IBRAHIM LETAÏEF NOUS CONFIE SES PROJETS

Propos recueillis par Neïla Azouz – Jet Set | Publié le 02.12.2009

Jet Set : Racontez-nous comment vous avez eu l’idée de vous occuper du cinéma El Hambra et pourquoi ?

  • C’est, disons, un projet né avec un de mes meilleurs amis, Riadh Ben Fadhl, avec qui on se retrouve culturellement et qui est en quelque sorte le gérant de la salle El Hambra en tant que propriétaire.
    Il m’a toujours dit : «Ibrahim, je ne peux plus m’occuper de cette salle, c’est une charge pour moi, est-ce que tu pourrais t’en occuper ?». Moi, avec mes charges aussi, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire, j’étais sur le point de partir, etc., et chaque fois, je répondais que je ne pouvais pas m’en occuper parce que j’étais moi-même occupé !
    Cette année, en le croisant par hasard dans la rue, il m’a encore une fois relancé, il m’a donné les clés et m’a dit : «Tu en fais ce que tu veux !».
    Finalement, j’ai accepté parce que quelque part, c’est un rêve aussi pour un cinéaste d’avoir son espace, donc je me trouve investi du plaisir de gérer une salle. C’est vrai que ma seule exigence était de m’occuper du côté artistique et programmation uniquement, c’est toujours Riadh qui s’occupe de la gestion.
    Et maintenant, je passe du temps là-bas, j’ai même un bureau dans lequel on me trouve à partir de 18h, où je reçois mes amis et mes visiteurs…
    Je suis en train de mettre en place une programmation qui correspond à la morphologie de la salle, qui est une salle de quartier, 80% du public est le même, essentiellement constitué de riverains et d’étudiants qui sont à proximité, comme ceux de l’école de cinéma, l’école d’architecture, le lycée français… Donc en fait, le public est là, il va falloir le re-ramener, car il a malheureusement déserté la salle.
    La philosophie qui se dégage de cet espace-là, c’est de répondre aux désirs des riverains, de ces 80% qui reviennent, donc leur faire une programmation appropriée.
    La première chose, c’est d’avoir une rotation assez rapide des films, de ne pas maintenir un film plus de deux semaines. Deuxièmement, il faut réfléchir à une programmation pour les enfants; le mercredi après-midi et le dimanche matin, il y a un film pour enfants.
    Il y a aussi un cinéclub qui va être mis en place à partir de janvier, tous les lundis.
    Autre chose importante, c’est que j’ouvre la salle à d’autres arts. On va faire les mercredis théâtre, un mercredi sur deux, on va essayer de dénicher des pièces, des one-man shows…
    Et puis nous allons travailler sur des cycles. A partir de 2010, on aura un cycle de films argentins (une cinématographie méconnue par nos cinéphiles, mais très connue dans le monde), il y aura aussi un cycle qui m’est très cher, celui de la comédie italienne avec Dino Risi, Fellini… Il y aura les cycles portugais et hollandais. Donc l’année prochaine, on aura 4 cycles avec une quarantaine de films.
    Voilà, en gros, mais comme j’aime bien aussi le côté glamour et jet-set, et compte tenu de la proximité de la salle, les gens aiment bien se retrouver, donc je fais des abonnements annuels qui permettent aux riverains, aux artistes, aux journalistes et à tous ceux qui aiment le cinéma de s’approprier un siège qui porte leur nom au dos, et cette carte permet de rentrer gratuitement voir tous les films pendant une année. Ils auront aussi la possibilité d’assister aux avant-premières qui seront constituées de gens qui se connaissent…
    On a commencé à remettre la salle à niveau, à la nettoyer, à la rendre plus agréable et l’ouverture officielle se fera avec l’avant-première du film de Raja Amari «Dawaha», le 3 décembre 2009.

Jet Set : Pensez-vous à trouver des accords pour ramener des films nouveaux qui sortent en même temps qu’en Europe, afin de drainer encore plus le public vers votre salle, comme le film de Michael Jackson sorti en même temps partout dans le monde ?

  • Ça, c’est une évidence, mais là on ne parle plus de salle de quartier qui, comme en Europe, passe des cycles, des films anciens… Cette salle ne peut vivre qu’avec ses riverains.
    Mais on est quand même en train de travailler avec la salle Africa et la salle Hannibal pour constituer un petit pool de distribution. On va essayer de ramener des films récents, moi-même je pars acheter des films en janvier, je vais au Festival de Berlin en février, et je vais faire mes emplettes dans le marché du film.
    Il y a aussi le problème de la billetterie qui n’existe pas encore en Tunisie, ce qui fait que les producteurs de films comme Quinta communication, qui commercialise le film 2012, ne peuvent pas contrôler le nombre d’entrées, les comptabiliser, etc. Et ceci représente un réel problème.
    Mais tant qu’on n’aura pas un réseau d’une vingtaine ou trentaine de salles, les films resteront très chers à ramener en même temps que leur sortie en Europe.

Jet Set : Parlez-nous de votre projet Dix courts, une cause ?

  • Ou encore le cinéma au service d’une cause. En l’occurrence, la cause de cette année est la sensibilisation pour les dons d’organes. L’association voulait monter un projet d’images pour parler de la cause, ils voulaient se démarquer des spots classiques qui n’ont pas donné beaucoup de résultats.
    Ils ont par conséquent contacté l’agence de communication Infinity Solution. Ils sont venus me voir par la suite, car ils avaient entendu parler de moi comme étant «Monsieur court-métrage». Ils m’ont proposé d’organiser un concours de courts-métrages, j’ai dit oui mais vous allez recevoir des images filmées avec des portables, donc problèmes de diffusion par la suite… Je leur ai donc soufflé en quelque sorte l’idée de Dix Courts Dix Regards. L’idée a été vendue et j’ai commencé à monter sur le principe du premier concept, c’est-à-dire concours, atelier de scénario, atelier de découpage, atelier de production, tournage, postproduction et diffusion.
    On a reçu 59 scénarios, on en a sélectionné une dizaine, on a organisé un atelier classique d’écriture avec Tarak Ben Chaabane, Patrice Chantin, Naoufel Saheb Tabaa et Nidhal Guiga. On les a encadrés dans la réécriture et la remise en forme de leur scénario, puis j’ai organisé un atelier de production pour les mettre au courant des conditions du cahier de charges, sur quels supports on allait tourner, la durée… Le but en fait est de lancer de nouveaux talents, de donner la possibilité à de jeunes réalisateurs issus des écoles ou amateurs, de pouvoir tourner leur film dans des conditions professionnelles et c’est ce qui a été fait.
    On a en parallèle fait appel à des acteurs professionnels qui ont tous répondu présent, comme Fatma Ben Saïdane, Kamel Touati, Hélène Kazaras, Martine Gafsi, Mohamed Ali Nahdi, Mohamed Grayaa, Jamel Madani, Nidhal Guiga, Aziza Boulabiar… La liste est longue !

Jet Set : Ce sont tous des courts-métrages tunisiens donc ?

  • Oui, mais il y a deux nouveautés cette fois : une réalisatrice qui a moins de 18 ans qui passe son bac et qui a réalisé un film, et une autre qui a entendu parler de l’opération et qui est venue directement de Cannes, elle est Tunisienne mais n’a jamais vécu en Tunisie.
    Sinon, il y a 4 filles et 6 garçons, pas de parité malheureusement !
    Le tournage des films est terminé, on est dans la phase de mixage finalisation et la première pour les journalistes aura lieu le vendredi 4 décembre au cinéma El Hambra à 10h du matin. Le Jury, composé de Nouri Bouzid, Salma Baccar et Amel Chahed, attribuera le prix du meilleur film, le deuxième et le troisième prix. Puis il y aura l’ouverture officielle le 6 décembre au Théâtre municipal.

Jet Set : Les scénarios des films parlent de la cause, ou ce sont plutôt des films différents les uns des autres ?

  • C’est un thème central qui tourne autour de la cause du don d’organes, mais en fait ce sont des films à part entière si on met de côté la cause. Ils parlent de drames, de comédie, mais ce qu’ils dégagent c’est l’amour et la volonté de donner. Le thème a vraiment fait réfléchir ces jeunes-là. Moi aussi, ça m’a touché et je crois que c’est une cause qui a touché tous ceux qui ont travaillé sur ce projet.

Jet Set : Est-ce que la sortie de DVD est programmée pour ceux qui n’ont pas pu se déplacer ?

  • Ça, c’est un autre volet, c’est la société productrice qui va sortir les DVD. Je pense qu’ils ont été contactés par la Chine aussi pour organiser quelque chose concernant le don d’organes, car nous savons tous que c’est un pays où le problème de vol d’organes est assez sérieux.
    Ce qui est sûr, c’est que nous allons travailler chaque année pour une cause, et l’année prochaine sera dédiée à la lutte contre le cancer. C’est encore une occasion où le cinéma peut rendre service à une cause. La cause est aussi au service du cinéma puisqu’elle nous a permis de découvrir de nouveaux talents.

Jet Set : Parlez-nous des Journées du cinéma européen ?

  • Je préside depuis longtemps l’Association du Court-métrage et Documentaire qui organise, entre autres, La Médina fait son cinéma, qui organise beaucoup de rencontres autour du court-métrage, aussi bien à Tunis qu’à l’étranger, qui permet la diffusion du court-métrage à l’étranger via des circuits culturels… Donc, les JCE nous ont confié l’année dernière l’organisation et la logistique et ont renouvelé l’expérience cette année.
    Mais on a dépassé cette partie logistique et on est devenu partie intégrante dans la direction artistique du Festival où on participe au choix des films tunisiens et maghrébins. C’est aussi la première fois qu’il y a des films maltais, il y aura aussi un film tchèque tourné en Tunisie.
    Ça va se passer au Parnasse à Tunis et dans six villes : Sousse, Mahdia, Gabès, Sfax, Kairouan et Jendouba. C’est une manifestation qui fête sa 16ème édition, elle est très attendue.
    Cette année, il y aura deux films maghrébins, à part les films tunisiens qui sont Dawaha de Raja Amari, La Boîte magique de Ridha El Bahi et Chtar mhabba de Kalthoum Bornaz qui, à mon sens, n’a pas eu beaucoup de chance dans sa distribution. Avec ça, il y aura une dizaine de courts-métrages et Mascarade qui est un film algérien, mais la surprise c’est Casa negra, un film marocain qui fait fureur partout. Il est sorti en France et sera diffusé pour la première fois en Tunisie. On pourra aussi rencontrer son acteur et sa productrice.
    Le Jury sera le public, c’est une nouveauté de donner la possibilité au public de voter pour le meilleur court-métrage et le meilleur long-métrage.

Jet Set : Comment faire pour voter ?

  • On distribue au public des bulletins qui seront remis dans des urnes à la sortie des salles.
    Le dernier jour, on aura des prix numéraires pour le long et le court, il y aura aussi une table ronde à Ibn Khaldoun avec pour thème le scénario entre le Maghreb et l’Europe.
    Dernier volet des JCE, il y a la programmation pour enfants avec Pinocchio… les enfants trouveront leur bonheur aussi à travers une dizaine de films tous les samedis et dimanches.

Jet Set : Maintenant, parlons du nouveau film d’Ibrahim Letaïef ?

  • On commence le tournage fin février, c’est un vieux projet qui s’appelait Flous Academy mais le titre a changé, il va finalement s’intituler Affreux, cupide et stupide. J’ai élaboré une réécriture pour le réadapter au rôle principal tenu par Lamine Nahdi. Pour le reste, je commence mon casting très bientôt, on est en repérage et j’entamerai une vraie préparation après les JCE, vers le 15 décembre.

Jet Set : Quelle est l’histoire du film ?

  • Je pars du principe que tout ce qu’on nous colle aujourd’hui comme télé-réalité n’a qu’un objectif financier avec toute la publicité qu’il y a autour et que la finalité n’est pas de découvrir de nouveaux talents, mais plutôt de se faire le plus d’argent possible. C’est plus du voyeurisme, tous ces gens sont manipulés par des producteurs qui sont à la recherche d’audience et d’argent. Tout ça traité dans la comédie, pas du tout sérieux. D’ailleurs, mes personnages seront à la hauteur du titre : affreux, cupides et stupides !

Jet Set : Vous allez tourner ça dans des décors de télé-réalité ?

  • Non, ça va se tourner en ville, d’ailleurs il y a plus d’extérieur que d’intérieur. Le film démarre par un méga casting où les gens chantent et jouent très mal.
    C’est aussi une comédie policière car l’argent est volé par un faux intégriste qui s’appelle Cheikh Zebir qui a une usine de traitement de jean et qui en fait n’est pas du tout pieux ni croyant, mais il utilise cette image à des fins malsaines. Il sera suivi par un flic cassé mais assez honnête qui s’appelle Cheikh Hedi, joué justement par Lamine Nahdi.

Jet Set : Vous avez une idée concernant les autres acteurs, qui va jouer dans votre film ?

  • Je n’ai encore pris aucune décision, j’hésite beaucoup. Le seul rôle principal pour l’instant c’est Lamine Nahdi.

Jet Set : Vous êtes sur d’autres projets à l’étranger ?

  • Je suis sur un autre projet de film qui s’intitule Compétences et talents et qui sera entièrement tourné en France.
    C’est une suite du court-métrage Visa qui parlait déjà de l’immigration choisie, mais là on est en plein dans le sujet partout en Europe.
    C’est un drame et c’est la première fois que j’en écris un. J’ai fait un pitch et un traitement qui a été retenu par un producteur et c’est mon premier film qui va être tourné en France, en français, avec une semaine en Tunisie, parce que le personnage principal est une Tunisienne ingénieure en chimie, qui essaie par tous les moyens de partir en France. Elle réussit à le faire grâce à ce projet qui s’appelle « compétences et talents », mais elle part aussi pour une double quête, celle de réussir et celle de retrouver son père qu’elle a perdu lors des derniers événements de Gafsa.

Jet Set : Vous avez choisi vos acteurs ?

  • C’est un projet pour 2011, donc je ne sais pas vraiment, mais je pense peut-être à Hafsia Herzi. Il y aura peut-être d’autres Hafsia d’ici là…

Propos recueillis par Neïla Azouz

Source : http://www.jetsetmagazine.net/


 

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