SONDOS BELHASSEN : JE SUIS UNE DANSEUSE DU CINÉMA

Auteur : Entretien conduit par Salem Trabelsi – www.lapresse.tn – ajouté le : 13-06-2016

Actrice, danseuse et chorégraphe, Sondos Belhassen nous a accordé cet entretien pour nous parler de son rapport avec le cinéma et l’écriture cinématographique et d’un lieu qu’elle privilégie et qu’elle défend : La Médina.

Votre actualité est plutôt cinématographique ! Après le documentaire «Protectorat 1881», on vous verra bientôt dans le long-métrage de fiction «Benzine».

– Cette année a été généreuse avec moi ! Il y a eu un long-métrage avec un premier rôle féminin dans «Benzine» de Sarrah Labidi, tourné dans le sud tunisien. C’était une très belle expérience, d’abord parce que c’était dans le sud tunisien dans la région de Mareth. Ensuite parce que j’aime beaucoup travailler avec Sarrah et ce n’est pas la première fois que je le fais d’ailleurs. J’ai interprété le rôle féminin dans son court-métrage «Le dernier wagon». Ce que j’ai apprécié également sur le tournage du film «Benzine», c’est que toute l’équipe venait du sud, ce qui fait qu’il y a eu un réel échange sur le thème du film qui parle des départs clandestins des jeunes. J’ai donc eu à vivre une expérience réelle… Je la vivais dans le film, mais j’avais aussi l’impression de la vivre dans la vie de tous les jours. Pour moi c’était très enrichissant d’alimenter la fiction par l’expérience réelle des gens qui m’entouraient.

De «Dawaha» jusqu’à «Benzine», comment décrirez-vous votre démarche en tant qu’actrice ?

– J’ai compris tout simplement mon rapport au cinéma. Au fait j’avais la sensation dans mon corps mais je ne l’intellectualisais pas encore. Maintenant je sais que je suis une danseuse du cinéma. Cela veut dire que j’appréhende la caméra et l’espace à travers mon corps. Ma première formation étant celle de danseuse et chorégraphe, je continue à avoir un rapport très physique avec l’espace et la caméra. Mais ce qui est très intéressant pour moi dans le cinéma, c’est de travailler l’infiniment petit. Face au mouvement restreint et contraint par la caméra, on ne peut pas faire de grands gestes, on va donc aller chercher dans son corps ce qui nous permet d’exprimer cette attitude ou ce rapport. C’est une immense sensation de liberté. Ma première sensation réelle face à la caméra est physique. Après, je suis quelqu’un qui échange énormément de choses avec les réalisateurs. Je travaille beaucoup sur le scénario et je vais loin dans ma réflexion par rapport à ce qu’on me demande de faire. Ce travail me permet de me préparer mentalement et de donner de la maturité au projet. Le travail mental est très important pour moi. Je suis dans le personnage à chaque fois bien avant le film… Quand on est enceinte, on a l’impression qu’on ne voit plus que des femmes enceintes autour de soi, alors qu’on n’a jamais fait attention à ça dans sa vie. Il y a au fait une mise en condition du mental qui nous met dans l’atmosphère, dans la vie intime et dans l’esprit du personnage. Et à chaque fois que j’ai un rôle, je vois le personnage autour de moi et je m’imprègne de lui quotidiennement. Interpréter un personnage, c’est le vivre au point de s’oublier soi-même… J’adore cette schizophrénie quelque part.

Vos rôles sont très physiques…

– Très physiques ! Ou en tout cas je les rends physiques ! Je ne sais pas… Mais en tout cas j’aborde l’acting de manière très physique… Je m’exprime beaucoup mieux par mon corps.

Que pensez-vous des rôles écrits pour les femmes en Tunisie ?

– Je pense qu’il n’y a pas de rôles écrits pour les femmes et c’est bien le problème du cinéma tunisien. Dans les derniers films qui sont sortis, les personnages principaux sont masculins. Le point de vue est masculin, même si les femmes tiennent des rôles importants. Rares sont les films tunisiens qui ont raconté les femmes du point de vue des femmes; je cite par exemple «Le silence du palais» et «Dawaha». Raja Ammari est une femme qui écrit pour les femmes dans un univers de femmes confronté à l’univers masculin. Cela dit, l’écriture féminine pour le cinéma reste un phénomène très rare.

On ne vous voit pas beaucoup à la télé…

– Vous allez bientôt me voir ! Mais il faut dire que j’ai du mal xavec la télé… D’abord je vis sans télévision parce que je n’aime pas l’esprit des troupeaux. La télévision est pour moi une machine à broyer le cerveau… mais depuis la révolution je regarde de temps en temps le petit écran pour ne pas être complètement coupée de la réalité. Par contre, j’ai répondu à l’appel de Mourad Bechickh pour interpréter un rôle dans son feuilleton «Flash back» qui sera diffusé sur Al Hiwar Ettounsi. Déjà Mourad est quelqu’un qui vient du cinéma et c’est quelque chose qui m’a réconfortée.
Cela m’a permis d’entrouvrir une porte que je n’aurais jamais ouverte et qui est celle d’aller vers le feuilleton ramadanesque. Le rôle qu’il m’a proposé est également intéressant car c’est un rôle que je trouve un peu à part. C’est le rôle d’une psychiatre qui reçoit le personnage interprété par Lotfi Abdelli en séance de thérapie. Je n’avais qu’un seul personnage devant moi et je ne me mouillais pas dans le feuilleton.

Parlez-nous de votre association «Lmdina wel Rabtine»

– C’est un groupement de voisins et d’amis qui avait besoin, à un moment donné, de se sentir acteur dans les décisions qui sont prises pour la Médina. Nous vivons dans un endroit qui est magique mais qui est aussi un fantasme pour les gens, surtout pour ceux qui n’y vivent pas.

Même ceux qui ont la charge de prendre des décisions pour la Médina n’y vivent pas. Pour moi il est inconcevable aujourd’hui que des gens comme le maire par exemple ne vive pas à la Médina. Il est inconcevable qu’il ne soit pas en relation directe et physique avec ses rues, ses voisins et avec la façon de vivre ici qui est tout à fait différente des autres quartiers. Notre objectif c’est de ne plus être des spectateurs de ce qui arrive à la Médina. Il y a des gens qui décident maladroitement pour nous puisqu’ils ne connaissent même pas la Médina. Malheureusement jusqu’à aujourd’hui, nous ne sommes pas encore partie prenante des décisions au niveau de la municipalité. Pour moi c’est un drame de voir pousser les constructions anarchiques qui devraient être encore plus interdites qu’avant. Et si la ville de Sidi Bou Said est plus ou moins aménagée, c’est parce que c’est le lieu de résidence de diplomates et de ministres. A la Médina, il y a le peuple et c’est tout !

Vous n’avez pas réussi à établir des liens avec la mairie ?

– Elle n’existe pas la mairie ! On va voir ceux qui y siègent pour leur demander de prendre des décisions contre la prolifération des poubelles par exemple et ils nous répondent : «Faites ! Nous sommes avec vous». Au lieu que la société civile soit le pendant de la municipalité, c’est le contraire qui arrive ! C’est complètement surréaliste. Et nous, en tant qu’association, nous ne voulons plus vivre dans une ville fantasmée. Car le Tunisien ne connaît pas la Médina, il se la représente dans sa tête et il la visite une fois par an pendant le ramadan pour y veiller jusqu’à quatre heures du matin. Il ne connaît pas la réalité de son quotidien. Pour moi il faut vivre la Médina telle qu’elle est et sans la fantasmer, mais sans la dévaloriser non plus ! Malheureusement on est tout le temps dans les deux extrêmes.

Auteur : Entretien conduit par Salem Trabelsi

Ajouté le : 13-06-2016

Source : http://www.lapresse.tn

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