IL Y A PRÈS DE 60 ANS : IMAGES DE L’AVENUE HABIB BOURGUIBA

Par Tahar Melligi – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 27-09-2010

Le cœur battant de la capitale et l’épicentre des arts et de la culture, baptisé «avenue Jules Ferry» durant la colonisation

Du temps de la colonisation, l’avenue Jules Ferry, rebaptisée juste après l’Indépendance avenue Habib Bourguiba, représentait le cœur et les poumons par lesquels respirait la capitale. Chacun a son petit souvenir de cette artère principale, quand bien même au fond du cœur persistait une grosse frustration : voir un monument érigé à la mémoire de Jules Ferry juste en face du ministère de l’Intérieur, sous lequel était représentée une jeune bédouine lui tendant une branche de dattes. Ferry l’ignore superbement, levant les yeux au ciel, comme si cette jeune fille du pays n’existait pas pour lui.

Un peu plus bas sur le monument, on a représenté un enfant français élégamment vêtu tenant un livre entre les mains et enseignant à un enfant autochtone vêtu de haillons misérables.
Comment ne pas se révolter face à un tel spectacle, humiliant pour les Tunisiens qui devaient avaler cette honte chaque fois qu’ils passaient par cette avenue. Comme pour leur rappeler la triste réalité de la colonisation sous le joug de laquelle ils croupissaient.

De l’autre côté de l’avenue étaient établis de hauts lieux de restauration et de loisirs. On y rencontrait le Claridge, le Triomphe, le Baghdad, le Coq d’or, Maxime, Max, la Brasserie suisse, le Camélia…

Juste en face de la cathédrale, on a choisi d’installer le monument du soldat inconnu, remplacé depuis par celui de l’historien et sociologue Ibn Khaldoun. Au coin de l’avenue, la Résidence générale. En traversant la rue de Hollande, on rencontre la «Maison modèle», un grand magasin d’habillement, puis le café et le cinéma… «Midi-minuit». Cette salle consacrait ses projections aux longs-métrages policiers et à ceux où jouait l’acteur Eddie Constantine, rendu célèbre par le personnage du commissaire Lémy Cochin. Né en 1917 à Los Angeles, son père était baryton dans un opéra. Il a été révélé et encouragé en France par Edith Piaf.
En fait, la salle de cinéma «Midi-minuit»  appartenait à un certain Victor Nahum.

Youssef Wahby au Théâtre municipal

L’édifice du Théâtre municipal ne peut pas vous laisser indifférent dans votre randonnée à travers le cœur de la ville de Tunis. On y jouait les pièces de théâtre jeudi soir et on reprenait le même titre vendredi après-midi. Je me rappelle y avoir assisté à «La Dame aux Camélias», œuvre d’Alexandre Dumas, entourée d’un immense tapage. Les costumes, importés de France tout comme les décors, étaient tout simplement impressionnants.

Y avaient joué : Mohamed El Hédi, Armand Duval, Jamila Hanem (Marguerite Gauthier) et Zohra Faïza. Ce travail monumental était joué en arabe littéraire.

Au Théâtre municipal, j’ai vu pour la première fois Youssef Wahby dans Khafaya al Qahira (Les secrets du Caire), Aouled échaouaraâ (Les enfants de la rue). J’ai vu jouer à ses côtés Amina Rezk, Fakher Fakher (le père de l’actrice Héla Fakher), Afef Chaker (la sœur de Chadia) et Tawfik Eddakn à ses débuts.

S’y étaient également produits, avant l’Indépendance, Férid Latrache, Samia Gamal, l’artiste libanais Elyès Mouaddeb, Naïma Akef, Mohamed Abdelmotaleb et la chanteuse syrienne Nourhène.
Le Casino de Tunis jouxtait le Théâtre municipal, fin des années 50, à l’aube de l’Indépendance, les plus grands noms de la chanson tunisienne s’y étaient produits, dont Hana Rached durant des nuits ramadanesques, qui reprenait la chanson Ali, composée par Férid Latrache pour Sabah dans le film Lahnou Hobbi, et Ali Riahi, lequel venait de sortir son joyau Inti ya kahlet el aïn, écrit par Mohamed Mzoughi.

Sous le Casino de Tunis se nichait le caveau qui donnait sur l’avenue de Carthage.
Au Café de Paris, à l’angle de l’avenue de Carthage et l’avenue Jules Ferry, accédaient surtout  les colons français et les richards du pays. Le TGM arrivait alors jusqu’en face du Café de Paris. C’était la station Tunis-Casino.

Tout à côté du Café de Paris, à proximité d’un hôtel, vous croisez le cinéma-café le Capitole. Sidi Ali Riahi et moi nous nous installions souvent dans ce café.

Puis arrive le Café Marignan et le cinéma-café Studio 38 tenu par des Italiens dont la spécialité était le café filtre.

La salle de cinéma Studio 38 était, en fait, une petite salle qui repassait les films déjà projetés dans les  grandes salles, comme le Colisée et le Palmarium.

La gigantesque scène du Colisée

Rossini Palace était un théâtre, puis un cinéma, avant de donner au mois de Ramadan 1959 des concerts publics animés par la troupe Noujoum Al Manar, conduite par le grand musicien Kaddour Srarfi et composée de Jelloul Chichti, Ahmed Gabsi, Abdelkrim Lahbib, Mahmoud Kalaï, Béchir Jouher, Naceur Zghonda, Hamadi Ben Abderrazzak, Mahmoud Thamri, Mohsen Khanfir et Abdelméjid Khémiri.

S’y produisaient alors les grandes vedettes de la chanson : Ali Riahi, Hédi Mokrani, Mohamed Ahmed et Mohamed Lahmar, et les chanteuses : Fethia Khaïri et Mona Soltane. Il y avait également un chanteur algérien du nom de Ahmed Wahbi, marié à une tunisienne, et la danseuse Naïma El Jazaïria.

Pourtant, la plus grande salle de cinéma restait celle du Colisée qui projetait les grandes productions de la maison «Columbia» et qui a été la première à passer des films «en relief». Pour les voir, on distribuait des lunettes spéciales, genre trois dimensions, aujourd’hui. Cela permettait de voir, par exemple, un train «sortir» du grand écran et passer au-dessus des rangées de fauteuils.

La scène du Colisée était très spacieuse et permettait d’y tenir les plus grands concerts.
Charles Aznavour s’y était ainsi produit en 1956 dans un grand concert de  31 chansons (quel souffle et quelle énergie!). Il était accompagné d’un simple orchestre de trois musiciens, au piano, à la contrebasse et d’une petite batterie. (à suivre).

Auteur : Tahar MELLIGI

Ajouté le : 27-09-2010

Source : http://www.lapresse.tn


 

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