HECHO EN CASA : UN DOCUMENTAIRE FAIT MAISON

Propos recueillis par Sana Sbouai

«Hecho en casa» journal de bord filmé de Belhassan Handous, est un film documentaire en noir et blanc, tourné entre 2008 et 2012 avec un téléphone portable et un appareil photo. Le film, produit par Exit Productions, sera projeté ce soir en avant-première au cinéma le Rio à 19h, à Tunis.

Tawa fi Tunis : De quoi parle votre film?

  • Belhassan Handous : «Hecho en casa» parle de plusieurs thématiques, mais fondamentalement c’est un journal de bord filmé entre l’Espagne et la Tunisie.

Tawa fi Tunis : Quand on tient un journal, c’est que l’on se pose des questions sur soi-même. Est-ce le cas ici ? Est-ce une recherche, un parcours ?

  • Belhassan Handous : Oui effectivement. Ce film n’a pas vu le jour par hasard. Depuis très longtemps, j’étais obsédé par l’idée de faire un film et le jour où j’ai eu en main le support qui m’a permis de filmer, je ne me suis pas posé de question et dès le départ j’ai voulu faire un documentaire. Le film pose des questions mais n’apporte pas forcément de réponse. C’est un film sur le départ, c’est une sorte de catharsis. Il y est question de la recherche de soi, via le voyage et via le retour.

Tawa fi Tunis : Vous avez toujours eu envie de faire un film, mais aviez-vous réfléchi à commencer par un film sur votre propre vie ?

  • Belhassan Handous : En réalité j’ai travaillé sur d’autres films, mais pour le mien je savais que j’allais un jour faire un film documentaire. Il se trouve que c’est presque quelque chose de thérapeutique que j’ai fait. J’ai commencé à filmer quand j’étais étudiant en Espagne, c’était presque un besoin cutané de filmer, de garder les choses. Et au même temps c’était structuré autour d’une démarche esthétique, avec des choix de cadrage, avec le rapport à la caméra. C’était une main qui filmait, qui gravait, qui touchait d’autres mains. Ce film est une danse de mains. C’est une main qui est très proche des sentiments, des tripes. Ce film, c’est une envie et une réflexion au même temps.

Tawa fi Tunis : Il est beaucoup question de voyage. On pourrait croire que le film aborde la question du lieu où l’on se sent bien. Mais n’est-ce pas plutôt la question de la terre qui serait la nôtre ?

  • Belhassan Handous : Non je ne crois pas que la question d’identité se résume en une relation ombilicale avec la terre de laquelle on vient. C’est plutôt le confort de connaître une culture, des gens, des rites, des traditions, des réflexions, des villes, des émotions. Le voyage est dû à un malaise, que l’on porte en soi et que l’on cherche à résoudre. Le voyage n’a pas changé ma perception des choses mais m’a donné plus d’éléments pour comprendre et sentir les choses. Ce film parle d’une mosaïque d’émotions au fond de nous, qui nous donne envie de nous poser des questions et d’aller vers une certaine quête de soi. C’est un film conjugué à la première personne du singulier. C’est un balancement entre différents états mentaux, différents lieux, différents paysages. C’est aussi un poème pour la libre circulation physique, mentale, spirituelle. C’est un rêve que j’essaie de montrer. C’est un discours politique. C’est un hymne pour que tout le monde puisse expérimenter les choses, dépasser ses frontières et partir à la recherche d’autres frontières.

Tawa fi Tunis : Vous parlez d’un film personnel mais votre entourage est très présent dans le film.

  • Belhassan Handous : Oui on y voit ma famille, mes amis, les lieux de ma vie. Mais il y a aussi ma solitude, mes angoisses. Le fait de montrer mes amis, ma famille, c’est, à chaque situation, une rencontre, c’est un nouveau personnage qui affronte les autres. C’est un peu une écriture à différentes mains, une broderie, une mosaïque d’émotions, de sentiments, de réflexion. Et c’est grâce à la proximité que j’ai avec ces gens, qui sont tout aussi perdus que moi, le filmeur, qui se cherchent, se posent des questions, demandent à ce qu’on leur dessine des chemins plus faciles, c’est grâce à cette proximité que j’ai pu les filmer.

Tawa fi Tunis : Quelle place est faite à la révolution dans le film ? Est-ce un hasard ?

  • Belhassan Handous : Non ce n’est pas un hasard. À mon retour d’Espagne depuis 2009, il y avait quelque chose dans l’air, depuis le soulèvement du bassin minier. Les gens étaient plus réactifs. Dans mon entourage nous étions inscrits dans une mouvance alternative qui n’osait pas critiquer frontalement, mais il y avait des choses. Il y avait de la musique, des films… J’ai participé à la réalisation de courts métrages importants par exemple. La révolution que j’ai montré ce n’est pas dans une certaine forme de carte postale. C’est le parcours d’une personne qui a vécu une insurrection, plus qu’une révolution, qui est toujours en cours finalement. C’est grâce à ce genre de travail que nous pouvons penser que nous mettons en place d’autres formes esthétiques d’expression, de nouveaux talents, car nous pensons que nous sommes tenus à produire, à montrer des images, à faire des choses. La révolution, l’insurrection, n’a pas une grande place dans le film mais elle est au centre du volet politique du film. Mais finalement l’ennui, la quotidienneté qui sont montrés sont eux aussi très politiques. Il y a aussi l’image de Ben Ali qui revient tout le temps. C’est comme un big brother qui est là. Il y a des passages de la vie quotidienne sous Ben Ali, en Espagne aussi. J’ai voulu montrer qu’il y a un malaise chez les émigrés et qu’aucun pays n’est à l’abri de luttes sociales pour plus de droits et plus d’acquis.

Tawa fi Tunis : Il y a des gens qui ne veulent pas forcément être filmés, mais personne ne vous demande d’arrêter de filmer, mis à part votre mère, qui ne vous demande pas d’arrêter de filmer mais plutôt d’économiser de la batterie pour plus tard. Est ce que votre entourage vous a encouragé?

  • Belhassan Handous : Quelque part mon entourage m’a accompagné, mais très peu de gens m’ont cru quand je disais faire un documentaire. Ils pensaient que c’était des images que j’allais garder chez moi, que je n’étais pas sérieux. Je connais tellement ces gens que j’ai pu anéantir l’objet qu’est la caméra, le réduire à un simple témoin. C’est une forme de jeu que je mettais entre moi, les personnages et la caméra. Il y a une aisance parce que je suis seul et qu’il n’y a pas d’autres intervenants dans le processus filmique. Mais au même temps, aujourd’hui, quand les gens se revoient, ils sont contents.

Tawa fi Tunis : Pourquoi avoir abordé l’enfance dans le film ?

  • Belhassan Handous : Quelque part en me filmant je pose une réflexion ombilicale, aquatique, embryonnaire. D’où je viens ? Pourquoi je viens ? Et aujourd’hui dans ce nouveau monde à la recherche d’alternatives économiques, sociales, artistiques, après le chaos, finalement se pose la question : d’où vient-on ? J’ai voulu montrer ça via des enfants qui sont là, livrés à eux-mêmes mais qui consomment aussi ce monde. J’ai voulu montrer la naissance, c’est la genèse et l’espoir, la boucle qui s’ouvre et se ferme, c’est aussi le rêve, l’élément aquatique, la mer et le voyage. Encore une fois politiquement le message n’est pas frontal, mais finalement les enfants sont les gens qui, demain, vont vivre le changement, dans ce pays ou dans un autre. Et ce sont eux l’espoir, la longueur d’onde qui va se répercuter à l’infini.

Tawa fi Tunis : C’est un film très esthétique, malgré le fait que l’on peut penser que filmer avec un téléphone portable et un appareil photo implique le fait de ne pas tenir compte de cet aspect.

  • Belhassan Handous : J’ai essayé de montrer une image proche de moi. À travers de faux travelings, de faux contre-champs, il y a une écriture quand je filme. J’ai une sensibilité par rapport à l’image car je fais de la photo depuis longtemps et que j’ai une certaine approche par rapport à la représentation de l’espace. Il y a aussi eu l’écriture au niveau du montage où l’on a essayé de travailler d’autres natures de plan, parce qu’avec un petit support c’est une autre manière de filmer. C’est très expérimental. C’est très loin de la conception lourde, avec des travelings léchés, c’est loin des films commerciaux. ça peut aussi être très dérangeant parce que c’est un nouveau support que l’on utilise, une nouvelle forme de faire les choses. On verra comment cela va être reçu par le public.

Tawa fi Tunis : Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?

  • Belhassan Handous : Je voudrais remercier les techniciens et les producteurs. Ismael qui a fait le montage, Moncef Taleb au montage son, Yazid Chabbi au mixage son, Idir Ben Slama à l’étalonnage, Atef Mâatallah pour la très très belle affiche, et beaucoup d’autres amis, comme Alaeddine Slim et Ali Hassouna à la production.
    Je souhaite offrir le film aux gens de Redeyef, car ils ont ouvert le chemin vers des formes de protestation fondées sur la demande de droits économiques et sociaux, visant une certaine forme de citoyenneté active. Malheureusement en ce moment ils sont toujours dans une situation difficile, mais ce sont eux qui ont créé ce modèle utilisé en 2010 et qui a été repris en Égypte et dans d’autres pays dans le monde. Cette lutte sociale ne va jamais se taire et si nous sommes en état de construction quotidienne, c’est grâce à ces gens-là qui ont toujours lutté pour la liberté et la dignité.

Propos recueillis par Sana Sbouai

Source : http://blog.slateafrique.com/


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire