AU-DELÀ DE L’OMBRE, DE NADA MEZNI HAFAIEDH : DANS L’INTIMITÉ D’AMINA

Tanit de Bronze aux JCC de Carthage en 2017, «Au-delà de l’ombre» de Nada Mezni Hafaiedh a été projeté le 23 août au Festival Cinémas d’Afrique de Lausanne. Ce documentaire propose un portrait tout en nuances d’Amina Sboui, alias Amina Tyler, militante féministe, mi-héroïque mi-scandaleuse selon les points de vue.

Cette femme aux cheveux ras, c’est Amina, l’actrice principale d’un film audacieux qui expose un monde qui dérange. La cinéaste a suivi l’ex-Femen dans sa maison de Sidi Bou Saïd, où elle héberge une dizaine de gays, transgenres et lesbiennes, persécutés pour cause d’orientation sexuelle. Ce qui intrigue, de prime d’abord, c’est sa silhouette : short court sur longues jambes sveltes, surmonté d’une parka, dont la capuche bordée de fourrure de renard encadre un visage d’adolescente en flagrant délit de crise. Elle arbore un sourire confiant, mais, planté au milieu de sa lèvre inférieure, elle porte un anneau d’or en guise d’avertissement.
Sur la plage, Amina danse nu-pieds sur un air de piano. C’est là qu’elle vient livrer ses messages, sa part de vérité, ses confidences, ses coups de gueule, ses accès de désespoir… Le slogan qu’elle affectionne : «Notre corps nous appartient». C’est celui-là qui a déclenché ses ennuis quand elle l’a publié sur Facebook sous une de ses photos où elle apparaît torse nu. Recherchée, séquestrée plusieurs mois par ses parents, elle parvient à s’enfuir en France où elle se fait appeler Amina Tyler.

Quelques stock-shots de 2013 la montrent en train de manifester avec les Femen. «On fait ça par solidarité avec les femmes arabes qui se font lapider partout dans le monde», débite-t-elle d’une voix monotone, ses seins nus exposés aux yeux de la planète et le torse tagué de slogans à l’emporte-pièce en anglais et en arabe. Sans oublier la cigarette en main, insigne de la liberté.

Ce mouvement ultra-féministe avec lequel Amina se sent en phase a surpris les femmes d’Europe occidentale. Quoi de plus humiliant que de se dénuder en public ? Cette violence contre elles et contre les hommes renvoie au statut que ceux-ci leur réservent. En même temps, quoi de surprenant à ce que cette action des femmes d’Ukraine, qui envahissent ainsi dévêtues les églises tenues par les ultra-orthodoxes, trouve écho chez des Tunisiennes qui voient fondre leur révolution des mentalités dans la gamelle des extrémistes qui se sont approprié les esprits et les mosquées ?

«J’ai connu Amina comme tout le monde sur Facebook après la révolution, raconte la réalisatrice Nada Mezni Hafaiedh. Ce personnage m’intriguait. Comment avait-elle osé faire ça, surtout avec la montée du parti islamique. On s’est rencontré et elle est rentrée dans mon cœur. C’est quelqu’un qui écrit des bouquins et qui en vit. J’avais lu son premier livre, sa biographie, le deuxième aussi. Je voulais montrer au monde pourquoi Amina avait été amenée à faire ça…».

La cinéaste n’est pas centrée sur la popularité de cette jeune dame qui fait le buzz à chacune de ses apparitions sur un plateau de télé. A 21 ans, elle figurait toujours parmi les 100 femmes les plus influentes dans le monde au classement BBC 2017. Le documentaire ne cherche pas non plus à expliquer les erreurs de jeunesse de la militante féministe.

L’objet de ce documentaire est plutôt de nous plonger dans l’intimité d’Amina qui, peu à peu, se livre au spectateur. La caméra la cueille dans son lit, au réveil, enroulée dans ses draps. «Vous démarrez déjà !», lance-t-elle de sa voix rauque, incrédule. Rire. Elle se lève en maugréant, se glisse jusqu’à la salle de bains avant de fermer la porte.
«Je vous présente mon corps tatoué. C’est mon arme pour défendre la liberté. Pour m’exprimer. J’ai huit photos de femmes, chacune d’un pays différent. Je défends la femme, quelle que soit sa couleur… J’ai un poulpe ; une citation de Frida Kahlo ; une gazelle ; un croissant… J’ai Yasser Arafat ; un poème de Mahmoud Darwich ; une citation de Nietzsche ; des oiseux sortant d’une cage ; une citation de Hassan Nasrallah ; une fleur ; un poème de John Lennon ; une citation d’Oscar Wilde ; une femme réparant sa voiture ; un joker… ».

Gros plan sur des mollets forcément tatoués. «Il ne faut pas juger les gens sur leur apparence, mais sur leur vécu qui les a amenés à être ce qu’ils sont, dit Amina. La bonne éducation, c’est ta capacité à donner aux autres, ce n’est pas de soigner seulement son image pour donner l’impression d’être la fille parfaite et qu’à la fin, tu as dix prétendants prêts à t’épouser…» L’air soudain grave, elle poursuit : «Je ne pardonnerai jamais à ma mère. Chaque fois que je me réveillais, elle me donnait des somnifères. Je pouvais en mourir. Tout ça à cause d’une photo !».

Dans le salon de sa villa, témoin de toutes les outrances, les soirées dansantes se succèdent,  elle y participe ou les observe d’un regard amusé.. Paysage orgiaque comme le prétendent les voisins qui ont récemment signé une pétition pour les faire expulser ? Ou simple bande de jeunes traqués de partout et qui ont enfin trouvé un nid où s’accrocher ?
«Je ne pleure pas pour ma cause, mais pour les souffrances d’autrui», aime à répéter Amina, boudeuse. «Mes amis se sont retrouvés dans une situation où je suis seule à leur ouvrir la porte. On est obligés de rester ensemble. On se bagarre. On fait la paix. On rit, on pleure. (…) À cause de nos familles et de la police, on est forcés d’être enfermés. En fin de compte, on s’entraide et on s’aime».

Personne ne peut imaginer qu’Amina traverse aussi des moments de faiblesse, terrassée par des forces négatives qu’elle s’attache à conjurer lors de cérémonies traditionnelles de désenvoûtement. La force du film est de nous les faire partager.

Amina ne va pas bien. Cette nuit, elle s’est ouvert les veines. Un de ses protégés a appelé le médecin. «Pourquoi tu t’es fait du mal ?», demande-t-il. Amina est prostrée sur son lit. Sur son poignet lacéré, de fines cicatrices alignées. Elle revient au monde et dit : «J’ai ce problème depuis que j’ai fait la photo Femen. Je ne suis pas Rambo ! Avant, le truc était régulier… J’avais pratiquement arrêté, mais j’ai repris l’habitude en moins d’une semaine».

Après le tournage, qui a duré six mois, pendant lesquels elle a montré patience et loyauté, Amina a accouché d’une petite fille. «Elle est mère célibataire. Et élever son enfant dans une société arabo-musulmane n’est pas du tout facile. C’est ce qu’Amina rencontre actuellement en Tunisie», commente Nada, la réalisatrice, qui voudrait bien continuer de la suivre… Donc à suivre…

Ajouté le : 28-08-2018

Source : http://www.lapresse.tn/


 

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