DORA BOUCHOUCHA, DIRECTRICE DE LA 23° ÉDITION DES JCC : LE CINÉMA TUNISIEN SE PORTE BIEN, MALGRÉ TOUT !

Propos recueillis par Hanène Zbiss – 23/08/2010.

À seulement quelques mois du début de la 23° édition des Journées Cinématographiques de Carthage, qui se tiendront du 23 au 31 octobre 2010, nous avons rencontré la directrice de cette session, Mme Dora Bouchoucha, qui a été reconduite à ce poste ainsi que son équipe qui assurera l’organisation du festival.
Elle nous a révélé les grandes lignes de la programmation, les nouveautés et quelques noms de membres du jury.
Nous avons profité aussi de cette rencontre pour l’interroger sur son expérience à la tête du Fonds Sud Cinéma, une mission dont elle se chargera pendant deux ans.

Vous avez été reconduite à la direction des JCC ainsi que votre équipe, comment avez-vous ressenti cela ?

  • Je suis très contente de ce choix. C’est un signe de confiance en ma personne et en mon équipe de la part du ministre de la Culture, mais c’est aussi une très grande responsabilité. Nous n’avons pas droit à l’erreur.

Vous attendiez-vous à être reconduite ainsi que votre équipe à la direction des JCC ?

  • Ce n’était pas vraiment une surprise pour nous car nous avions demandé, déjà en 2008, qu’il y ait un bureau permanent pour les JCC. Ce n’est pas normal qu’une si prestigieuse manifestation n’en ait pas eu jusqu’à aujourd’hui !

En 2008, vous avez mis la barre très haut en matière d’organisation, allez- vous continuer cette année ?

  • Nous allons essayer de continuer notre effort et j’espère que nous allons réussir. Nous sommes très exigeants avec nous-mêmes. Déjà, le lendemain de la cérémonie de clôture des JCC en 2008, le bureau s’est réuni pour faire le bilan de la session et relever ce qui n’a pas marché. Ensuite, nous avons rédigé un rapport et nous l’avons envoyé au ministre de la Culture. Par exemple, nous nous sommes rendus compte qu’il fallait avoir un délégué général du Festival, une sorte de directeur artistique. Nous nous sommes donc rattrapés cette année.

Justement, qu’est ce que vous allez garder ou rectifier durant cette édition des JCC par rapport à 2008 ?

  • Premièrement, nous avons œuvré pour l’abolition de cette loi qui exige de ne présenter à la compétition officielle que des films tournés en 35 mm, or la majorité des long-métrages africains sont en format vidéo. On ne peut pas les exclure. Et puis, le support ne représente plus de problème dans le monde entier. Nous avons déjà enfreint cette loi en 2008. Deuxièmement, il y avait jusqu’ici un “casse-tête” concernant l’attribution des prix, il fallait que la somme soit partagée entre le réalisateur et le producteur. Pour cette édition, nous avons décidé que ce soit uniquement le premier à en bénéficier. Troisièmement, il y a une nouvelle bourse qui a été ajoutée dans l’atelier des projets, qui comporte déjà quatre bourses. Elle est baptisée “Sotigui Kouyaté”, en hommage au grand comédien africain décédé cette année, et elle sera accordée par Culture France.
    Parmi les choses que nous allons reconduire, le Network producers ainsi que l’expérience du Jury pour enfants que nous avons lancée en 2008, mais cette fois nous irons chercher des enfants dans des régions reculées de la République. C’est Mahmoud El Jomni qui va s’en charger. Il va ensuite les emmener à Mahdia où ils apprendront à décoder un film. C’est pour nous une manière de faire revivre la tradition des ciné-clubs dans les écoles. Et puis, c’est l’Année Internationale de la Jeunesse !

Qu’avez-vous prévu d’autre pour célébrer cette année dans le programme des JCC ?

  • Nous allons amener des élèves de collèges ou de lycées par classe pour voir des films. Ensuite, il y aura un débat avec le réalisateur.

Et pour l’Année Nationale du Cinéma, pouvons nous attendre à un effort spécial durant les JCC pour la promotion du 7° Art ?

  • Il y aura une deuxième Commission d’aide à la production qui se tiendra très probablement et dont les résultats seront divulgués durant les JCC. Nous allons organiser pour la première fois une section de courts-métrages tunisiens, avec une compétition et un jury international. Nous allons choisir entre douze et quatorze courts-métrages et accorder un prix. Nous aurions voulu le faire pour les longs-métrages tunisiens mais il n’y en a pas assez. C’est une démarche qui se fait normalement dans les festivals internationaux. Elle est lancée par le pays hôte pour valoriser son cinéma.

Allez-vous maintenir la section panorama?

  • Bien sûr. Il faut mettre à l’honneur notre cinéma national. Si nous ne le faisons pas, qui le ferait ? Les JCC représentent la vitrine du cinéma tunisien. Nous allons projeter les films récents et de qualité. Et contrairement à tout ce qui se dit, notre 7° Art se porte bien, en témoignent ces jeunes cinéastes talentueux qui ne cessent de surgir et d’enrichir le milieu.

À quels cinémas allez-vous rendre hommage cette année ?

  • À ceux de l’Afrique du Sud, du Mexique et des pays de l’ex-Yougoslavie.

Pourquoi ce choix ?

  • L’Afrique du Sud a un cinéma intéressant qui est en plein développement, et puis c’est un pays de notre continent.
    Pour le Mexique, j’ai vu des films extraordinaires. C’est un cinéma qui a des similitudes avec le nôtre au niveau des thèmes et de la production.
    Quant aux pays de l’ex-Yougoslavie, j’ai noté qu’il y a une grande effervescence cinématographique depuis la division définitive du pays en 2006. Les films choisis vont permettre aux spectateurs de voir l’évolution de ces nouvelles nations.

Y aura-t-il des évènements en marge des JCC ?

  • Oui, il y aura le Forum de l’Audiovisuel, organisé à l’initiative de l’ambassadeur de France, M. Pierre Ménat. Nous avons répondu favorablement à cette initiative car nous sommes conscients aujourd’hui qu’il y a une urgence : rien de nos cinémas et de notre culture ne passe dans les télés françaises. Les représentants de ces mêmes télés vont être présents durant le Forum. C’est l’occasion de discuter avec eux de la nécessité de développer l’échange pour qu’il ne soit pas seulement à sens unique.

Combien de films avez-vous sélectionnés dans la compétition officielle?

  • Quinze films. Nous avons essayé de prendre ce qu’il y a de mieux pour élever le niveau de qualité. Cela pourrait paraitre peu, mais je trouve qu’en 2008, il y avait trop de films dans une compétition qui doit refléter avant tout l’excellence. Et si l’on va continuer à considérer la représentativité géographique et d’autres paramètres, on risque de perdre l’essentiel. Pour moi, c’est la qualité qui prime.

Et pour les films tunisiens qui sont sélectionnés à la compétition ?

  • Cela ne fait pas partie de notre mission, car il y a une Commission indépendante au niveau du ministère de la Culture qui se charge de choisir les films tunisiens qui seront en compétition.

Il y a deux films de notre région qui ont attiré l’attention durant la dernière session du Festival de Cannes : “Hors la loi” de l’Algérien Rachid Bouchareb et “L’Homme qui crie” du Tchadien Mahmat Saleh Haroun, allez-vous les programmer durant les JCC ?

  • Ils seront dans les JCC, mais pas dans la compétition officielle. Nous les avons programmés dans d’autres sections. Vous le saurez en temps voulu.

Pourriez-vous nous révéler quelques noms de membres du jury de la compétition officielle ?

  • Il y aura parmi les membres du jury Anouar Brahem, l’écrivain afghan Atiq Rahimi, le cinéaste et le producteur mauritanien Abderrahmane Sissako et l’actrice égyptienne Ilhem Chahine. J’ai toujours cherché à diversifier les profils dans le jury, de manière à avoir un musicien, un écrivain, un peintre par exemple et non seulement des gens du monde du cinéma. C’est très important d’avoir des gens d’horizons différents et surtout d’avoir des regards frais sur les films.

Venons-en maintenant au Fonds Sud Cinéma, dont vous assurez la direction depuis presque sept mois. Parlez-nous un peu de cette expérience ?

  • J’ai été très honorée d’être choisie à ce poste, mais c’est une très grande responsabilité et un gros volume de travail. Il y a quatre commissions plénières qui se réunissent par an pour sélectionner les films qui bénéficieront de l’aide du Fonds, et à chaque fois il me faudrait lire entre 43 et 45 scénarios dont il faut choisir, avec les autres membres, 14 ou 15 en présélection avant la tenue de chaque commission plénière. Nous sommes arrivés là à la deuxième commission de l’année.

Y a-t-il des projets africains et maghrébins qui sont sélectionnés ?

  • Oui, lors de la première commission nous avons sélectionné un projet burkinabé, un autre tunisien et un film égyptien. Mais sincèrement et statistiquement, les films de notre région tiennent difficilement le coup devant ceux d’autres régions du monde comme l’Amérique latine où la tradition de l’écriture cinématographique est bien ancrée, ou encore la Chine avec toujours des scénarios extraordinairement écrits, sans oublier les pays de l’Ex-Yougoslavie. La concurrence est rude pour obtenir l’aide du Fonds Sud, qui avec son enveloppe fixe ne peut que financer un nombre limité de projets.

Avez-vous cherché à propulser le cinéma africain et maghrébin à partir de votre poste, en tant que présidente du Fonds Sud ?

Je ne peux le propulser que s’il est de qualité. Mon aide se manifeste surtout à travers mes efforts d’éclairer les autres membres de la commission sur des choses dans les scénarios qui ne sont pas évidentes car elles sont culturelles par exemple. Mais je le répète : je ne peux défendre un projet que si je suis convaincue de sa qualité scénaristique, tout en cherchant à être la plus objective possible. Ce n’est pas parce que je viens du continent africain que je vais le privilégier au détriment des autres.

Propos recueillis par Hanène Zbiss


 

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