KAOUTHER HAMRI, JEUNE CINÉASTE : UN FILM ZÉRO BUDGET

Par Faiza MESSAOUDI – Le Temps – Mardi 25 août 2015

«Warda, Fleur du bain», un film très court de la jeune cinéaste Kaouther Hamri. Cette artiste a été primée pour son film court métrage d’une durée de une minute, au Festival de Films de Femmes de Créteil en France. Grâce à son imaginaire poétique, sa sensibilité et sa manière à retranscrire le réel à partir des fragments d’images savamment et suavement juxtaposés, elle a réussi à nous offrir une belle œuvre cinématographique sans la nécessité des moyens techniques professionnels. Interview.

Le Temps : Vous êtes lauréate du Festival de films de Femmes de Créteil, prix concours. Parlez-nous de cette expérience.

  • Kaouther Hamri : Le Festival de films de Femmes, Maison des Arts de Créteil, organise une compétition internationale de longs et courts-métrages, en plus d’un jeu concours. Mon film a eu le prix concours de film, durée une minute. Le thème choisi était de filmer un décor intime, filmer votre environnement. Il sera diffusé dans la salle de la Maison des Arts de Créteil lors de deux séances, spécial environnement de la section Turbulences. Je suis tombée sur ce concours par hasard sur internet. J’étais à la recherche d’un projet de résidence, une bourse pour partir, ou un concours. C’était la première adresse trouvée sur Google. Alors j’ai voulu participer à tout prix, sans pour autant avoir la moindre idée du film à l’aide duquel j’allais déposer ma candidature. J’étais, en réalité, enthousiaste. J’avais l’impression que quelque chose me rongeait et me dévorait l’esprit, c’était un incessant appel intérieur à créer, à offrir  le beau !

Comment avez-vous accouché de ce film ?

  • Pour moi, la vie est associée intimement à la création. C’est en créant que je respire la vie. Étant une femme, j’avais le don d’engendrer. Une femme est toujours belle parce qu’elle possède la  générosité de donner, de souffler la vie à l’autre, d’accueillir et d’offrir, que ce soit un bébé, une œuvre d’art, un partenaire intime. Mon imaginaire était à la quête d’une belle image, d’une belle idée, d’une sensibilité, d’une émotion. Alors j’ai expérimenté plusieurs coins de mon foyer, j’ai filmé la cuisine, le salon, les livres, les disques, j’ai filmé ma chambre à coucher, un tapis que j’aime, enfin j’ai essayé le jardin, mais je n’étais pas satisfaite. Une fois, en prenant ma douche, j’ai vu par la fenêtre une fleur rouge dans le jardin, du coup j’ai eu une idée, c’était de la pure improvisation. À la maison, les fourmis vivaient avec moi, je leur voue une tendresse particulière, elles ont un langage, un code spécifique. J’ai pris un Iphone, je n’ai pas de caméra professionnelle. J’ai appelé une amie pour le montage, mais elle n’a pas réagi à ma sollicitation, son refus était presqu’un petit obstacle. Comme souvent, la douleur débouche dans de belles expressivités et rien ne nous rend grand qu’une grande douleur à la manière de Musset, ma blessure s’est tissée, s’est tressée, s’est renforcée et a fait surgir une belle œuvre. Je n’étais pas très sûre de parvenir à mon but, mais je me suis obstinée à essayer le montage, à monter les rushes toute seule et j’ai fini par envoyer ma création. J’étais sélectionnée et j’ai compris que la vie me souriait, qu’elle est belle, que c’est un message d’amour, de sérénité et surtout de résistance.

Ce film, zéro budget zéro moyen, était primé au Festival de Films de Femmes. Alors, d’après vous, qu’est-ce qui détermine réellement la réussite d’une œuvre d’art ?

  • Ce qui détermine la réussite d’une œuvre d’art, c’est d’abord la persévérance, la volonté et la foi en ce qu’on réalise. C’est aussi le sentiment de l’humanité, du partage : comment peut-on offrir le beau à l’autre, lui permettre de savourer l’art, le réjouir, lui transmettre un message d’amour parce qu’il est notre propre reflet. Sartre a dit dans une circonstance bien déterminée que l’enfer, c’est l’autre. Maman a dit dans une antithèse que l’autre pourrait être le paradis, j’ai aimé cette vision de monde, malgré les épreuves de la vie qui m’ont confrontée à l’autre. Soyons optimistes !

C’est un Festival de Films de Femmes. Est-ce qu’une création dépend du genre du créateur ?

  • Absolument pas ! Une création ne dépend pas du genre du créateur, mais plutôt de la sensibilité et de la sincérité. Peut-être aussi elle dépend de la manière de percevoir, d’interroger et de réinterpréter le monde. Nous avons de belles femmes et de beaux hommes qui ont réussi à offrir de belles œuvres cinématographiques. Sans le besoin de citer des noms, ils sont nombreux et ils se reconnaitront d’eux- mêmes!

Et les jeunes, pourraient- ils offrir un cinéma de qualité, de nouvelles approches, de nouvelles esthétiques ?

  • Tous les jeunes sont des créateurs aujourd’hui, parce que beaucoup de moyens sont à leur portée et parce que l’avenir est devant eux. Leur rôle est de résister pour faire ce qu’ils aiment faire. Il faut qu’ils s’unissent et qu’ils s’aiment réciproquement, qu’ils soient solidaires pour créer, avancer ensemble, chercher de nouvelles logiques, de nouvelles vérités, de nouvelles approches, agir ensemble chacun de sa propre place, construire le sens, réinterroger, bâtir de nouvelles conceptions, offrir le beau…

Avez-vous d’autres projets ?

  • J’ai deux projets de films documentaires. Le premier est un hommage à Chokri Belaïd, un deuxième long documentaire sur les dames des mots, c’est un documentaire poétique et musical. J’espère avoir le courage et la persévérance de les réaliser. Sachez que le ministère de la Culture m’a déçue plus d’une fois, ce ministère a déçu toute une génération de jeunes. J’ai l’impression que nous sommes opprimés, les oppresseurs détruisent nos rêves, néanmoins nous continuons à créer et crier que nous existons malgré tous !

Faiza Messaoudi

Source : http://www.letemps.com.tn/


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