UN ÉTÉ À LA GOULETTE : FÉRID BOUGHEDIR OU L’APPEL DU PARADIS

Un été à la Goulette : un film plein de magie. (DR.)

Par Emmanuèle FROIS – Le Figaro du 26 décembre 1996

À travers l’amitié de trois hommes de confession différente, le cinéaste tunisien raconte l’été 1966, dans un petit port près de Tunis.

Il ressemble à un lutin qui sortirait d’un conte. Il a des yeux malicieux, un sourire d’enfant, des gestes exubérants prêts à décrocher la lune et des mots doux comme le miel. On ne lui donne pas d’âge. Il est intemporel comme ces êtres qui ont décidé une bonne fois pour toutes de s’émerveiller de chaque jour offert par la vie. Férid Boughedir est un personnage féerique, un narrateur infatigable qui n’a rien à envier à Shéhérazade. Il y a de la magie dans son second long-métrage, Un été à la Goulette. Mais avec lui, point de lampe merveilleuse ou de tapis volant. Boughedir n’est pas persan. Il est né en Tunisie et c’est de là qu’il puise son inspiration.

Dans Un été à la Goulette, le cinéaste évoque l’été 1966 à la Goulette, la petite ville portuaire de la banlieue de Tunis.

«J’ai passé mon adolescence à la Goulette, se souvient-il. À l’époque, c’était une sorte de paradis, un lieu de tolérance où les communautés musulmane, juive et catholique coexistaient en bonne entente. Au moment de l’indépendance en 1956, Bourguiba avait deux ministres juifs. C’est un grand talent des Tunisiens d’être très ouverts. J’aime dire que nous sommes des descendants des Phéniciens qui étaient les plus grands commerçants de la Méditerranée.

Ensuite, la Tunisie a été christianisée à l’époque romaine. Saint-Augustin, un grand saint de la chrétienté, est Tunisien ! Quand les Arabes sont arrivés, l’islam a suivi. Et ils se sont opposés à une reine berbère qui était juive, mais dont les fils se sont convertis à l’islam ! Nous avons donc eu, de tout temps, des brassages, des mélanges extraordinaires».

Dans son film, le réalisateur relate avec pittoresque l’amitié entre trois hommes : Youssef le musulman, contrôleur sur le train TGM (Tunis-Goulette-Marsa), Jojo, le juif tunisien «roi du brik à l’œuf», Giuseppe, le Sicilien catholique qui est pêcheur. Tout va pour le mieux jusqu’au jour où leurs trois filles âgées de 16 ans décident, par bravade, de perdre leur virginité le jour de la Fête de la madone, chacune avec un garçon d’une autre religion que la sienne !

«Les minorités culturelles ont quitté la Goulette à la veille de la guerre israélo-arabe des Six-Jours, ajoute Férid Boughedir. Mais il n’y a jamais eu de véritable coupure, car chaque été les plages de la Goulette se repeuplaient de ses habitants d’origine. Et aujourd’hui, le gouvernement du président Ban Ali favorise la réinstallation des juifs tunisiens sur leur terre ancestrale. La meilleure preuve ? L’acteur et restaurateur Guy Nataf qui incarne Jojo, le roi du brik à l’œuf, s’est réinstallé à la Goulette et vient d’ouvrir deux restaurants».

Un projet sur sa petite enfance

Dans son premier long-métrage Halfaouine, l’enfant des terrasses, Férid Boughedir s’était souvenu de son enfance. «Je m’étais largement inspiré de ce que j’avais vécu à Halfaouine, ce vieux quartier populaire de Tunis. J’avais tenté d’exprimer, au-delà des clichés sur les sociétés islamiques, l’exubérance, l’humour et la sensualité quotidiennes, qui, dans notre vie courante, viennent contredire à chaque instant la rigidité des dogmes.

C’est devenu un film-culte qui a battu tous les records d’entrée !» s’exclame-t-il avec fierté.

Aujourd’hui, le cinéaste fait de nouveau appel à sa mémoire. Il est en train d’écrire son troisième long métrage Hammam-Lif, le lieu de sa naissance. Il y contera sa petite enfance. Mais c’est une autre histoire !

Emmanuèle FROIS

Le Figaro du 26 décembre 1996


Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire