SHÉHÉRAZADE OU LA PAROLE CONTRE LA MORT, DE NACEUR KHEMIR

À la recherche du sens perdu

Par Narjès Torchani – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 24-11-2012

Présent avec deux films au panorama du cinéma tunisien, le réalisateur Naceur Khemir est, pour cette édition, l’auteur de Looking for Mohieddine, projeté en avant-première mondiale, mardi dernier au théâtre municipal et de Shéhérazade ou la parole contre la mort, qui a meublé la séance de 21h au Mondial, le lendemain.

Avec ces deux documentaires, Naceur Khemir raconte au cinéma deux personnages qui le fascinent : la maître soufi Ibn Arabi (1165-1240) et Shéhérazade, celle qui a étoffé les Mille et une nuits par ses contes. La princesse compte tellement pour ce réalisateur et conteur qu’il avait refusé, à la dernière minute, de passer le film lors la rencontre annuelle des réalisateurs tunisiens, organisée en février dernier par l’association des réalisateurs de films tunisiens, laissant le public sur sa faim.

Le documentaire d’une durée de 95 minutes obéit à une narration dont le fil conducteur est le conte, évidement. Des extraits des Mille et une nuits sont racontés, dans la langue de Molière, par Naceur Khemir, en plan-séquences et devant une audience dont seuls les rires arrivent aux spectateurs. Des fondus enchaînés permettent un changement de décor où des images des Mille et une nuits sont mises en scène. On se retrouve tantôt dans le désert à suivre deux frères princes, tantôt en compagnie d’un pêcheur, au bord de la mer… Là, c’est une voix féminine qui s’exprime.

Une Shéhérazade donne la réplique au conteur Naceur Khemir, en ajoutant à ses histoires une réflexion sur leur symbolique. Les rôles sont inversés : Naceur Khemir conte les Mille et une nuits et fait parler Shéhérazade de ses pensées. Comme si pour nous prévenir que cette princesse est la sienne, et celle qui sort de son propre imaginaire.

Les images les plus fascinantes restent celles dessinées par les mots du conteur Naceur Khemir, donc celles inventées par Shéhérazade, selon le mythe. Après tout, pour empêcher le prince de l’exécuter, Shéhérazade n’avait que ses paroles, qui devaient charmer et retenir l’attention de son interlocuteur.

Ce qui a réellement sauvé Shéhérazade, c’est  d’avoir su que dire, à quel moment le dire mais surtout quand user de son silence. C’est en effet son abstinence de la parole après minuit qui donnait au prince un motif pour la laisser en vie, afin de connaître la suite de l’histoire. Tout comme elle, le conteur use de son éloquence, de sa gestuelle et de sa variation de ton pour impressionner son audience, rajouter du zèle et parfois de nouveaux détails improvisés à ses histoires. Ces dernières sont souvent entremêlées et se rappellent mutuellement, grâce à des personnages ou des endroits communs. Les Mille et une nuits sont tel un labyrinthe fait pour que le roi s’y perde et ne demande même pas d’en sortir.

On ne sait pas si Shéhérazade a réellement existé et les Mille et une nuits sont une œuvre anonyme. Naceur Khemir part de ce constat pour parler du conteur anonyme et lui rendre hommage. Celui qui a porté la tradition orale comme une croix est aujourd’hui disparu, «dans l’indifférence, voire même le mépris», explique le réalisateur, parce qu’il détenait le secret magique de la parole. Un pouvoir qui semble, depuis des siècles, enfermé dans un vase aux fins fonds de l’océan, tout comme l’imaginaire arabe. Vouloir le ressusciter serait trop prétentieux, mais Naceur Khemir a sa propre vision sur cet héritage sans testament.

Quand, dans Shéhérazade ou la parole contre la mort, il parle de la manière dont ont été transmises les Mille et une nuits de génération en génération, par la parole et puis par l’écriture, on ne peut s’empêcher d’y voir une référence au périple du livre saint. Naceur Khemir finit par le dire dans son film. Sa dernière réflexion est en effet que l’Histoire des Arabes a été marquée par deux grands livres : le Livre saint et les Mille et une nuits. «L’un pour dire comment on devrait vivre, l’autre pour dire comment on voudrait vivre». Il signe au final une œuvre simple, d’apparence simpliste, mais profonde par les idées qu’elle partage avec le spectateur qui veut bien vivre l’expérience. C’est surtout une œuvre très personnelle, où l’auteur semble nous dire que Shéhérazade n’a pas besoin qu’il parle d’elle, c’est plutôt lui qui en a besoin. Et le film s’achève sur Naceur Khemir qui suit, dans les rues de Paris, une jeune femme rencontrée dans un café. Une Shéhérazade des temps modernes…

Auteur : Narjès Torchani

Ajouté le : 24-11-2012

Source : http://www.lapresse.tn


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