RADHI TRIMECHE — FESTIVAL DU CINÉMA AMATEUR DE KÉLIBIA : «INTERNATIONAL ET TIERS-MONDISTE»

Entretien conduit par Rachida ENNEIFER – La Presse de Tunisie du 1° août 1985

Vingt ans, c’est l’âge de la maturité et, avec elle, une nouvelle série d’interrogations sur le devenir. Pour le Festival du cinéma non professionnel de Kélibia qui vient de vivre sa douzième session en l’espace de vingt et un ans (le Festival a été créé en 1964), une grande question se pose : comment conserver la vocation tiers-mondiste de cette manifestation, tout en promouvant sa dimension internationale ?
À cette interrogation, les réponses varient. Nous vous livrons, tout d’abord, celle du directeur du Festival, M. Radhi Trimeche (également président de la Fédération tunisienne des Cinéastes amateurs).

Depuis 1983 et surtout à l’occasion de cette session, la participation de cinéastes de pays développés est devenue importante, que ce soit dans le cadre de la section information ou dans le cadre de la compétition. Ceci ne risque-t-il pas de défavoriser la production des pays du tiers-monde, qui n’ont pas, au départ, la même égalité de chances que leurs confrères des pays nantis ?

  • Il est à rappeler que ce Festival est international et que, de ce fait, il doit être ouvert aux différentes cinématographies existantes de par le monde ; ceci contrairement aux Journées cinématographiques de Carthage qui ont, elles, une vocation arabo-africaine. Toutefois, s’agissant de cinéma non professionnel, je ne pense pas que les inégalités soient aussi importantes que celles qui existent au niveau du cinéma professionnel.
    Par ailleurs, la vocation internationale se justifie d’autant plus que la production arabe et africaine reste très faible, sinon inexistante pour beaucoup de pays ; or nous ne voulons pas restreindre le champ de ce Festival.
    Pour revenir à l’inégalité dans le cadre du cinéma non professionnel, nous restons, en tant qu’Arabes et Africains défavorisés, pas essentiellement au niveau des moyens, mais des traditions. Ceci dit, un festival, comme celui de Kélibia, peut contribuer à améliorer la situation des cinématographies africaines.
    Mais nous restons profondément convaincus de la nécessité de développer la vocation internationale, au risque de défavoriser, à court et à moyen terme, éventuellement la production arabe et africaine.
    Soucieux de toutes ces difficultés, nous avons attiré l’attention des membres du jury international, dès la première réunion que nous avons eue avec eux, sur la nécessité de tenir compte des réalités de chacune des cinématographies nationales, tout en insistant sur deux critères fondamentaux : les objectifs du Festival et la qualité des films en compétition.

Vous entendez mettre l’accent sur la vocation internationale du Festival. Quelle spécificité pourrait-on alors trouver à ce Festival par rapport à ceux qu’on organise un peu partout ailleurs (Bruxelles, Allemagne, Canada…) ?

  • Tout en se voulant international, ce Festival reste fondamentalement «tiers-mondiste». Par ailleurs, il est évident que ce Festival est le plus populaire de tous les festivals du monde. D’abord de par son public : à Kélibia, nous avons atteint au cours de certaines soirées, les mille cinq cents spectateurs. À Bruxelles, le nombre de spectateurs ne dépasse pas les deux cents. De par ses objectifs, le Festival de Kélibia favorise davantage les films en faveur des mouvements de libération nationale, et aussi les films représentatifs de leur réalité sociale. Ce qui constitue une seconde spécificité. Il y en a une troisième et qui est des plus importantes : c’est le caractère non professionnel. En effet, seul Kélibia, et contrairement à tous les autres festivals (qui eux sont consacrés au super 8), reste ouvert exclusivement aux non-professionnels.

Mais le Festival n’est-il pas en train de s’acheminer vers un mimétisme des grandes manifestations cinématographiques internationales qui, elles, sont la consécration du cinéma professionnel ? Nous n’en citons qu’un exemple : l’introduction d’un marché du film.

  • Le problème de la distribution se pose pour les films amateurs de la même manière qu’il se pose au cinéma professionnel. Mais jusque-là, il n’a pas été envisagé d’une manière sérieuse.
    Comment sortir du ghetto ? Nous avons essayé cette expérience du marché : notre souci reste, bien entendu, celui de faire connaître les films non professionnels et non pas de rentabiliser un produit. Cette expérience du marché s’est avérée concluante, puisque plusieurs parties y prirent part : RTA (Algérie), Antenne 2 (France), ministère des Affaires culturelles (Tunisie), la SATPEC (Tunisie)…
    Maintenant, il n’est pas question que la contrainte économique entame notre liberté de cinéastes non professionnels.

Mais les lois dictées par les structures de la distribution classique, peuvent-elles répondre à de tels soucis ?

  • Quelle est l’alternative, sachant que nous évoluons dans le cadre d’un système donné ? Il est indispensable de passer par les circuits classiques. Cependant, il faut promouvoir une collaboration de plus en plus étroite avec le mouvement de ciné-clubs et les circuits parallèles qui sont très développés en Europe.

La onzième session a appelé à la création d’une association de cinéastes non professionnels arabes. Où en est ce projet et quel est d’une manière générale, l’apport du Festival de Kélibia à une cinématographie qui souffre du manque de structures ?

  • En 1983, nous avons lancé l’idée de la création d’une association arabe de cinéastes non professionnels. Et nous étions conscients des limites d’un tel mot d’ordre. Mais même si cette structure n’a pas jusque-là vu le jour, le Festival de Kélibia a beaucoup fait dans ce sens. L’exemple de la Fédération tunisienne des Cinéastes amateurs aidant, beaucoup de pays ont commencé à créer les conditions de l’émergence d’un mouvement associatif (Égypte, Liban. Algérie, Sénégal…). L’idée étant bien lancée, les structures viendront après.

Entretien conduit par Rachida ENNEIFER
La Presse du 1° août 1985


 

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