HAMOUDA BEN HALIMA : UN GRAND CINÉASTE DE LA TUNISIE VIENT DE NOUS QUITTER

Propos recueillis par Nacer Sardi et Fathi Doghri – Mars 2012

Hamouda Ben Halima est l’auteur de «Khelifa le teigneux», tourné en 1968, œuvre majeure du cinéma tunisien et que Nouri Bouzid, ainsi que d’autre cinéastes tunisiens, considère comme sa seule référence nationale. Il est aussi l’autre du plus succulent des trois films de «Au pays de Tararani» : Le Réverbère.

Je mets en ligne cet article que j’ai écris avec Fathi Doghri après une rencontre avec Hamouda Ben Hlima à l’occasion des rencontres de l’ARFT 2012.

Entretien avec Hamouda Ben Halima

Malgré l’ingratitude, malgré l’oubli, Hamouda Ben Hlima garde une passion intacte pour le cinéma. C’est revigorant pour nous qui aimons cet art. La discussion avec lui nous a plongés dans l’histoire si proche, mais qui apparait si lointaine, du cinéma tunisien. Il est l’un des pionniers et surtout l’un des rares qui a une pensée cinématographique très manifeste. Nous l’avons constaté de visu lors de l’hommage que l’ARTF lui a rendu le 18 février 2012 en projetant les rares films qu’il a pu réaliser.

Hamouda Ben Halima nous a raconté le choc émotionnel et les sensations que lui a procurée, alors qu’il était encore enfant, sa participation à des petites pièces de théâtre scolaire. «C’était, nous dit-il, un autre univers pour moi, fait de déguisements et de travestissement. Jouer la comédie me permettait de surmonter ma timidité naturelle. Je pense que ma vocation par la suite vient de ce choc émotionnel premier».

Ce goût pour le spectacle, H. Ben Hlima va le développer encore plus lorsqu’il va intégrer le collège Sadiki dans les années 50. « Nous avions un professeur, Mr Bouvé, sympathisant de la cause tunisienne et surtout un mordu de théâtre. Il animait un atelier au collège et il nous trainait avec lui au théâtre municipal à chaque fois qu’il y avait une pièce intéressante. Fréquenter le monde du spectacle était très stimulant pour un jeune étudiant comme moi. Il faut rajouter qu’à cette époque j’ai intégré la Fédération des Ciné clubs qui était très dynamique et très formatrice».

Son bac en poche, H. Ben Hlima décroche une bourse pour aller suivre une formation à l’HIDEC et fera ainsi partie de la première génération de tunisiens diplômés de cinéma.
De retour au pays, en 1961, avec un diplôme de montage, il intègre tout naturellement la toute jeune SATPEC (Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique. 1957 à 1981).

Mais il va très vite être désenchanté par la gestion bureaucratique de cette entreprise, et ne tardera pas à se rebeller avec d’autres jeunes cinéastes en démissionnant avec fracas ; ce qui ne manquera pas de leur causer des ennuis avec l’administration (confiscation de passeport, interdit de quitter le territoire…).

Entre-temps, Taher Chériaa monte le service cinéma au sein du secrétariat d’État à la Culture.

Hamouda Ben Halima raconte : «Comme certains jeunes collègues de l’époque, c’est grâce à ce service que j’ai pu réaliser mon premier film «De la terre et des hommes» en 1962/63. Au fait il s’agit d’une commande du Ministre omnipotent de l’époque pour réaliser un film à la gloire des coopératives agricoles. Taher Chériaa a fait un appel à projets, j’ai déposé comme d’autres une idée d’un documentaire et c’est elle qui a été retenue. Et c’est ainsi que je suis parti filmer au nord-est avec une caméra 16, un opérateur (Toto Msika) et une voiture de régie. Une fois tourné, la pellicule a été envoyée à Paris pour développement et montage. D’ailleurs j’ai failli ne pas assurer le montage puisqu’on m’a empêché de quitter le territoire suite à mes différents avec la SATPEC et ce n’est qu’après des interventions qu’on m’a livré un laisser passer me permettant d’aller finir le film).

«Terre des Hommes» a été projeté au ministre commanditaire (Ahmed Ben Saleh), qui l’a tout de suite bloqué parce que à son goût, il montrait trop la misère et la peine des hommes».

Cest grâce à la projection organisée par l’ARTF que H. Ben Hlima revoit ce film pour la première fois depuis 1963. L’émotion était palpable. Et comment ! Le film garde une fraicheur étonnante et un impact cinématographique immédiat. H. Ben Hlima l’explique par le fait qu’il avait « une foi dans la création artistique et une sincérité dans l’approche du sujet ce qui se traduit par une tendresse et une empathie pour les gens que je filmais».

Nous avons demandé à H.Ben Halima pourquoi était-il absent des premières JCC de 1966, ainsi que tous les premiers cinéastes formés par les grandes écoles.

Ben Halima répond : «Taher Cheriaa a déclaré qu’il a fait appel aux films pour les présenter à la sélection des JCC et qu’aucun de nous n’a osé. Ce n’est pas tout à fait exact. Je pense que l’administration a décidé d’aider un cinéaste autodidacte et a parié sur lui pour une raison ou pour une autre. Le problème est là, c’est le fait du prince. On n’a jamais vraiment aidé les cinéastes qu’on a chèrement formés. Voyez «Khlifa Lagraa», je l’ai fait sans grand soutien, avec des bouts de ficelles et le dévouement des techniciens et des comédiens. J’ai commencé à tourner pendant une semaine avec le matériel et la régie de la télévision puis j’ai été obligé de tout arrêter. Et ce n’est qu’après avoir réintégré la SATPEC que j’ai pu le reprendre, presque clandestinement. C’est très dur de faire ce métier parce que tant qu’il n’y a pas de commissions élues et indépendantes qui octroient les aides sans intervention de l’État, les vrais projets de cinéma ne trouveront jamais le chemin de la réalisation».

«Khlifa Lagraa» fut présenté aux JCC 1970. Il frappa les esprits par son audace et surtout par la modernité de son écriture. Pour Hamouda Ben Halima, ce film était «dans l’air du temps. La nouvelle vague triomphait et le thème la jeunesse avec ses désirs et ses frustrations était de mode, sauf que je l’ai situé dans un cadre bien tunisien. Je me suis appuyé sur une nouvelle de Béchir Khraif qui a une fibre populaire proche de la mienne et puis j’ai situé l’action dans la Médina qui était méprisée à l’époque. Je voulais faire un film nouveau qui ne se contente pas de copier des modèles».

La fibre populaire de Hamouda Ben Halima, nous la retrouvons dans sa dernière expérience cinématographique, l’adaptation de la nouvelle d’Ali Douaji «Le Réverbère» en 1972.

Hamouda Ben Halima raconte : «Là aussi il s’agit d’une commande. Pour célébrer le centenaire d’Ali Douaji, le ministère de la Culture décida de tirer un film de l’une de ses œuvres et Chedli Klibi me chargea de le réaliser. Je n’ai pas trouvé chez Douaji une œuvre qui pourrait tenir un long-métrage, mais, par contre, il avait pleins de nouvelles très intéressantes. L’idée de faire un film à sketchs m’est venue à l’esprit. J’ai choisi d’adapter «Le Réverbère» que j’aimais et qui présentait pour moi un défi stylistique. Ben Khlifa a réalisé le deuxième volet, «Saherto», Boughedir le troisième, «Le Pique-nique».

Après cette dernière tentative très marquante, Hamouda Ben Halima a quitté la scène cinématographique, dégouté comme il le dit : «par le mépris des artistes et la main-mise de la bureaucratie sur la création artistique».

Aujourd’hui, l’œuvre de Hamouda Ben Halima prend, malgré un nombre restreint de films, une dimension fondatrice que le cinéma tunisien n’a pas pu mettre en valeur ou, peut-être, pas su détecter l’importance.

Propos recueillis par Nacer Sardi et Fathi Doghri

Mars 2012

Source : https://www.facebook.com/naceur.sardi/


 

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