FARÈS NAANAA — INTERVIEW

Propos recueillis par Neïla Azouz – Jet Set – Publié le 26.12.2007.

Nous avons rencontré Fares Naanaa il y a trois ans à l’occasion de la sortie de son premier court-métrage, «Casting pour un mariage». Depuis, il a fait du chemin, il s’est affirmé dans le monde du cinéma tunisien en tant que jeune réalisateur talentueux et innovateur, il nous parle de son parcours et de son futur dans le cinéma qu’il aime plus que tout.

Jet Set : Racontez-nous votre parcours depuis notre dernière interview en 2004.

  • Dans le temps, j’avais sorti mon court-métrage «Casting pour un mariage». Depuis, j’ai fait mon deuxième court «Qui a tué le prince charmant ?», l’histoire de 5 amies qui passent une soirée-pyjama entre filles et parlent des relations entre hommes et femmes avant et pendant le mariage. Cette année, j’ai sorti mon 3° film, «Coup de cœur» avec Mohamed Ali Ben Jemaa, Farès Ghariani et Karine Nasra. Il parle du coup de foudre qu’a eu le personnage principal, Sami, pour une fille qu’il rencontre dans la rue ; il ne pense qu’à elle, oublie un peu tout le monde et consacre tous ses matins à aller boire un café en face de chez elle pour la voir sortir, acheter son croissant et évidemment passer à côté de lui et lui permettre de sentir son parfum. Au départ, l’idée de faire ces trois films n’était pas vraiment voulue. Ils parlent tous des rapports de couple entre les jeunes avant et pendant le mariage. On vit dans une période assez difficile et je trouve qu’on n’en parle pas assez.
    Au début, quand j’ai voulu faire du cinéma, le but était de parler des problèmes des jeunes, j’en avais marre de voir des films qui abordaient des sujets qui nous ne concernaient pas. Le destin, ou mon esprit sans vraiment le préméditer, a imaginé cette trilogie qui parle des rapports hommes-femmes, en regardant et en développant chaque fois un point de vue différent : la recherche de l’âme-sœur, est-ce qu’on va un jour la trouver, est-ce que c’est celle avec laquelle je pourrais me marier ?

Jet Set : Quels sont vos projets ? Avez-vous un long-métrage en route ?

  • Oui, je suis en train de l’écrire. Il parle d’un couple marié dont la vie est paisible. Ils ont atteint la trentaine et rêvent de construire leur maison, de réussir leur vie avec leur petite fille de 4 ans, jusqu’au jour où le mari et la fille ont un accident. La petite meurt et ça déclenche un drame. Les parents sont inconsolables et c’est là où la question se pose : comment peuvent-ils se retrouver et dépasser cette terrible épreuve qu’est la perte d’un enfant ? Un couple peut-il rester uni après ça ? A un moment, le couple se sépare. Ils ont essayé de rester unis, mais n’y sont pas arrivés, surtout avec le sentiment de culpabilité qui ronge le père. On va voir comment chacun va vivre ce deuil, et on va découvrir les deux personnes séparément et réellement, car au début on voit une entité, le couple, avec sa vie, sa routine, etc. Là, on va retrouver deux personnes différentes : la femme va vouloir vivre son rêve de devenir une grande chanteuse, l’homme va partir dans le Sud pour retrouver la trace de son père qui l’a abandonné tout petit. Ce sera une quête de soi. Tout au long du film, on se demandera s’ils vont se retrouver ou se séparer définitivement.
    Je vais commencer au mois de mars, après l’obtention de l’aide à la production du ministère de la Culture. Sinon, je travaille comme d’habitude avec d’autres réalisateurs tunisiens et étrangers. En ce moment, je suis directeur de production sur le film de Moez Kammoun qui s’appelle «Shahrazade», et je suis en train de monter ma propre boîte de production.

Jet Set : Avez-vous fini votre casting pour le long-métrage ?

  • Je ne peux pas écrire un personnage sans penser à quelqu’un. Je vois bien Dhafer El Abidine dans le rôle du mari, mais je dois encore peaufiner le personnage de la femme. J’aime beaucoup travailler avec les acteurs, prendre leur avis, et comme Dhafer est le personnage principal, ce qu’il pense m’intéresse. Le comédien évolue avec le personnage pour arriver à quelque chose de fort, je l’implique aussi dans les dialogues

Jet Set : Pourquoi Farès Naanaa est-il devenu le spécialiste des histoires de cœur ? Est-ce du vécu, de la fiction, de la curiosité ?

  • C’est bien sûr du vécu, c’est aussi de la curiosité. Je ne vis pas sans me poser de questions, même si je suis marié et père d’un enfant.
    Je ne veux pas entrer dans un moule social et vivre une routine qui s’installe au fil du temps. Les rapports entre les personnes m’intriguent beaucoup, je veux approfondir ce sentiment d’amitié ou d’amour qu’il y a entre les personnes, le décortiquer. Je trouve qu’on vit dans un monde où on ne communique plus, où on a du mal à exprimer nos vrais sentiments tellement les codes de la vie sont devenus compliqués. Ma grand-mère me disait toujours : Ii est temps, il faut te marier. C’est à partir de là que je me suis posé la question : pourquoi cette obligation de mariage une fois dépassés les 25 ans ? J’ai commencé à analyser cette question avec une optique masculine. Puis j’ai posé la question aux femmes, qu’elles soient célibataires, fiancées ou mariées pour avoir un point de vue qui répondrait peut-être aux questions que se pose chaque individu à chaque étape de sa vie sentimentale.

Jet Set : Dans notre dernière interview, vous étiez célibataire. Maintenant, vous êtes marié et père de famille. Qu’est-ce qui a changé en vous ?

  • C’est assez particulier. Déjà, je ne me voyais pas marié et encore moins papa. Désormais, je vois les choses autrement, je fonctionne beaucoup par rapport à ma fille, même dans mon travail, je regarde les choses d’un angle différent. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que j’ai écrit mon long-métrage sur un sujet aussi douloureux.
    J’ai aussi des regrets par rapport à des choses que j’ai fait vivre à mes parents. Maintenant, je réalise vraiment que la paternité est une responsabilité magnifique, même si je n’en profite pas assez.

Jet Set : Pensez-vous tenter une expérience dans le théâtre, mettre en scène une pièce que vous auriez écrite ?

  • Depuis le jour où j’ai décidé que je voulais faire du cinéma, je ne me vois pas faire autre chose. Si je ne travaille pas en tant que technicien sur les plateaux de tournage, je réalise des films ; si je ne réalise pas, je produis ou je passe devant la caméra pour jouer. Je ne me vois absolument pas sortir de ce monde. Mon but est de devenir réalisateur, de raconter des histoires.

Jet Set : Comment vous sentez-vous devant la caméra en tant qu’acteur ?

  • Tous les rôles que j’ai interprétés m’ont été proposés par des amis qui ont vu en moi le personnage qu’ils voulaient, mais c’est surtout le fruit du hasard.
    Pour le rôle dans mon film «Casting pour un mariage», c’était différent. Pendant le vrai casting, j’ai commencé par chercher les actrices, et je me suis retrouvé dans la même situation que mon personnage. En voyant mes réactions, mon assistant m’a dit : «Je crois que tu devrais jouer le rôle du garçon. Je ne vois pas meilleur que toi : tu sais ce que tu veux faire passer à travers la caméra et en plus, tu viens de vivre la même situation». Mais je ne me suis jamais dit que je voulais être acteur, c’est venu comme ça.

Jet Set : En tant que jeune cinéaste, diriez-vous que c’est difficile de faire du cinéma en Tunisie ?

  • Oui, c’est difficile. Je le ressens d’autant plus depuis que je suis marié et papa, depuis que j’ai plus de responsabilités. En Tunisie, on n’a pas de vrais producteurs qui font de véritables montages financiers. À part la subvention du ministère de la Culture, il n’existe pas d’autres organismes qui peuvent financer un film. Si tout va bien, on passe deux ans à attendre l’accord du ministère puis l’obtention de l’argent, et je trouve que c’est beaucoup. Il faut créer un rythme de production, l’État doit décider de produire plus de films. Je ne trouve pas normal, par exemple, que quelqu’un comme Nouri Bouzid fasse un film tous les quatre ans.

Jet Set : Avez-vous pensé à proposer des projets à la télé ?

  • J’ai déjà proposé trois projets à la télé, dont un qui a presque abouti, mais à la dernière minute ils ont choisi la solution de facilité, un projet déjà fait. La télé tunisienne ne veut pas changer, ils ont peur de prendre des risques, même minimes. On aimerait tous faire des choses pour la télé, mais on a du mal, nous jeunes cinéastes, à y entrer.

Propos recueillis par Neïla Azouz

Source : www.jetsetmagazine.net


 

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