SAUVER SA PEAU

Par Ilhem Abdelkèfi pour cinematunisien.com

Nous avons assisté aujourd’hui à une projection en avant-première du film «L’Homme qui a vendu sa peau» de Kaouther Ben Henia, avec Yahya Mahayni, Dea Liane, Monica Bellucci et Koen de Bouw dans les principaux rôles.

Un film coup de poing, qui vous tient en haleine jusqu’à la fin, empruntant au thriller sans vraiment verser dans le genre.
Envoûtant, émouvant et de l’humour, plutôt noir.
La metteure en scène dit avoir eu l’idée de ce film en voyant au Musée du Louvre le tatouage réalisé par l’artiste belge Wim Delvoye sur le dos de Tim Steiner, un jeune homme suisse.
Le personnage du film, Sam Ali, devient comme Tim Steiner une œuvre d’art, puisque l’artiste très controversé, mais néanmoins très prisé Jeffrey Godefroy (Ken de Bouw), tatoue sur son dos un Visa Schengen, ce sésame des temps modernes tant convoité par tous ceux qui veulent quitter leur pays vers des cieux plus cléments parce que supposés plus libres.


Un film universel, humaniste et social par les thèmes qu’il aborde et qui se prête à de nombreuses lectures.
Un film qui est orchestré d’une façon magistrale avec des plans superbes, une mise en scène élégante et des choix de cadres très soignés.
Une œuvre picturale avec des images et des tableaux, beaucoup de tableaux, que nous soyons dans les musées, ou dans une salle de bain quand le personnage Sam Ali flotte dans sa baignoire avec, étalé autour de lui, ce qui semble être des fleurs et qui nous renvoie au tableau de John Everett Millais «Ophélia» (1851-1852), tiré de la pièce de Shakespeare.
Une des lectures du film est une réflexion sur la notion de liberté, liberté bafouée chez soi mais aussi dans les pays que l’on dit libres et démocratiques.
C’est le rapport Orient-Occident où les droits d’un homme vulnérable sont violés, où sont sous-jacents les sacrifices auxquels peut se livrer cet  immigré à cause des situations précaires dans lesquelles il se retrouve.
Il peut se lire aussi comme une réflexion sur la notion que tout s’achète, tout se vend. Au mépris de l’éthique, l’œuvre est vendable, une marchandise qui se vend et l’homme qui, pour un visa qui lui ouvrirait les portes de ce «paradis» qu’est l’Europe, va vendre sa peau. L’artiste lui dira : «Je peux vous offrir un tapis roulant pour voyager librement».


Le pacte faustien par excellence où, au lieu de vendre son âme, il va vendre sa peau. Il va devenir non plus une personne mais une œuvre d’art qui se regarde et s’achète, mais à vendre sa peau c’est aussi son âme en fait qu’il va vendre, donc l’échange faustien. Mais cet asservissement est aussi une forme de pouvoir, et une emprise que le personnage va finalement utiliser pour retrouver son humanité et sa liberté.
Le film est aussi une histoire d’amour, de cet amour qui vous fait soulever des montagnes car notre Sam Ali est amoureux de Abeer, et c’est pour elle qu’il va vendre sa peau afin de pouvoir la rejoindre par delà les mers et la reconquérir.
La fin du film peut aussi être un autre niveau de lecture car, tout en étant un happy-end, elle n’en est pas moins un pied de nez au système duquel on se joue en le bafouant, tout en se jouant de ses mécanismes, de ses peurs de l’Autre, de ses partis pris envers le monstre qu’il a lui même créé.
«L’Homme qui a vendu sa peau» est un drame acerbe, superbement interprété par Yahya Mahayni et Dea Liane qui tout simplement crèvent l’écran.
La photo de Christopher Aoun est magnifique ; quant à la musique de Amine Bouhafa, elle est tout simplement admirable.
«L’Homme qui a vendu sa peau» est un film avec des implications politiques et philosophiques sur la condition de l’être humain de nos jours qui émeut et bouleverse.
Nous n’en sortons pas indemnes, mais avec ce sentiment si agréable et si doux d’avoir eu la chance de voir un bijou de film d’une intelligence remarquable.

Ilhem Abdelkèfi

Tunis le 30 mars 2021


 

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