NOUR BELKHIRIA, UNE ÉTOILE MONTANTE DANS LE CINÉMA CANADIEN — INTERVIEW

Par Henda HAOUALA – Tunisie Numérique – 19 juillet 2021

Retenez bien son nom, elle s’appelle  Nour Belkhiria, jeune avocate et actrice tunisienne installée au Canada depuis 2014. Elle incarne «Ismène» dans le long-métrage Antigone (2019), écrit et réalisé par Sophie Deraspe. Le film a  été nommé meilleur film canadien du  44e prestigieux Festival international du Film de Toronto (TIFF). Nour Belkhiria remporte également le Prix Écrans canadiens de la meilleure actrice dans un second rôle. Aujourd’hui, Nour et Patrice Robitaille sont les têtes d’affiche  du premier long-métrage de Catherine Therrien,  La Révision,  sélectionné au Festival du Film francophone d’Angoulême pour la fin août 2021. Rencontre avec une actrice qui séduit désormais le cinéma canadien.

Entre droit et cinéma ?

  • N.B : Pour le moment je suis en stage pendant six mois au barreau du Québec. Je travaille dans une entreprise en tant avocate spécialiste dans le droit corporatif. En parallèle je suis sur le tournage d’une série TV canadienne qui sortira l’automne prochain. Ce stage est un premier pas dans la concrétisation de mon parcours estudiantin en droit. Être avocate représente pour moi l’aspect rationnel de ma personnalité, alors que jouer au cinéma c’est mettre en avant toute ma charge émotionnelle. Quelque part ces deux métiers se croisent,  en tant qu’avocate je me  dois de convaincre le juge, dans le cinéma c’est le public qui doit être convaincu par mon jeu. Ces deux métiers demandent beaucoup de crédibilité et un grand investissement.

Comment juges-tu tes débuts dans le cinéma canadien ?

  • N.B : J’ai eu la chance d’entrer dans le cinéma par la grande porte (en rigolant, je pense que les étoiles se sont alignées pour moi). J’ai commencé à faire du théâtre au lycée quand j’ai été à Tunis et j’ai gardé cette passion quand je me suis installée au Canada. C’est comme ça que j’ai été repérée. Après coup et le succès de Antigone, j’ai réalisé à quel point c’est difficile de démarrer une carrière d’emblée dans un long-métrage alors que le grand public ne me connaissait pas. Beaucoup d’acteurs et actrices commencent dans des courts-métrages, passent des dizaines de castings pour décrocher un premier petit rôle dans le cinéma. Antigone était une grande opportunité pour moi et j’en suis très reconnaissante.

Comment gères-tu tes castings ?

  • N.B : Aujourd’hui j’ai un agent qui se charge de me soumettre des scénarios, et si le rôle me plaît je passe les auditions. J’ai refusé quelques rôles qui sont pour moi de simples clichés de la fille maghrébine arabe. Je n’ai aucun problème à jouer ces rôles vu que je suis arabe avec un physique typé, mais le personnage que je veux incarner doit porter une profondeur qui me parle personnellement et qui représente ma communauté pour que je puisse apporter mon grain de sel et présenter au spectateur une composition étoffée. Dans mon dernier film, La Révision, je joue le rôle de Nassira, une fille voilée par choix, un personnage très nuancé qui sort des clichés car le film est construit sur une joute verbale singulière entre Nassira et un professeur de philosophie.

La pire déception que tu peux craindre dans  le cinéma ?

  • N.B : Accepter ce métier, c’est accepter la déception. Les auditions c’est un peu comme des entretiens d’embauche, il y a beaucoup de stress. Et lorsqu’on est pris, il y a le stress du tournage, de la sortie du film, de sa réception par les spectateurs. Un acteur peut se donner à fond dans son rôle et le film peut ne pas  marcher après. Pour moi, le plus important c’est d’être fière de moi et de mon travail et d’avoir la possibilité de m’exprimer comme je me dois de le faire quand j’incarne un personnage. Faillir à cela serait sûrement ma déception.

Le premier rôle dont tu rêves ?

  • N.B : Dans La Révision j’ai le premier rôle féminin. Comme je l’ai dit tout à l’heure, mon rêve c’est d’incarner des rôles de femmes inspirantes, c’est d’émouvoir les gens tout en me remettant moi-même en question et de me toucher émotionnellement et humainement. Nassira est un personnage proche de moi. D’ailleurs, lorsque je fais un effort pour un personnage, ça ne marche pas, je ne suis pas prise.

Avec quel réalisateur tunisien aimerais-tu travailler ? 

  • N.B : Les deux longs-métrages dans lesquels j’ai joué sont réalisés par des femmes, c’est peut être un hasard mais j’aimerais bien être dirigée par Kaouther Ben Hania, j’aime cette liberté qu’elle incarne dans ses films et dans la construction de ses personnages. Elle a beaucoup de mérite, aujourd’hui elle fait partie de la cour des grands, j’imagine tous ses sacrifices et surtout sa persévérance et je trouve ça génial. Leyla Bouzid, elle aussi trace son chemin sûrement, d’ailleurs son dernier film Une histoire d’amour et de désir sera en compétition aussi au Festival francophone d’Angoulême avec La Révision.

Concernant ton expérience à la télé tunisienne, que retiens-tu ?

  • N.B : J’ai beaucoup appris de cette expérience, surtout la rapidité (en souriant). Le tournage-télé est très différent de celui du cinéma. Ouled El Ghoul était une expérience enrichissante à tous les niveaux.

Des reproches ?

  • N.B : C’est dommage que les acteurs en Tunisie ne soient pas présentés par des agents qui négocient leurs contrats, leurs cachets etc. Il faudrait réformer ce corps de métier avec des lois qui les régissent, ce qui permettrait aux acteurs et actrices de se concentrer sur leur rôle, gérer tout ça seul cela impacte le travail de l’acteur.

La Tunisie aujourd’hui ?

  • N.B : Aujourd’hui je regarde mon pays avec des yeux d’adulte et je vois à quel point les jeunes Tunisiens sont bourrés de talent et d’ambitions, ils ont des yeux qui brillent et ont besoin d’un coup de main. Moi-même j’ai été comme eux, c’est vrai j’ai eu la chance d’aller dans un autre pays.  Il faut que la Tunisie soutienne ces jeunes, toutes ces personnes qui veulent s’exprimer. Cela peut paraître bateau comme phrase, mais il faut croire en ses rêves et tout faire pour les concrétiser, cela demande beaucoup de sacrifices. Je dis à tous ces jeunes de ne pas baisser les bras, et de concrétiser vos ambitions. Malheureusement, en Tunisie, nous avons la culture du silence, on n’ose pas parler des choses dont on rêve de peur d’être étiqueté et catégorisé. Il faut élargir son réseau de contact par la parole et exprimer haut et fort son ambition.

Henda Haouala

Maître de conférences en techniques audiovisuelles et cinéma.

Source : https://www.tunisienumerique.com/


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