MEHDI BARSAOUI : «LA TUNISIE EST À LA FOIS AVANT-GARDISTE ET TRÈS RÉACTIONNAIRE»

Dans son long-métrage «Un Fils», présenté à l’Arras Film Festival, le réalisateur tunisien Mehdi Barsaoui a voulu «questionner la modernité de l’homme arabe».

Propos recueillis par Alexis Duval – Publié le 13 novembre 2019

Révélé en septembre à la Mostra de Venise, «Un Fils», le premier long-métrage du Tunisien Mehdi Barsaoui, a depuis été montré dans de nombreux autres festivals de cinéma, de Londres à Bombay, en passant par Montpellier, Hambourg et désormais à l’Arras Film Festival, qui se tient jusqu’au dimanche 17 novembre. Il a également été projeté aux Journées cinématographiques de Carthage, à Tunis, où il a reçu le Tahar Cheria de la première œuvre.

Le film, dont la sortie en France est prévue pour le 11 mars 2020, suit l’histoire de deux parents dont l’enfant a besoin d’une greffe après qu’il ait reçu une balle perdue lors d’une embuscade terroriste. Une histoire portée par l’interprétation puissante des deux interprètes principaux, Sami Bouajila et Najla Ben Abdallah, et par un sens de la dramaturgie extrêmement maîtrisé. Rencontré à Arras samedi 9 novembre, le réalisateur raconte comment sa fiction, dont le récit se déroule en 2011, un peu avant la chute de Ben Ali, éclaire la Tunisie d’aujourd’hui.

Le film aborde plusieurs thématiques, dont certaines sont taboues en Tunisie, notamment l’adultère. A-t-il été difficile à faire de ce point de vue ?

  • Mehdi Barsaoui
  • Absolument pas. Le film est soutenu par l’État tunisien, par le biais de l’équivalent chez nous du Centre national de la Cinématographie. L’énorme acquis depuis 2011 et la chute du dictateur Ben Ali, c’est que la parole s’est vraiment libérée. On peut maintenant s’attaquer à n’importe quel tabou. L’adultère n’en est d’ailleurs pas un, c’est plutôt une problématique qui peut susciter le débat.
    La Tunisie peut être un pays progressiste, notamment sur la question des droits des femmes, que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle. Mais, en même temps, nous avons des lois liberticides, comme celle qui punit les couples adultérins de cinq ans de prison ferme. C’est tout le paradoxe de ce pays d’être à la fois avant-gardiste et très réactionnaire. En tant qu’auteurs, en tant que cinéastes, notre rôle est de soulever ces thématiques, de les exposer, de créer le débat pour que les choses changent.

Pourquoi avoir choisi d’ancrer le récit en 2011 ?

  • C’était essentiel pour moi. L’année 2011 est charnière pour la Tunisie comme pour le monde arabe. Le pays a connu de vrais changements, que ce soit sur les plans politique, social ou religieux. Cette année-là a marqué le début d’une mutation, à l’image de la famille du film dont les repères vont être complètement secoués. J’ai voulu filer cette métaphore entre la trajectoire des personnages et celle du pays.

Le personnage du père en particulier, joué par Sami Bouajila, évolue énormément tout au long du film…

  • Qu’on le veuille ou non, la Tunisie est une société patriarcale, misogyne et machiste. C’était donc important pour moi de questionner la modernité de l’homme arabe. Le personnage est tiraillé entre l’ego de l’homme trahi et l’ego du père. Plus le film avance, plus l’ego de l’homme laisse place à l’ego du père et c’est comme ça qu’il se réapproprie son humanité. Car c’est un film sur la manière de s’affranchir du poids de la société, de la religion.

Finalement, malgré ce qu’indique le titre, «Un Fils» est davantage un film sur la famille…

  • C’est un film sur un enfant du pays autant qu’une œuvre sur la paternité, sur la maternité, sur le couple, sur l’émancipation féminine. Et à mes yeux, c’est aussi une histoire d’amour.

Pour le septième art tunisien, que représentent les Journées Cinématographiques de Carthage, où le film a été récompensé ?

  • C’est un festival mythique chez nous et dans le monde arabe. Il y a un véritable engouement du public, on assiste à une ruée vers les salles que l’on voit rarement. C’est un rendez-vous incontournable.

Que pensez-vous de l’élection, le 13 octobre, de Kaïs Saïed à la présidence tunisienne ?

  • L’élection montre que même si le chemin à parcourir reste long, la Tunisie est vraiment sur la bonne voie. Le peuple s’est exprimé, il faut désormais respecter ses choix. Qu’on soit d’accord ou pas, c’est ça la démocratie. Et que l’on puisse vivre ça, c’est énorme.

Source : https://www.lemonde.fr/


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