution ?

  • Exactement. Mais l’histoire de cette fille est racontée par rapport aux menaces qui nous guettent, comme le fanatisme religieux. Un fanatisme qui est en train d’enfermer l’individu dans un petit espace étiqueté. C’est un individu qui devient prisonnier d’une société qui impose de nouveaux codes. Normalement, lorsqu’il y a révolution, il y a un mouvement progressiste qui nous entraîne vers l’avant. Pourquoi il y a eu le contraire chez nous ? Pourquoi l’individu a régressé au lieu de progresser ? Aujourd’hui, nous sommes tous casés dans nos coins. On s’est créé même des ghettos communautaires et intellectuels.
    Ce film casse justement avec ce genre de ghetto imposé par la société post-révolutionnaire. Lilia est aussi un film sur la liberté du corps, une liberté qui est aussi appelée à se développer dans l’imaginaire collectif. Autour de cette fille gravitent plusieurs personnages singuliers. Le film met aussi l’accent sur la complexité et la place du corps dans notre société. D’ailleurs l’un des personnages l’exprime bien dans le film en disant «je ne veux pas que mon corps se transforme en un sac noir qu’on jette dans la rue».

Quels étaient vos choix esthétiques dans ce film ?

  • J’ai essayé de faire de nouveaux choix esthétiques pour mon dernier film. De l’écriture au tournage en passant par le casting. Lilia est une nouvelle étape dans ma démarche cinématographique, ça n’a rien à voir avec Essaïda, Le Prince ou Vivre ici. C’est plutôt un souci tourné vers la narration que vers le «dire».

Oui mais c’est peut-être une nouvelle manière de raconter qui risque de déplaire…

  • Je pense que le film va déplaire à plusieurs personnes. Lilia risque de déplaire à ceux qui en feront une lecture au premier degré. Mais au fond c’est un film qui va nous sortir un peu des sentiers battus. C’est un film qui va déranger mais j’assume mes choix. En ce qui me concerne, avec Dégage j’ai rompu avec une certaine époque du cinéma, et, avec Lilia j’entame une nouvelle voie dans ma carrière.

Comment se porte, selon vous, la production cinématographique aujourd’hui en Tunisie ?

  • Je ne sais pas quoi vous répondre, parce que moi-même j’en souffre… Mon dernier film, je l’ai fait avec un petit budget. Sur le plan financier, avec Lilia j’ai fait le film le plus pauvre de ma vie. C’est un film réalisé avec l’aide du ministère uniquement et même l’aide complémentaire je ne l’ai pas eue. Je trouve que je suis quelqu’un qui a fait largement ses preuves en Tunisie et à l’étranger. À mon âge je me retrouve en train de quémander pour finir un film. Je vis cela avec beaucoup de dépit. Et je ne suis pas le seul cinéaste à vivre cette situation. Aujourd’hui, les responsables ont tendance à oublier que la culture est la seule vraie banque capable de sauver un pays. On n’a pas le droit de considérer la culture comme une cinquième roue. Il n’y a pas de vision politique pour faire de la culture une priorité.

Oui mais pour cela il y a le CNCI

  • Le CNCI existe et nous avons bataillé pour l’avoir ! Mais malheureusement il n’est pas en état de fonctionner tout en consommant des salaires. À sa tête et juste après sa constitution on a nommé quelqu’un qui appartient à un parti islamiste qui n’a aucun projet culturel. Il n’a eu aucune vision du cinéma d’ailleurs. Le CNCI est constitué de fonctionnaires qui n’ont reçu aucune formation pour ce genre d’organisme spécialisé dans le cinéma. Un CNCI doit être constitué par des gens qui peuvent rayonner à l’extérieur, qui sont bien entourés, qui ont un carnet d’adresses international et qui ont le sens de la communication. Ces gens-là vont se comporter avec nous comme des agents de contrôle alors que nous faisons un métier très particulier. On ne gère pas un CNCI comme on gère une briqueterie ou une usine de tomates. Le facteur humain est très important. Tiens, je vous donne un exemple : le CNCI est parti à Cannes et il n’était même pas au courant que je venais de terminer mon film… Un organisme censé représenter notre pays aurait cherché le maximum de films à exposer sur la Croisette.

Quelle est votre réaction par rapport aux dernières nouvelles concernant les JCC ?

  • J’ai envie de dire qu’il y en a assez de la complaisance ! Je n’ai jamais vécu une session où les JCC mettent en valeur les cinéastes tunisiens… Les dix dernières sessions des JCC n’ont pas du tout servi le cinéma tunisien. Je n’ai jamais vu une dynamique qui a été créée entre les professionnels tunisiens et le reste du monde. Aujourd’hui il faut arrêter cette hémorragie ! Si on veut voir notre cinéma évoluer, il faut déjà repenser les JCC. En tout cas, dans l’état actuel des choses, c’est un concept qui exclut les cinéastes tunisiens et qui fait dans l’animation et le tourisme. Je veux bien que les JCC deviennent annuelles mais avec quel objectif et avec quel statut ? Les JCC n’ont même pas de statut écrit noir sur blanc !

Quelle est votre réaction à la nomination de Brahim Ltaeïf à la tête des JCC ?

  • Je lui souhaite bonne chance. Mais je tiens toujours à dire que les JCC doivent être gérés par une structure qui ne soit pas du métier.

Auteur : Entretien avec Salem Trabelsi

Ajouté le : 25-05-2015

Source : http://www.lapresse.tn/


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire